Samir Messali écrit – L’image qui vient de tomber sur tous les médias du monde est terrible. Encore un dictateur arabe qui se fait attraper comme un rat. Qui se fait massacrer par les siens.


Des liesses de joie populaires éclatent dans tout le pays pour fêter la disparition du dictateur et la fin de quatre décennies d’oppression et massacres.

Un peuple qui ne pense qu’avec une seule tête est un peuple ignorant que dire alors quand il s’agit de celle de Kadhafi. Un fou. Un têtu. Le jeune bédouin sans aucune expérience a pris le pouvoir suite à un coup d’Etat en 1969. Comme tous les dictateurs arabes, il s’est pris pour le génie qui pouvait réinventer le monde. Il a fait de son pays un laboratoire d’essai de ses idées les unes plus folles que les autres. Pendant 42 ans, c’est plusieurs générations de Libyens qui ont vécu en marge de l’une des périodes les plus riches de l’humanité.

La raclée du palmarium

Pourtant, le 15 décembre 1974 au Palmarium, le jeune colonel, qui était en train de donner une intervention en marge de sa visite officielle à Tunis, se fit interrompre par le président Habib Bourguiba. Ce dernier, qui suivait le discours à la télé depuis le palais de Carthage, se précipita pour donner une leçon au jeune colonel. Bourguiba, le visionnaire, celui qui a côtoyé les grands de ce monde et qui a vécu de près tous les grands événements du 20ème siècle ne pouvait tolérer sur son territoire des conneries du genre «Tozz Fi América !» (Au diable l’Amérique !). Le leader tunisien arracha la parole à son invité et décrivit d’abord son parcours et sa stratégie pour la libération de son pays et enchaîna par la suite sur une leçon d’histoire. Celle de la Libye. Rappelant au dirigeant libyen la triste réalité d’un pays pauvre et sous-développé, dont le destin s’est joué en marge des enjeux entre les grandes puissances mondiales de l’époque. Il continua sur le thème de l’union arabe chère au colonel et ne tarda à expliquer, sur un ton ironique, que ce n’est pas en ajoutant un million et demi de Libyens à cinq millions de Tunisiens qu’on deviendrait un pays développé, se moquant au passage de l’échec de l’expérience de l’union entre l’Egypte et la Syrie.

Bourguiba, tel un enseignant, riche de sa longue expérience, voulait alors expliquer à son hôte, en insistant au passage qu’il «manquait d’expérience», que la force des nations n’était pas dans la recherche des unions à tout prix mais plutôt dans le savoir et la maîtrise des nouvelles technologies. Il n’hésita pas à le prévenir qu’en défiant les Etats Unis, celle-ci pourrait «lui donner une gifle». D’ailleurs ce qui ne tarda pas à se réaliser avec les raids américains sur Tripoli en 1986. Le jeune dictateur, assis à côté de Bourguiba, ne pouvait que rigoler face aux propos de son voisin, ce qui démontrait clairement qu’il n’avait pas retenu la leçon.

Dans les bras de l’Occident

Il a fallu encore 15 ans pour que le colonel admette toute la difficulté à réaliser son rêve d’union arabe. Il se tourna alors vers l’Afrique subsaharienne qui lui a vendu des titres honorifiques de chef des chefs et de roi suprême à coup de millions de dollars tirés d’un pétrole qui coulait à flot. Il ne tarda pas, par la suite, à rétablir des relations amicales avec les Etats occidentaux, et à leur tête les Etats-Unis. C’était plus pour prolonger son long règne et pour préparer la passation du pouvoir à l’un de ses fils, que par foi dans les valeurs occidentales de liberté et de démocratie. Mais désormais il n’a pas pu résister au vent des révolutions arabes. Qui, comme une tornade, ne cessent de déboulonner les dictatures de la région l’une après l’autre.

Combien faut-il encore attendre pour voir un chef d’Etat arabe quittant sur ses pieds le pouvoir en donnant une accolade amicale à son successeur ? Combien de guerres encore devrait-on encore subir ? Combien de milliers de victimes faut-il déplorer pour chaque changement de pouvoir ? Quand le monde arabe, qui jadis faisait l’histoire, reprendra-t-il le train de l’histoire ?