Skander Hendaoui écrit – Les images du lynchage et du meurtre du despote libyen s’apparentent à une «expérience d’initiation forcée à la barbarie».
Les images du lynchage de Kadhafi abreuvent vos écrans d’horribles séquences et se suivent les unes les autres telles les épisodes d’un film d’horreur. Alors puis-je tenter un qualificatif ?
Voilà un film montrant en gros plan des actes d’obscénités sadiques accompagnés de cris de jouissance. Cela ne répond-il pas à la définition de la pornographie ? Une pornographie de guerre. Les acteurs en sont des révolutionnaires et un vieux tyran patriarcal, dernière figure de l’anti-impérialisme.
Bénévolat ou mercenariat des bourreaux
Le cadreur chevronné ne nous fait perdre aucun détail abject de la séquence. Le décor est une terre arabo-musulmane. La bande son est blasphématoire : des paroles sacrées scandées sur fond de torture cruelle en totale contradiction avec tout précepte religieux.
Maintenant, interrogeons-nous quant à l’heureux auteur du script ? Ne serait-ce pas l’Otan ? Oui, l’Otan, artisan principal de l’arrestation de Kadhafi, et dont les avions ont bombardé la tête du cortège de véhicules civils emportant ce dernier avant d’avertir les révolutionnaires du Conseil national de transition (Cnt) libyen au sol pour «finir le travail».
L’ardeur mise dans le travail nous questionne sur le bénévolat ou mercenariat des bourreaux.
Une chaine de commandement qui a donc omis de donner l’ordre à ses forces spéciales au sol de garder Kadhafi vivant.
Il faut donc croire naïvement que l’Otan n’a pas prévu ce lynchage.
Comme tout bon scénario, il est tendancieux : il réhabilite l’image du barbare islamo-arabe sanguinaire que la droite néoconservatrice américaine tente de nous vendre depuis le 11 septembre 2001 à travers la théorie du choc des civilisations.
Il véhicule aussi l'idée que tout ennemi de l’empire finit dévirilisé comme le furent les prisonniers d’Abou Ghraib humiliés dans une mise en scène macabre.
Et le spectateur ? Qu’en est-il ? Car ce film a été fait à votre attention. Combien de fois avez vous vu et revu ces images dans l’intimité partagée avec votre écran ? Dans le dégoût ? La fascination ? Le voyeurisme ? Voilà de quoi flatter vos instincts les plus vils et exciter votre cerveau reptilien.
Applaudir le supplice mérité
Alors chacun y va de son commentaire, le sadique qui exulte de plaisir, le compatissant qui trouve cela inhumain. Mais il est plutôt recommandé d’applaudir le supplice mérité que les bourreaux infligent à Kadhafi pour que vous aussi deveniez aussi monstrueux que tous ces protagonistes. Car si vous n’en jouissez pas c’est que vous êtes du côté de l’infâme guide libyen. Honte à vous !
Mais en réalité, notre esprit est ainsi fait : il nous interdit toute neutralité. Il compatit pour la victime ou s’identifie au bourreau ivre de vengeance. Alors si l’indifférence est émotionnellement impossible, voyez-vous ou cela nous mène ?
Cela nous mène bien loin, au-delà du terrain de l’information, vers autre chose...
Cette autre chose que je nommerais «expérience d’initiation forcée à la barbarie». Oui ! Vous ne le savez pas mais vous venez d’être initié et désensibilisé au spectacle de la boucherie humaine. Et le nouvel initié que vous êtes ne sera plus jamais le même, prêt à supporter ce qui va suivre... car l’agenda de guerre est plein.