Akram Belkaid* écrit - Les Occidentaux s’inquiètent du péril islamiste. Mais il faut d’abord constater que la transition démocratique est une réussite.


Selon les résultats officiels partiels annoncés le 25 octobre par la commission électorale tunisienne, Isie, Ennahdha prend le dessus sur toutes les autres formations aux élections à l’Assemblée constituante qui comptera 217 membres.

 

Personne n’est capable de dire comment vont se dérouler les travaux de cette future Assemblée qui aura un an pour élaborer le texte fondateur de la Deuxième république tunisienne. Depuis plusieurs semaines, les médias, notamment occidentaux, ne se posent d’ailleurs pas trop cette question.

«Les barbus, ça fait vendre coco»

Comme à leur habitude, ils ne se préoccupent que de la question des islamistes («les barbus, ça fait vendre coco»).

Ces islamistes sont-ils gentils ? Sont-ils méchants ? Vont-ils jouer le jeu de la démocratie ? Le parti Ennahdha, qui se réclame de l’Akp turc, ne pratique-t-il pas le double langage ? Ne va-t-il pas sombrer dans la surenchère vis-à-vis du courant salafiste qui cherche à le déborder sur sa droite ? Autant d’interrogations à la fois normales au vu des incidents récents comme l’attaque du bureau de la télévision Nessma par des islamistes ulcérés par la diffusion du film ‘‘Persepolis’’ mais aussi partiales car elles tendent à faire passer sous silence les succès de la transition tunisienne.

Il sera toujours temps d’aborder la question du défi islamiste, peut-être même dès le lundi 24 octobre au matin. En attendant, il est à la fois juste et important de rendre hommage aux autorités de transition qui ont gouverné la Tunisie au cours de ces derniers mois.

Certes, il y a eu des insuffisances et quelques dérapages. Ainsi, Béji Caïd Essebsi (BCE), le chef du gouvernement transitoire, semble avoir pris goût au pouvoir et aimerait bien, affirme-t-on à Tunis, rempiler alors que lui et ses ministres se sont engagés à se retirer dès l’élection de la nouvelle Assemblée.

On peut aussi citer à l’envi de nombreux événements – arrestations arbitraires, violences policières – qui ont démontré que l’ancien pouvoir et ses mauvaises habitudes n’avaient pas totalement disparu. C’est évident, la démocratie et le respect des droits de la personne humaine ont encore des progrès à faire.

Exemple dans le monde arabe

Il n’empêche. La Tunisie vient de réaliser un véritable tour de force qui mérite d’être salué. En quelques mois, ce pays a digéré la chute d’un régime implacable qui régentait toute la société. Mieux, ce pays a mis en place, sans grands heurts, un processus institutionnel qui aura valeur d’exemple dans le monde arabe. En effet, les choses auraient pu mal tourner ne serait-ce qu’en raison d’un contexte géopolitique incertain avec la guerre en Libye. Peu aidée financièrement par l’Occident ou même les autres pays arabes, la Tunisie a aussi encaissé un choc économique violent, avec notamment une baisse supérieure à 50% des recettes touristiques ainsi qu’un décrochage des exportations à destination de l’Europe.

De plus, elle a été obligée de compter sur ses propres forces pour accueillir et nourrir des dizaines de milliers de réfugiés libyens quand, en Europe, certains dirigeants démagogues s’émouvaient de l’arrivée de quelques centaines de clandestins tunisiens dans l’île de Lampedusa.

Mission accomplie

Tout cela aurait pu générer le chaos et une instabilité aussi importante que celle que connaît actuellement l’Egypte. Il n’en a rien été.

Mission accomplie donc pour le gouvernement de BCE mais aussi pour deux autres instances qui ont joué un rôle déterminant. La première est la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Présidée par le juriste Yadh Ben Achour, cette institution a été créée le 15 mars dernier et a terminé ses travaux le 13 octobre. Comptant plus de 155 membres, dont les représentants de douze partis politiques, ses acquis et apports sont nombreux malgré de nombreuses chicaneries : stricte parité hommes-femmes sur les listes électorales (une première mondiale et pas simplement arabe), exclusion des ex-membres du Rcd, l’ancien parti au pouvoir et des personnalités ayant appelé Ben Ali à se représenter en 2014, rôle modérateur dans les tensions entre partis politiques, mise en place de règles claires en matière de financement de ces mêmes partis, l’Instance présidée par Ben Achour a ainsi donné un avant-goût de ce que pourrait être la démocratie tunisienne.

Un progrès énorme

De même, cette instance a aussi préparé le terrain au vote pour la Constituante en permettant la création de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), l’autre organe qui a joué un rôle important durant la transition. Dans un pays habitué à des votes systématiquement truqués, l’Isie a promis un scrutin transparent et honnête, ce qui est un progrès énorme même s’il faudra attendre pour établir son bilan définitif.

En matière de sciences politiques, l’étude des transitions démocratiques est un vaste domaine puisqu’il couvre des cas qui vont de l’Amérique latine aux pays européens de l’ex-bloc de l’est. Jusque-là, le monde arabe était bien en peine de mettre en avant une expérience à la fois concluante et significative. C’est chose faite avec le cas tunisien et c’est déjà une victoire pour un peuple qui a eu le courage de mettre fin à un régime tyrannique.

* - Journaliste algérien basé en France.

Source: ‘‘SlateAfrique’’.