La France, qui a été la dernière puissance occidentale à lâcher Ben Ali, est à nouveau la dernière quand il s’agit de fêter avec les Tunisiens la démocratie naissante.

Par Ignacio Cembrero


 

La France a été mesquine vis-à-vis de la Tunisie qui accouche d’une démocratie. Son ministre des Affaires Étrangères, Alain Juppé, a certes salué «le bon déroulement des premières élections libres en Tunisie», mais il n’est pas allé au-delà. Pas un mot pour féliciter les vainqueurs à commencer par les islamistes d’Ennahdha. Pas un mot non plus pour souligner la volonté de Paris de travailler avec le nouveau gouvernement issu des urnes.

Les remontrances de Juppé

Au contraire, les messages émis à Paris sont parsemés de remontrances. Ils sont «comminatoires», écrit le site ‘‘Leaders’’ de Tunisie. «La France sera vigilante sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques» en Libye et en Tunisie, a prévenu mercredi le président Nicolas Sarkozy lors du dernier conseil des ministres, comme si la situation dans les deux pays était comparable. Et puis Juppé en a rajouté une couche évoquant «les lignes rouges à ne pas franchir». «On va être très vigilants et nous avons des moyens d’exprimer cette vigilance», a-t-il menacé.

Enfin Bernard Valero, le porte-parole du Quai d’Orsay, s’est refusé vendredi à commenter les résultats officiels des élections que venait de rendre public le jour même l’Isie, l’organe indépendant tunisien qui les a organisées, sous prétexte qu’ils n’étaient pas encore définitifs. D’après Ridha Torkhani, l’un des responsables de l’Isie, on ne connaîtra les résultats définitifs que vers le 10 novembre, mais ils ne varieront guère par rapport à ceux annoncés vendredi.

On peut certes s’inquiéter légitimement des intentions, sur le moyen ou le long terme, d’Ennahdha. Mais d’abord il faut être bon prince et se réjouir du démarrage de cette expérience démocratique en Afrique du Nord, manifester sa volonté de l’épauler, de travailler main dans la main avec les nouveaux représentants du peuple tunisien.

La France était bien moins vigilante du temps de la dictature du président Zine el Abidine Ben Ali dont le système politique était considéré comme un modèle par nombre de dirigeants gouvernementaux français. Faut-il encore rappeler que la ministre des Affaires Étrangères, Michèle Alliot-Marie, avait offert le 11 janvier, trois jours avant la chute du dictateur, «le savoir faire des forces se sécurité [françaises] reconnu dans le monde entier» ? Cette aide aurait pu permettre, selon la ministre, de «régler des situations sécuritaires de ce type». En Tunisie il n’y avait donc, d’après elle, qu’un problème sécuritaire que Paris pouvait contribuer à résoudre.

Maroc-Tunisie : deux poids deux mesures

La réaction des autorités françaises après le dépouillement en Tunisie est à l’opposé de celle qu’elles ont eu, par exemple, après le référendum constitutionnel du 1er juillet au Maroc que les jeunes du Mouvement du 20 février, l’opposition de gauche, un syndicat et les islamistes de Justice et Spiritualité ont boycotté. «Il apparaît d’ores en déjà que le peuple marocain a pris une décision claire et historique», avait déclaré Juppé. «Nous saluons la forte participation du peuple marocain à ce référendum», avait-il ajouté.

La participation a été au Maroc, d’après le ministère de l’Intérieur, de 72,65%, mais ce chiffre ne prend pas en compte les millions de Marocains adultes non inscrits, souvent volontairement, sur les listes d’électeurs. Si on les prend en considération la participation réelle a été à peu près de 40%, selon, par exemple, l’intellectuel laïc Fouad Abdelmoumni ou le mouvement islamiste Justice et Spiritualité.

La réaction de l’ancienne puissance coloniale en Tunisie contraste aussi avec celle des ses partenaires européens. Tous, à commencer par Berlin ou Rome, se sont empressés de se réjouir de la tenue d’élections libres. Madrid, de son côté, «félicite les partis» tunisiens représentés à l’Assemblée Constituante et offre ses bons services pour rédiger une Constitution démocratique. Londres ne demande qu’à «travailler étroitement avec le nouveau gouvernement». En Europe c’est, sans nul doute, Catherine Ashton, la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, qui est allé le plus loin en félicitant «le parti Ennahdha qui a recueilli le plus grand nombre de voix».

Les Américains, eux, ont devancé tout le monde en matière de louanges et d’encouragements à la nouvelle Tunisie. Aux félicitations du président Barack Obama s’est ajoutée l’intervention de l’ambassadeur américain à Tunis, Gordon Gray. Que le futur Premier ministre tunisien, probablement Hamadi Jebali, soit islamiste ne lui pose guère problème.

«L’administration américaine travaillera avec le prochain gouvernement tunisien quelle que soit sa composition dans le mesure où ce gouvernement reflète le choix tu peuple», a déclaré d’emblée l’ambassadeur à Tunis au moment même ou à Paris le porte parole du Quai d’Orsay en était encore à refuser de commenter le résultat des élections tunisiennes.

«L’administration américaine n’a pas de réserves concernant la réussite d’Ennahdha aux élections à la Constituante parce qu’il s’agit d’un parti islamique», a-t-il ajouté. «Le mouvement Ennahdha a souligné, à plusieurs reprises, son engagement à adopter un régime civil», a-t-il rappelé. Du coup les Américains vont mettre en marche trois initiatives, modestes mais symboliques, d’appui à la relance économique de la Tunisie.

La France qui a été la dernière puissance occidentale à lâcher Ben Ali est à nouveau la dernière quand il s’agit de fêter avec les tunisiens la démocratie naissante.

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