Dr Lilia Bouguira écrit – Pourquoi ce malaise ? Mes appréhensions peuvent-elles encore porter ?
J’avais commencé à rédiger un texte le jeudi 20 octobre après m’être dirigée au bureau de vote au consulat à Montréal. In extremis, je me suis retenue de publier. Par respect probablement pour ceux qui partaient encore voter, par pudeur certainement. Je ne sais comment expliquer.
A qui prêter ma voix ?
En arrivant à la station Mc Gill, je tremblais. Intérieurement, j’étais partagée entre tourner les talons et revenir sur mes pas ou pénétrer et donner ma voix pour un parti sur lequel je n’étais pas du tout fixée. La file n’était pas aussi insupportable que mon remue ménage intérieur. Une multitude de questions me martelaient l’âme et l’esprit.
A qui devais-je prêter ma voix pour l’utiliser à bon escient, ne pas en faire une arme à double tranchant, celle qui va se retourner contre nous dans nos propres plaies déjà suintantes et toujours lancinantes ?
Etais-je en train de départir pour ne plus y penser, fuir et opter pour la plus générale des solutions, celle soi-disant du peuple, celle de l’unanimité même, si elle est dans une voie à sens unique, mitigé et terriblement houleux ?
Depuis des mois que l’ambiance était faussée et que je me battais aux trousses d’un corpuscule de jeunes facebookers qui hurlaient leur dépit et leur mésalliance pour le gouvernement installé. Ce dernier était encore chevillé par un sordide passé de copulation avec l’ancien régime mais surtout pour avoir scotomisé jusqu’à cet instant même le devenir des blessés de la révolution des martyrs et des laissés-pour-compte. Un silence complice et méchant stérilise sur un modèle répressif, en nous tenaillant encore, nous replongeant bien des fois dans des souvenirs douloureux et traumatisants encore frais.
J’étais convaincue qu’aucun parti ne méritait ma modeste voix ni même mon déplacement mais un devoir civique dont je me matraquais arrivait à bout de mes réticences pour ne plus buter et refaire les anciennes bourdes où je ne manifestais pas et où je m’éclipsais pour éviter la mascarade. Cette dernière en était-elle une aussi, sauf avec un plus fin maquillage ?
J’étais soulagée de ne plus voir de photos du Reich et du Führer ni d’avoir à supporter l’arrogance de gens affreusement laids, aux dents jaunis et aux doigts crasseux, aux cache-cols violet exhibant une autorité musclée sur les électeurs venus bon gré mal gré participer à la terrible mascarade qu’étaient les élections. Ceci était un agréable constat à ne point taire.
A ne pas taire aussi la légèreté des ambiances, la langue de bois disparue, les grosses fanfaronnades non plus.
Je voulais encore céder ma place lorsque mon tour arriva mais le courage me manqua.
J’étais dans un état comme second où la maitrise de soi semblait me fuir, les pensées flageolantes et dispersées.
Mon interlocutrice a du surprendre mon air hébété parce qu'elle a du me répéter par deux fois ce que je devais faire.
Je voulais lui dire que je ne savais pas qui choisir non pas par embarras mais comme un manque de choix véritable et convainquant. Je voulais lui dire tout cela mais je me suis retrouvée comme aspirée vers l’isoloir. Je jette un regard embué presque aphaque où les lettres dansaient dans un jeu essoufflant pour me refuser un nom bien éclairé.
Etais-je au-dessus de tous ces partis et de ces listes ? Qu’avais-je à leur reprocher à part de s’être embourbés d’une politique de l’autruche de moyens douteux et de gens frileux ? Etais-je si difficile au savoir si étoffé pour que rien ne satisfasse mes yeux ni ne les sature ?
Loin de tout cela, juste que mes réticences naissaient des frustrations, des manques, des bavures, des incessantes répressions dont on continuait à nous bailloner et des terribles manigances pour monter les uns contre les autres dont des discours mielleux ou de crocodile.
Aussi, j’hésitais encore lorsque j’allais porter la croix sur ce papier pré-rempli. J’hésite encore même maintenant.
J’espère m’être bien conduit pour n’avoir rien à regretter ni d’avoir trompé mes pressentis ni d’avoir faussé chemin à quiconque ni d’avoir encore à baisser les yeux devant les générations à venir pour leur dire qu’encore une fois, je me suis faite baiser.
Désolée si je suis dans la vulgarité mais ne vous arrêtez pas au mot, l’heure est plus grave, l’enjeu plus important.