Abderrazak Lejri * écrit – Les conditions d’efficacité de la nouvelle instance permanente et indépendante pour les élections.
Je pense que personne ne conteste l’effort titanesque de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) et la probité de ses membres à qui on doit le succès du scrutin de 23 octobre.
Le flottement concernant les inscrits volontaires et ceux additionnels a été reconnu par l’instance et nous espérons que dans le bilan du traitement des données de la liste électorale, elle tirera les enseignements des défaillances ayant entaché ces données :
- l’identifiant constitué du N° de la Carte d’identité nationale (Cin) associé à la date d’émission créant d’énormes problèmes pour ceux qui ont obtenu leurs nouvelles cartes d’identité à la dernière minute ;
- les doublons ;
- les cartes d’identité non valides au niveau d’une des informations ;
- les attributs disqualifiants mais peu probables telles que date de naissance erronée pour ce qui est de la majorité ;
- les problèmes de recoupement avec les fichiers de l’état civil pour ce qui est des décès (il paraîtrait que Kamel Jendoubi lui-même a eu la surprise de découvrir lors des tests que sa mère pourtant décédée apparaissait sur les listes électorales !);
- l’inextricable problème d’identification des Tunisiens à l’étranger qui pourtant disposent des passeports et de cartes consulaires en règle.
Il faut admettre que l’Isie, compte tenu des délais, n’avait pas d’autre choix que de se baser sur le fichier disponible du ministère de l’Intérieur (et de l’état civil, les collectivités locales relevant de ce même ministère) qui attribue les cartes d’identité nationale et les compétences du Centre national informatique (Cni) qui dépend d’un autre ministère.
Une polémique a d’ailleurs surgi de la part de puristes qui sont montés au créneau pour contester cet état de fait et ont émis des soupçons légitimes quant à la non totale indépendance de ceux qui étaient en charge du traitement de l’information et sur la fiabilité contestée de ces données et leur exploitation.
On peut regretter que si en gros le système de traitement de l’information a bien fonctionné, au moment où la Tunisie se prévaut d’un leadership en Tic en Afrique et exporte des compétences en Business Intelligence (BI), Kamel Jendoubi n’ait pas été outillé pour répondre en temps réel lors de ses dernières conférences de presse à des questions élémentaires sur le pourcentage des femmes votantes ou d’autres de cet acabit.
L’identifiant unique, base efficace univoque pour les données du prochain fichier électoral
En termes techniques, l’identifiant unique est un simple numéro d’ordre attribué séquentiellement et automatiquement de façon aléatoire à toute personne de la population tunisienne sur la base d’attributs qui sont des invariants ‘Nom, prénom, prénom de la mère, prénom du père, prénom du grand père, sexe, date de naissance’ qui font qu’il est mathématiquement impossible qu’il y ait plus d’une personne ayant le même identifiant.
Ceci n’est pas un concept théorique mais bien un projet réel opérationnel au niveau du Centre de recherche et d’étude en sécurité sociale (Cress) qui est un organisme national indépendant créé par les deux caisses Cnss et Cnrps qui a requis deux années de réflexion à plus de vingt experts et dont l’automatisation a duré plus d’un an.
La base des données sécurisée appelée Répertoire national des bénéficiaires de la sécurité sociale (Rnbss) qui, à moyen terme, va mémoriser les informations identificatrices de plus de 7 millions de Tunisiens a pour ambition de faire en sorte que le jour où les municipalités seront toutes connectées, l’Identifiant Unique (IU) soit automatiquement attribué à la déclaration de naissance, accompagne l’individu durant toute sa vie jusqu’à son décès et qui ne concernerait plus uniquement les assurés sociaux.
Le logiciel correspondant traitant les informations en mode bilingue se base sur l’Arabe qui est plus fiable dans la détection des doublons, se base sur un dictionnaire électronique des noms propres tunisiens (que le Cress bien qu’il s’est dépensé pour le constituer et enrichir se fera certainement un devoir de l’offrir à la nouvelle instance), fait l’objet de contrôles de cohérence draconiens et a été conçu dans une optique d’entrepôt de données (Datawarehouse).
Les nouvelles possibilités technologiques peuvent être davantage mises à profit
Je conseille vivement à l’instance qu’il est projeté de rendre permanente d’abandonner la référence au N° de la Cin comme premier critère d’accès et de se rapprocher de cet organisme national qui a toutes les compétences pour l’aider à monter en charge le nouveau fichier électoral (l’assainissement des données étant une affaire de professionnels) qui peut être aisément disponible avant les prochaines élections législatives et présidentielle et de bâtir elle-même son nouveau système.
Pour ce qui est de la conception et la mise en œuvre du système, la nouvelle instance ne pourra pas faire l’économie d’un recours à de l’assistance extérieure nationale, mais une fois le système opérationnel, il est impératif que son exploitation soit exclusivement permise à son propre service informatique interne, l’accès aux données devenant formellement interdit à toute personne extérieure à l’instance ou interne non habilitée.
Au-delà de la base des données signalétiques permanentes du fichier électoral, les possibilités d’amélioration sont inépuisables pour ce qui concerne l’édition de badges magnétiques tenant lieu de cartes électorales permanentes exploitables par lecture automatique sans aller jusqu’au vote via le Web et pour optimiser automatiquement et rendre intelligente la répartition des électeurs lors des opérations physiques de vote (à l’école Bilel d’El Menzah le délai d’attente pour la salle 1 a duré de 7h30 jusqu’à 13h30).
L’automatisation peut améliorer aussi la dernière phase du processus pour un dépouillement rapide et une production de résultats complets à temps (l’Inde qui est la plus grande démocratie avec près d’1 milliard d’individus et avec toute son étendue géographique traite les opérations de ses scrutins électoraux en peu de jours).
Nous avons constaté que malgré la personnalité de Kamel Jendoubi dont personne ne doute de la probité, les atermoiements et les reports successifs d’annonce des résultats certainement motivés pour la bonne cause, n’ont pas empêché certains esprits chagrins d’émettre des doutes sur ces retards.
Nous ne savons pas quels étaient les consignes et moyens de sécurité d’accès physique et électronique aux données de l’élection de la constituante, mais l’amateurisme ne doit plus être de mise pour bâtir et sécuriser la nouvelle base de données électorales (les solutions sécuritaires draconiennes doivent et peuvent être instaurées) avec les nouvelles possibilités technologiques du moment.
Ces données couplées à des processus de Business Intelligence pourraient entre autres lors des prochaines conférences de presse, fournir par un simple click des agrégats statistiques aléatoires en une minute en plus des innombrables résultats analytiques obtenus en back office par croisement des critères variés permettant d’avoir :
- un constat éclairant du paysage électoral ;
- des moyens de projection et de simulation fiables des données électorales.
Exemple d’un écran de visualisation du système du Cress.
* Informaticien, chef d’entreprise.