Mohamed Walid Draoui* écrit – Qu’est-ce qui dans les paroles et les actes d’Ennahdha peut être attribué à ses dirigeants conciliants et/ou à sa base intransigeante ?
Avant les élections du 23 octobre, les prêches et les discours politiques dans les mosquées par des imams autoproclamés ainsi que les cas d’intimidation dans les lieux publics envers des femmes non voilées ont toujours été déplorés par les dirigeants du mouvement Ennahdha qui les qualifiaient d’actes isolés n’engageant pas le mouvement. Dans tous les cas de figure, ces actes ne pouvaient pas être l’œuvre de sympathisants d’autres partis qui ne sont pas du tout gênés par le mode de vie actuel des Tunisiens !
Parallèlement, le discours officiel, repris harmonieusement et magistralement par tous les dirigeants du mouvement, a toujours été équilibré, tolérant, ouvert, démocrate et mielleux, trouvant un écho indéniable auprès d’une large frange de la population.
Des dirigeants aux CV brillants
A un moment donné et d’une manière péjorative, ce discours a même commencé à flirter avec celui des partis qui se déclarent viscéralement laïques, tellement il diffère de celui d’un parti à tendance islamiste. Le programme électoral du mouvement est lui aussi conçu dans cet esprit, brassant tous les aspects d’un Etat moderne, tolérant et démocrate.
Maintenant que les élections sont terminées, les taux sont connus, les alliances sont presque établies et même les plaintes déposées ne changeront rien à la nouvelle carte, qu’est-ce qui caractérise la relation entre le commandement du mouvement et sa base?
D’une manière purement objective, force est de constater que la base du mouvement, constituée théoriquement des électeurs qui ont voté pour la «colombe bleue», sigle du parti islamiste tunisien, n’est pas toute formée de docteurs, universitaires, avocats et éminences grises à l’instar des dirigeants du mouvement dont les CV plus que brillants et le degré d’intelligence peuvent leur conférer, je présume et je l’espère, un minimum d’esprit de discernement ; mais cette base est constituée d’un mélange de personnes dont les situations socioprofessionnelles, le niveau intellectuel, les tranches d’âge sont disparates. Emportées par l’euphorie de la victoire du mouvement, certaines personnes peuvent s’adonner arbitrairement à des manœuvres, initiatives personnelles et prises de position dans des champs d’actions réduits (quartiers, lieux de travail, établissements éducatifs, universités, lieux publics), guidés dans la foulée par le sentiment de la victoire d’une part et c’est compréhensible mais, peut être, également, par un sentiment de religiosité supérieur aux autres, ce qui laisse leurs actes complètement en discordance flagrante et manifeste avec le discours officiel du commandement du mouvement qui suit toujours la même trajectoire, se voulant tolérant et clément...
Le commandement du mouvement face sa base
Personne ne peut nier le sens de l’organisation du mouvement Ennahdha, une montre suisse suis-je tenté de dire, d’ailleurs si ce n’était pas le cas, les résultats du scrutin n’auraient pas été tels qu’ils le sont là. Cette organisation est construite d’une manière pyramidale pour se trouver à proximité des citoyens avec des bureaux régionaux et locaux ainsi que des militants sillonnant et quadrillant chaque coin de rue, côtoyant les gens dans leur vie quotidienne sans être, dans la plupart des cas, envahissants mais, il faut l’avouer, un vrai travail de fourmis. Charge à ces responsables locaux et régionaux d’empêcher ces actes et de redresser la barre, s’il y a une réelle conviction d’appliquer ce qu’on ne cesse de répéter dans les discours officiels.
Pour rester objectif, je relativiserai ce constat en disant que ces actes, peuvent être attribués aux sympathisants du mouvement Ennahdha, mais également et ce n’est pas à écarter, aux sympathisants d’autres mouvements connus pour être plus radicaux et intransigeants sur certaines idées.
Dans tous les cas de figure, une prise de position claire, ferme et sans nuances devrait être annoncée par Rached Ghannouchi et ses compagnons de route, d’autant que pour le commun des mortels, et à défaut de signes distinctifs pouvant aider à identifier l’appartenance des auteurs de ces actes, toutes les interprétations restent plausibles mais difficilement vérifiables, même celles qui convergent vers la responsabilité exclusive du mouvement Ennahdha.
Certains vont évoquer l’époque où l’ancien régime persécutait les sympathisants à tendance islamiste par l’interdiction, parfois agressive, du port du voile ou des pratiques touchant à la politique. Ce vécu, révolu, ne doit en aucun cas être ressuscité, même progressivement, en allant faire de même actuellement à celles qui ne s’appliquent pas une certaine tenue vestimentaire ou à ceux dont les tendances politiques sont diamétralement opposées…
C’est une manœuvre très hasardeuse et dangereuse en même temps, même si c’est fait pour sonder les réactions adverses, puisque ça peut amener également à ressusciter des actes encore plus barbares et ce, dans un esprit de revanche, de vengeance et d’échange de bons procédés… Rached Ghannouchi n’a-t-il pas déclaré, dans un esprit rassurant certes, sur HannibalTV, que «ce n’est nullement l’intention des Nahdhaouis, même si les domiciles de certains tortionnaires sont connus» ?!
C’est rassurant certes et la justice fera son travail, j’en conviens, mais peut-on empêcher un acte isolé dans ce cas, de la part d’un fervent sympathisant croyant bien faire ? Le mouvement est, actuellement, catégoriquement contre ce mode opératoire…
Une démarcation du mouvement Ennahdha des autres mouvements, jugés plus radicaux est plus que jamais à l’ordre du jour actuellement, sauf que là, les dernières déclarations de Rached Ghannouchi ne versent pas dans cet esprit puisqu’il ne voit pas d’inconvénient à ce que ces mouvements soient légalisés, même s’il a insisté sur le fait que leur légalisation ne voudrait en aucun dire permettre d’enfreindre les lois. Mais justement, de quelles lois parle-t-on ?! Veut-il les faire sortir de la clandestinité pour mieux les maîtriser ? Une arme à double tranchant, je pense…
La balle est dans le camp des vainqueurs !
* Cadre bancaire.