Rachid Merdassi* écrit – L’opportunisme, la manipulation et l’imposture d’où qu’ils viennent ne sauraient être acceptés sous couvert de démocratie.
Les urnes ont livré leur verdict en toute transparence et équité. Un verdict apparemment sans appel mais ô combien dramatique et lourd de significations. Il impose une lecture lucide et approfondie de la nouvelle donne politique en Tunisie avec la confirmation attendue mais foudroyante du parti Ennahdha avec 45% des suffrages, auxquels il faudra ajouter les 10% du Mouvement ultra populiste Al Aridha, fondé par un transfuge et auxiliaire de service d’Ennahdha qui, hier encore, se prévalait de ses entretiens téléphoniques avec Ben Ali juste avant la chute de ce dernier sur sa chaine Al Mustaqilla, un autre relais du wahhabisme.
L’appétit des mouvements populistes
Que nos démocrates, désormais minoritaires (par la volonté de la démocratie) se rassurent : leurs stratégies de campagnes et projets ont été corrects et irréprochables, leur seul tort était d’avoir occulté cette réalité si évidente de l’existence de cette Tunisie profonde, présente aussi dans les quartiers populaires des villes qui attendait son heure pour prendre sa revanche sur des décennies voire des siècles d’oppression et d’oubli et que l’ignorance, la misère et la fatalité ont livré à l’appétit des mouvements populistes qui ont su jouer sur leurs croyances et besoins existentiels les plus basiques et les plus immédiats.
Le plébiscite d’Ennahdha ou d’Al Aridha ne me paraît d’aucun mérite, tant il était évident et prévisible. Il me rappelle cette supercherie et imposture d’un candidat turc, dont j’ai oublié le nom, qui s’est fait élire sur cette simple promesse et duperie électorale : deux clés, une pour un logement et l’autre pour la voiture s’il était élu. Il le fut et sa promesse ne fut pas tenue bien évidemment.
En Tunisie, la promesse, plus modeste, est plus au diapason des ambitions du petit peuple : un mouton pour l’Aid, les soins gratuits pour tout le monde, le transport pour les vieux et une allocation chômage pour les sans emploi, une recette chimérique et sur-mesure que même les pays les plus riches de la terre peinent à fournir à leurs populations.
Le succès des partis populistes en Tunisie ne reflète pas forcément une adhésion rationnelle à leur idéologie et projets de société. Il est plutôt d’ordre émotionnel et à la limite métaphysique car leurs dirigeants sont perçus par la Tunisie des démunis et des deux millions d’analphabètes comme étant des leurs, leurs champions et instruments de revanche sociale et économique sur cette autre Tunisie égoïste et espiègle qui leur a tourné le dos et confiné à l’oubli sans se soucier de leur souffrance et détresse.
Un trop plein de frustrations et de griefs
Aujourd’hui nous récoltons les fruits de cette accumulation et trop plein de frustrations et de griefs qui ne sont que la conséquence logique et inéluctable de l’échec des politiques inégalitaires pédagogiques, sociales et économiques de la Tunisie pré et post indépendance.
Les racines du mal sont à chercher plus loin encore, dans la fracture créée par la colonisation entre les villes côtières et la Tunisie profonde avec le seul dessein de préparer ainsi les élites qui allaient prendre leur relève, en favorisant une scolarisation qualitative et quantitative des centres urbains au détriment des régions de l’intérieur livrées à une infrastructure pédagogique constituée d’écoles coraniques et d’écoles laïques de piètre qualité et la vision chauvine, clanique et dédaigneuse des élites tunisiennes post coloniales a fait le reste.
Maintenant que nous nous nous sommes réveillés de notre torpeur et incrédulité, il faut se plier, sans états d’âme, à la volonté populaire et au verdict des urnes et laisser Ennahdha et Al Aridha, qui disposeront d’une majorité confortable à la constituante, former une majorité de gouvernement et prendre en charge les affaires du pays sans tomber dans le piège sournois des alliances hybrides et contre-nature qui ne feront que brouiller encore davantage le paysage politique et constitueront cette planche de salut à laquelle s’agripperont ces deux formations en cas d’échec.
Je suis moi-même originaire de cette Tunisie profonde qui a donné Ali Ben Gdhahom et ressent plus qu’un autre les affres subies par la cupidité, le chauvinisme et l’iniquité de nos gouvernants depuis l’indépendance. Toutefois, mon patriotisme et amour pour mon pays, ma profonde conviction que la foi et le sacré ne doivent pas être profanés par les calculs politiciens m’imposent le devoir de m’ériger contre l’opportunisme, la manipulation et l’imposture d’où qu’ils viennent sous couvert de la démocratie.
* Indépendant.