Après plusieurs années de mise à l’écart, Ennahdha est de nouveau sur le ring politique. A-t-il pourtant pris la mesure du combat qui l’attend et des pièges à éviter ?

Par Jamel Dridi *


 

Comment Ennahdha va-t-il gérer cette victoire électorale ? Aura-t-il un jeu de jambes politique assez souple et rapide ? Va-t-il honorer la confiance que le peuple vient de lui prêter (et j’utilise expressément le mot «prêter») ? Ennahdha a-t-il bien diagnostiqué les problèmes quotidiens du Tunisien ? Le remède sera-t-il le bon ? Car, au fond, là où va résider la victoire ou l’échec de ce parti, c’est sur sa capacité à ne pas se tromper sur les attentes du peuple et les solutions qu’il va apporter.

Le principal piège à éviter

Quand on a demandé à Erdogan (Premier ministre turc et leader de l’Akp) pourquoi son parti avait même réussi à convaincre les chefs d’entreprise, les intellectuels de la société civile, etc., qui lui étaient pourtant férocement hostiles au départ, il a répondu par une phrase qui a surpris mais qui, au-delà de sa simplicité, recèle un précieux conseil pour tous ceux qui prennent son parti pour modèle. Il a répondu que son parti «ne s’occupait pas de religion» !

Etonnante réponse, vous ne trouvez pas ? Comment se fait-il que ce parti, connu pour ses valeurs religieuses déclarées, a décidé de ne pas s’occuper de religion ? N’est-ce pas un non-sens ?

En fait, il y a là une immense leçon de politique. Comme les Ennahdistes, les Akapistes ont connu «le beau luxe des prisons turcs» et ont été interdits quelque temps de politique. Cet exil intellectuel et politique forcé a donné du temps à l’Akp pour comprendre finement son environnement, s’y adapter et se défendre face aux menaces.

Effectivement, tant ses opposants occidentaux, à l’extérieur du pays, que ses opposants, internes, notamment l’appareil militaire turc, mais aussi le monde de l’entreprise, attendaient un faux pas sur des questions de liberté religieuse, de droits individuels, de statut de la femme, etc. Ils pensaient par ailleurs que sur le terrain de la diplomatie extérieure et économique, son point faible, l’Akp allait pitoyablement échouer.

Comme on le sait, ce fut une erreur. La raison est que, bien en amont, les leaders de l’Akp ont vu les pièges et ont donc manœuvré pour les éviter. Bien sûr, comme Ennahdha qui semble avoir compris l’importance de la communication, l’Akp a fait un excellent marketing politique. Mais cette communication politique ne fut bien sûr pas suffisante. Car l’Akp a aussi réussi sur la scène internationale en s’assurant l’alliance d’états comme les Etats-Unis, alliance si forte que ces derniers ont même lâché l’armée à l’avantage de l’Akp à l’occasion de l’affaire du complot de coup d’Etat (dite affaire Armaguedon).  Mais, surtout, le plus beau succès a été sur le terrain économique avec une lutte efficace contre la pauvreté et le chômage. Pour rappel, la Turquie fait partie du G20 et vise une place dans les 15 premières puissances économiques mondiales d’ici 10 ans !

Ennahdha fera-t-il de même ? A-t-il compris que le Tunisien n’avait bien sûr pas besoin d’intermédiaire entre lui et Dieu et qu’il fallait mettre rapidement en place des solutions non pas pour gagner le paradis mais pour gagner des points de croissance.

Le temps est l’union

Monter sur le ring politique est toujours possible. Y tenir debout face a l’avalanche de coups qui vont pleuvoir va être beaucoup plus compliqué. L’esquive politique doit être maîtrisée pour s’économiser et ne pas tomber dans des combats futiles. Par contre, il va falloir rapidement, dans le cadre d’une coalition respectueuse des autres partis*, même s’ils sont plus petits, boxer durement certains adversaires, en premier le chômage, la corruption et l’isolement des régions intérieures.

La démocratie a parlé. Ennahdha a une légitimité populaire incontestable. Mais l’état de grâce ne durera pas (d’ailleurs, les premiers coups médiatiques pleuvent) et des résultats rapides et concrets doivent être au rendez-vous sous peine d’un KO debout qui fera sortir Ennahdha de la scène politique encore plus vite qu’il n’y est entré et plongera sans doute la Tunisie dans une période difficile.

*(S’agissant de la nécessité d’une coalition élargie, non seulement elle est nécessaire au niveau de la stratégie politique mais aussi au niveau du besoin de ne pas se priver de forces patriotes et qui veulent sincèrement réformer le pays. J’ai personnellement écouté Mustapha Ben Jaâfar et Moncef Marzouki. Deux hommes qui semblent droits, honnêtes et qui cherchent à faire avancer culturellement, économiquement et socialement la Tunisie. A mon sens, s’ils les acceptent, ils doivent avoir des postes ministériels clefs ! Sur le même registre, l’appel à toutes les compétences des Tunisiens doit être fait. Certains économistes, hauts fonctionnaires, etc., même s’ils ont eu un rôle sous l’ancien régime, ont des compétences précieuses dont il serait dommage de se priver. Ces Tunisiens aiment aussi leur pays et doivent, dans la mesure où ils arrêtent de se croire royalement supérieurs au peuple, jouer un rôle.

Les temps commandent que l’on ne soit pas éternellement prisonnier du passé. Il faut avancer.

Blog de l’auteur.

* - Tunisien résident en France.