L’auteur, journaliste et chef d'entreprise français basé en Tunisie, lance un appel à ses amis français, qui ont mal accueilli les résultats des élections tunisiennes, les invitant à saluer la victoire de la démocratie en Tunisie.
Par Bruno Walther*
Chers amis français...
Depuis dimanche, vous tentez de transformer le printemps tunisien en hiver islamiste.
Je vais probablement choquer certains d’entre vous mais je me réjouis du bilan des élections en Tunisie.
J’en entends déjà certains s’étrangler : «Quoi mais comment se réjouir de la victoire d’Ennahdha, quel cynisme ?»
Oui, je l’assume, le résultat des élections est une bonne nouvelle pour la Tunisie, la démocratie et le monde libre.
Le pathos des «belles âmes européennes»
En tant que démocrate, je ne boude pas mon plaisir de voir une nation s’émanciper et prendre le chemin de la démocratie.
Abandonnons cinq minutes le pathos des «belles âmes européennes» et de «l’intelligentsia moderne autoproclamée» et soyons un peu factuel.
Le peuple tunisien réussit à se libérer seul de la dictature et à lancer un mouvement d’émancipation démocratique que nous n’avions pas connu depuis 1989.
En neuf mois, la petite Tunisie a bâti un processus électoral exemplaire avec une Haute autorité dont l’intégrité pourrait servir de modèle à bien des démocraties occidentales. A reconstruit les listes électorales vérolées par le benalisme. A légalisé les partis politiques interdits sous la dictature, libéré les prisonniers politiques, appris à faire de la politique et à dialoguer.
Sur la forme, le processus électoral s’est déroulé dans une concorde remarquable pour un pays qui vivait, sur fond de récession et de crise économique, la première expérience démocratique de son histoire.
Sur le fond, du Cpr à Ennahdha en passant par Ettakatol, les grands gagnants de ces élections sont les partis et les personnalités qui ont eu un comportement exemplaire sous la dictature et qui affichent un haut degré de probité morale.
Le message envoyé par le peuple tunisien est limpide. Il souhaite tourner définitivement la page du Benalisme. En finir avec les pratiques de la dictature mais aussi avec un modèle de développement économique basé sur l’irresponsabilité sociale et la prédation économique. Avec une administration, kafkaïenne en grande partie corrompue, construite, de Bourghiba à Ben Ali, non pas pour servir le peuple mais pour le contrôler.
Quitte à continuer à choquer mes amis français, la seule chose qui me choque, en tant que démocrate, est le score invraisemblable d’Al-Aridha qui démontre la puissance du régionalisme et des réseaux Rdcistes.
Vous allez me dire Ennahdha a un double discours.
Peut-être. C’est souvent la plaie des partis politiques de faire du mensonge une stratégie de prise de pouvoir.
Mais de grâce tentons de sortir de la dialectique mortifère issue du Benalisme et de raisonner librement en faisant abstraction de vingt-cinq ans de propagande.
L’hystérie des journalistes français
Jugeons simplement sur pièce. Et n’oublions pas que c’est sur la base de ce programme qu’Ennahdha a conquis le cœur des Tunisiens. Qu’Ennahdha abandonne son programme, dérive et le peuple tunisien saura se mobiliser.
Je vous le dis directement, vu de Tunis, l’hystérie des journalistes français contre Ennahdha est aussi ridicule que les cris, en 2007, d’une partie de la gauche française qui nous expliquait que Sarkozy était une réincarnation d’Hitler.
La Tunisie est indéniablement une démocratie. La première du monde arabe. Et c’est une très belle nouvelle.
Maintenant vous allez me dire, mais comment peux-tu investir dans un pays gouverné par des islamo conservateurs où le risque d’instabilité est si fort ?
Et bien là je vais achever de vous choquer.
Ce qui menace la Tunisie ce n’est pas l’extrémisme religieux. La Tunisie est un pays historiquement ouvert et pacifique. Un des rares pays au monde qui n’a jamais déclaré la guerre à ses voisins et qui n’a jamais massacré ses minorités. Après plus de 2000 ans de pacifisme la Tunisie ne va pas se transformer, par enchantement, en peuple guerrier et intolérant. 50 ans après l’indépendance, la Tunisie est juste en train de retrouver son identité arabe et musulmane. Et c’est plutôt une bonne chose.
Non ce qui menace la Tunisie aujourd’hui c’est la misère, la crise économique et les insupportables inégalités sociales.
Et cette misère a une cause la corruption. Elle gangrène l’ensemble de la société, pervertie les valeurs et plombe l’économie.
En Tunisie, après 25 années de benalisme, le modèle d’enrichissement ne passe pas par la création d’entreprise, l’innovation ou l’effort. Non c’est le règne du piston, des commissions et des bakchichs.
La corruption est devenue une machine à détruire la croissance, à casser les entreprises, à décourager l’effort et à faire fuir les investissements étrangers.
Et disons-le clairement il n’y aura pas de croissance durable et de créations massives d’emplois en Tunisie tant que la corruption ne sera pas sévèrement combattue, que l’effort ne sera pas récompensé et les richesses mieux redistribuées.
Ce qui menace l’investissement c’est clairement la corruption. Derrière chaque douaniers, inspecteurs des impôts, affairistes se cache un prédateur potentiel qui risque de vous braquer votre capital et vos économies. Valoriser l’effort et le respect dans une société où l’incivisme et l’individualisme extrême ont été érigés en modèles est un défi quotidien.
Le plébiscite des partis intègres
De ce point de vue, le résultat des élections est une bonne nouvelle.
En balayant les partis politiques issus de l’ancien régime et en plébiscitant les partis intègres qui proposent une société, moins individualiste et plus juste, les Tunisiens ont envoyé un mandat impératif aux nouveaux élus : la justice.
La justice pour que les criminels et les corrompus de l’ancien régime soient enfin inquiétés.
La justice économique pour que la richesse tunisienne ne soit plus confisquée par une artistocratie autoproclamée et massivement corrompue.
La justice sociale pour que la dignité des plus faibles soit enfin respectée.
En nettoyant le système, en moralisant la vie politique et en s’attaquant fermement à la corruption, la Tunisie peut enfin se donner les armes pour créer une croissance durable capable de créer des emplois.
Les grands gagnants des élections en Tunisie ne sont pas les intégristes mais les intègres !
Et c’est définitivement en Tunisie que se dessine le monde de demain, avec ses incertitudes et ses promesses.
* Spécialiste du marketing Web, directeur de la société française CaptainDash implantée en Tunisie en juin 2011.