Tribune libre du Haut-Commissionnaire des Nations Unies aux droits de l’homme consacrée aux élections de l’Assemblée constituante tunisienne.

Par Navi Pillay


La révolution tunisienne, déclenchée il y a tout juste 10 mois par des jeunes déterminés à prendre leur destin en main, a inspiré des millions de personnes à travers la région, voire au-delà, à mieux comprendre les enjeux en cours et à réclamer le respect de leurs droits.

Les Tunisiens montreront le chemin à suivre

Nous ne sommes qu’au début d’une vaste «révolution» régionale à l’avenir incertain et dont l’aboutissement risque de prendre quelques années.

Cependant, ce dimanche, les Tunisiens montreront, une fois de plus, le chemin à suivre, en étant pionniers dans l’organisation des premières élections post-révolution dans un contexte régional en transformation perpétuelle.

Nombreux sont les Tunisiens et Tunisiennes qui participeront pour la première fois – de manière utile – à l’une des élections les plus importantes de l’histoire de leur pays.

L’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme souligne que «la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote». Les droits de l’homme ont été à l’origine de la révolution, et il est crucial pour les Tunisiens de s’assurer que les droits de l’homme restent au cœur de la nouvelle Tunisie.

Des élections libres et justes ne sont que la première étape. La nouvelle Assemblée Constituante aura la lourde responsabilité de refléter les demandes de liberté, dignité et de respect des droits de l’homme dans la nouvelle Constitution. Les nouvelles autorités devront également faire face à de multiples défis aussi bien sur le plan politique, institutionnel, économique et social. Le nouvel Etat aura ainsi besoin d’une politique des droits de l’homme solide et claire afin de les contrer.

Eradication de tout type de discrimination

Les principes de l’Etat de droit, de la responsabilité, de l’éradication de tout type de discrimination et de l’égalité entre hommes et femmes mais aussi la liberté d’expression ainsi que la liberté de religion et de conscience, se trouvent tous dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme, et le désir de les voir se réaliser a été à l’origine de la révolution tunisienne. Ces principes ainsi que d’autres grands principes fondamentaux tels que définis dans ce document visionnaire, et ensuite repris dans les différents traités internationaux des droits de l’homme, constituent une base légale et politique aux défis auxquels la Tunisie doit faire face. Une révolution réussie, parce que basée sur les droits de l’homme, doit intégrer les principes fondamentaux des droits de l’homme dans son projet de société.

L’article 28 de la Déclaration universelle stipule que «toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet».

Ceci est, en un mot, ce que ces élections représentent réellement.

L’Etat doit être au service de son peuple. La transformation démocratique de la Tunisie nécessitera la mise en place d’un nouveau cadre juridique garantissant une séparation claire des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Je suis confiante, qu’en votant ce dimanche, Tunisiennes et Tunisiens feront preuve de vigilance et d’unité contre toute tentative visant à ébranler les acquis de la révolution. Démocratie, droits de l’homme et développement sont des notions qui vont de pair. Il y aura inévitablement des risques de revers, des retards et des déceptions. Mais si la  volonté est là, une nouvelle Tunisie, libre, juste et prospère pourra bientôt voir le jour.

Pour une justice traditionnelle

Le Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme en Tunisie a le mandat d’apporter son soutien au peuple et au Gouvernement tunisiens dans leur transition vers une société ouverte et démocratique. Nous travaillons avec la société civile, les autorités et les bailleurs de fonds afin de  définir un programme intégré relatif à la justice transitionnelle, l’indépendance de la magistrature, les réformes institutionnelles et juridiques (y compris au sein du secteur de la sécurité), la compensation et la réhabilitation des victimes des violations passées, la création d’une institution nationale des droits de l’homme indépendante ainsi que la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels.

Emergeant de décennies de «déni de dignité» comme il me l’avait été décrit lors de mon voyage à Tunis le 14 juillet, nombreux sont les Tunisiennes et Tunisiens qui s’attendent avec raison à des changements qui affecteront de manière positive leurs droits fondamentaux. Le manque de progrès dans divers domaines de la vie quotidienne risquerait en effet de faire naitre le sentiment que «rien n'a changé.»

Nous sommes donc à un tournant critique et des élections réussies seront la clé pour ne pas couper court à cette volonté de changement. Pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie, des élections sont supervisées par une autorité indépendante, alors que jusque-là le ministère de l’Intérieur en avait la charge.Des élections réussies signifient qu’il y aura des perdants mais aussi des gagnants sur le plan politique. Mais accepter la défaite et travailler avec les nouvelles autorités élues pour le bienfait de la nation sera une victoire pour tous.

Le changement est possible, mais il ne doit pas être réalisé avec cynisme, apathie et déception. Le changement sera acquis lorsque le peuple décidera de prendre en main son propre destin et celui de son pays et de participer aux décisions importantes qui vont déterminer son chemin. C’est pourquoi il est important que les Tunisiens – jeunes et moins jeunes, femmes et hommes – fassent entendre leur voix une fois de plus, mais cette fois à travers les urnes.

Plusieurs millions de personnes dans le monde, y compris moi-même, suivront les élections de ce dimanche avec attention et optimisme – mais aussi avec une certaine appréhension. Notre plus grand souhait est que la Tunisie soit de nouveau perçue comme un modèle pour d’autres pays de la région et ailleurs dans le monde, dans la conduite de ces élections et dans la détermination du paysage politique et social qui en résultera.