Le respect de l’identité et le besoin de dignité sont inscrits dans les gènes de l’homme. Lorsque l’homme les sent bafoués ou menacés, il prend l’arme qu’il trouve à portée de main et contre-attaque pour les récupérer.

Par Rafik Mzali


 

 

Les travailleurs exploités se sont armés du communisme, les pays colonisés se sont armés du panarabisme ou de la religion. La France, Bourguiba et Ben Ali, chacun à sa façon, ont agressé le Tunisien dans son identité arabo-musulmane. Ennahdha représenterait la réaction qui a commencé depuis des décades.

Des patriotes arabes et musulmans

A part une frange de la population, qui s’est adapté à la culture occidentale, les autres n’ont jamais accepté ce qu’elles continuent de percevoir comme une menace pour leur identité. La première occasion qui s’est offerte à eux, c’est-à-dire cette élection, ils ne l’ont pas ratée pour tenter de redresser la barre.

Les dirigeants d’Ennahdha sont probablement perçus par leurs votants comme d’authentiques patriotes arabes et musulmans, sans compromission avec l’Occident, ayant milité depuis une trentaine d’années, consentant les pires sacrifices, subissant la répression féroce de Ben Ali, et à même de leur recouvrer identité et dignité. Les encouragements des pays islamiques, les chaînes satellitaires, les prêches politisés dans les mosquées, les aides matérielles, l’espoir d’un retour de la domination masculine et de la polygamie, ont fait le reste !

Que restait-il comme argument aux autres partis surtout s’ils ressemblent aux Occidentaux, ne parlent que du bout des lèvres d’identité ou de religion, ne promettent pas monts et merveilles et exigent plus de travail ?

Ceci dit, atteindre près de la moitié des sièges avec un discours aussi sobre est plus que réconfortant et rassurant pour l’avenir si la logique islamiste venait à s’essouffler. Pour l’avenir, celui que la politique intéresserait, avant de proposer de construire des ponts ou des écoles, il doit bien s’imprégner de l’article n°1 de la Constitution car il est la clé du cœur du Tunisien. Le camp progressiste ne doit pas considérer l’islam comme étant la chasse gardée d’Ennahdha, d’autant que celle-ci peut nuire à l’islam tout en croyant le servir.

Bourguiba et l’éclipse du religieux

Si Bourguiba a réussi dans un premier temps à éclipser les religieux c’était parce qu’il a été efficace dans la bataille pour la dignité tout en ménageant et utilisant à bon escient la fibre religieuse. Dans un deuxième temps, après l’indépendance, son projet civilisationnel, bien que paraissant être la bonne solution, a été trop rapide et perçu comme pro-occidental alors qu’il était simplement moderniste. Les esprits ne pouvaient pas suivre, les pistes étaient brouillées, le malentendu s’installa, la sonnette d’alarme de l’identité ne put que sonner de nouveau, on connaît la suite.

Ben Ali ne mérite même pas qu’on en parle. Ce serait lui faire trop d’honneur.

Ainsi le raz-de-marée d’Ennahdha du 23 octobre pourrait n’être que l’aboutissement chaotique mais inévitable de cette longue quête du couple dignité-identité par le Tunisien.

Les musulmans ont parcouru des siècles pour retrouver leur identité comme les oiseaux migrateurs des milliers de kilomètres pour retourner à leur terre de départ, et les juifs des millénaires pour reparler l’hébreu.

Maintenant la question qui se pose est de savoir si cette quête d’identité n’aura fait que donner le pouvoir aux islamistes ou pourrait aboutir à la renaissance et au réveil (Ennahdha) de la nation islamique en amenant la prospérité.

Y a-t-il eu dans l’Histoire un même système, une même idéologie qui a connu deux âges d’or, qui a pu se régénérer après une première éclipse pour aboutir de nouveau à une ère de gloire ? En d’autres termes, l’islam tel qu’il est préconisé aujourd’hui réussira-t-il à trouver un second souffle ? Historiens, on attend vos réponses ! On peut d’ores et déjà avancer qu’une analyse franche et sans compromis des raisons qui ont amené la décadence des pays musulmans, afin d’éviter sa répétition, est l’une des meilleure manières de se donner une chance de succès.

Ce qui est sûr c’est qu’on ne peut imposer par la force l’évolution d’une croyance : le communisme, Atatürk, Bourguiba n’ont pu atténuer ou encore moins faire oublier le sentiment religieux.

Ce qui est sûr aussi c’est que l’islam radical, en agressant à son tour la dignité de l’homme, ne peut que se retrouver rejeté.

Ce qui est sûr aussi c’est que pour avancer, renouer avec la prospérité, il faut une liberté quasi-totale de l’esprit. Il faut que le philosophe puisse douter de Dieu, le physicien expérimenter, l’artiste danser, peindre ou tourner… Il faut en finir avec l’innovation qui n’arrive toujours que de l’Occident.

La responsabilité historique d’Ennahdha

Si l’islam est solide et imbattable, s’il est l’œuvre de Dieu, s’il désire avoir une deuxième chance de répandre la lumière il doit accepter le défi de se voir de nouveau mis sur la sellette, analysé, discuté, revisité, adapté. Il doit être capable de se défendre non par la répression mais par le contre-argument et il en manque parfois cruellement.

Il doit tout en prêchant les règles de l’Islam, respecter et supporter Mohamed Talbi, Olfa Youssef, Nadia El Fani, Persépolis, Salman Rushdie… Tuer, amputer, balafrer l’individu pour faire vivre, enjoliver un système fut-il l’islam est à bannir. Une prison dorée est avant tout une prison.

Ennahdha a une énorme responsabilité historique. Vu l’immense assise populaire dont il jouit et tant qu’il se montrera respectueux de la démocratie et des libertés, l’opposition, dans l’intérêt de la Tunisie, ne devrait pas saboter son action tout en restant vigilante.

Ça fait des siècles que le Tunisien attend d’être libre ! Les longues queues pour voter sont les longues queues de l’espoir. Qui oserait encore une fois le décevoir ? Il semble en tous cas loin d’être prêt à se laisser flouer encore une fois !