Akil Sadkaoui* écrit – La Tunisie a patienté 55 ans pour livrer un secret. Celui de sa cartographie politique, longtemps brimée, muselée, détournée… on a fini par oublier à quoi ressemblait le paysage politique.


Pendant 55 ans, les tyrans lui ont administré des lois, des programmes, des manipulations… Ils ont orchestré l’embrigadement des élites et du peuple. La pensée unique régentait le pays… jusqu’à ce fameux 14 janvier qui se voulait le point d’ancrage du vrai tournant en Tunisie, le basculement d’une dictature soutenue à une démocratie prometteuse.

 

A faire pâlir les vieilles démocraties

Une participation à faire pâlir les vieilles démocraties. Plus de 90% des inscrits se sont déplacés dans une ambiance bon enfant, patientant des heures avant de se voir accéder au bureau de vote, se débarrasser du fameux portable, encrer un annulaire, cocher une case, plier et glisser un bulletin dans une urne transparente, un sourire aux observateurs, reprendre sa carte d’identité et sortir tout fier d’avoir accompli le premier acte d’une citoyenneté tant convoitée depuis sa naissance.

Les résultats sont là et très loin des meilleures estimations avant le scrutin. D’abord, le système choisi pour ces élections, proportionnelle au plus fort reste, est vraiment très favorable aux petits partis. Les grands partis ne sont pas avantagés par ce système. Ce sont les règles du jeu définies dès le départ. L’émergence des partis de droite et centre-droit, selon la polarisation occidentale de l’échiquier politique, c’est-à-dire Ennadha et Congrès pour la république (Cpr), est nette et même assez surprenante tant au niveau des voix exprimées en leur faveur que du nombre de sièges. Les partis de gauche sont arrivés loin derrière. Le parti Al Aridha constitue la vraie surprise de ce scrutin !!

A partir des premiers résultats, des enseignements peuvent être tirés. Pouvons-nous continuer à considérer Ennahdha comme un parti extrémiste ? Avons-nous plus de 40% des Tunisiens qui sont devenus des extrémistes le laps d’une révolution ? Le peuple de Tunisie, en plus d’adresser une leçon au monde entier, a mis du plomb dans les approches des analyses qui lui ont été présentées avant l’élection.

Désormais, ce sont les classes les plus populaires qui votent massivement pour les partis de droite et centre-droit, la bourgeoisie et les intellectuels ont voté pour les partis de gauche. Faut-il revoir cette polarisation classique empruntée aux démocraties occidentales ou bien proposer un autre schéma pour mieux décortiquer la vie politique surtout qu’avant le scrutin tous les partis se sont évertués à expliquer que la Tunisie se gouvernait au centre ?!

Une vraie leçon de transformation

Il est intéressant de saluer l’absence de triomphalisme, d’arrogance de la part des vainqueurs et l’acceptation dans la dignité des résultats de la part des partis qui ont choisi de revoir leurs copies pour les prochaines échéances électorales. Nous sommes sur la ligne de démarrage de ce nouveau processus démocratique, des erreurs ont été commises, des faux jugements ont été relayés, des écarts ont été observés… parions que les différents acteurs politiques seront meilleurs pour les prochaines élections législatives et présidentielles.

La Tunisie a offert à la planète une vraie leçon de transformation. Débarquement d’un dictateur sans un bain de sang, multipartisme, liberté d’expression, promotion de la société civile… et organisation des élections ouvertes et transparentes, avec un sens des responsabilités et un esprit aigu de citoyenneté. Le tout en neuf mois, tout en limitant la casse aussi bien sur le plan économique, sécuritaire… Bravo la Tunisie !

Obama a été le premier à féliciter la Tunisie de sa capacité à changer le cours de l’histoire. L’Autriche attend la constitution du nouveau gouvernement pour engager de nouveaux investissements, la Finlande… La France conditionne son aide au respect des droits de l’Homme par le nouveau gouvernement ! Incorrigible !

Ô miroir, que de reflets !