L’opposition a raté le rendez-vous du 23 octobre. Il va falloir que la société civile reprenne son combat pour préserver les acquis de la Tunisie et veiller au respect des objectifs de la révolution! Et ne compter que sur elle même.
Par Rachid Barnat
La veille du 23 octobre, date de la fin du mandat des constituants que la société civile et les réseaux sociaux attendaient impatiemment, en rappelant sans cesse cette date butoir et l’engagement pris par les partis pour la respecter, par respect pour les Tunisiens, l’opposition a accepté la prolongation de la «légitimité» des constituants sous conditions:
- la dissolution des Comités pour la protection de la révolution, qui sont devenus, comme chacun sait, des milices au service du parti islamiste Ennahdha (au pouvoir);
- la démission de Ali Lârayedh, ministre nahdhaoui de l’Intérieur;
- le remplacement des ministres nahdhaouis de la Justice et de l’Intérieur par des technocrates ou des personnalités nationales indépendantes;
- le remplacement de Rafik Abdessalem, ministre des Affaires étrangères (et gendre de Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha), qui cumule les bourdes et nuit à l’image des Tunisiens, et surtout les opposants parmi eux, qu’il dénigre dans ses communications aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger, faisant des tunisiens la risée du monde;
- le respect des règles démocratiques, bafouées par l’actuel pouvoir, rajoute naïvement Hamma Hammami, porte-parole du Parti des Travailleurs tunisiens (Ptt) et leader du Front populaire...
Un pouvoir qui s’auto-légitime avec arrogance
L’opposition rêve? Trop naïve elle aussi? En tout cas, elle s’est faite avoir, encore une fois, dans la largeur par la bande à Ghannouchi !
Des partisans de Nida Tounes manifestent le 22 octobre 2012 à Tunis (Ph. Mohamed M'Dallah).
Alors qu’on était si près du but avec une pression inégalée de la part de la société civile et de la part des réseaux sociaux, pour renvoyer chez eux tous ces incompétents qui ont précipité la Tunisie dans de graves crises dans tous les domaines, avec une perte de confiance dans le gouvernement!
Pourquoi Ghannouchi et ses hommes changeraient-ils de pratiques faites de mépris et de dédain envers l’opposition au bout d’un an de plein pouvoir?
Qu’est-ce qui fait croire à l’opposition qu’elle sera «écoutée» et respectée après avoir été ignorée durant un an par Ghannouchi et ses hommes, ceux de la «troïka» compris?
Qui peut croire en la sincérité de Ghannouchi après avoir écouté ses réelles intentions dans la fameuse vidéo «fuitée»?
D’ailleurs, la réaction n’a pas tardé: Ennahdha forte de la «reconduction de sa légitimité», acceptée tacitement par l’opposition, réaffirme avec une arrogante solennité ses pouvoirs «légitimés par le peuple le 23 octobre 2011».
Les jeunes du Front Populaire manifestent, le 22 octobre 2012 à Tunis (Ph. Mohamed M'Dallah).
Ghannouchi, par exemple, affirme qu’il n’est pas question de dissoudre la milice d’Ennahdha, ces fameux comités constitués d’ancien Rcdistes recyclés par le parti islamiste, qui «détiennent leur légitimité du peuple et de la révolution», nargue-t-il l’opposition qui continue d’exiger leur dissolution!
Ses hommes pérorent déjà avec aplomb que le gouvernement ne sera jamais remplacé par des technocrates, se revendiquant toujours d’une «légitimité électorale», à leurs yeux éternelle, et qu’une opposition lâche ou dépassée semble accepter, la mort dans l’âme...
Les constituants à pas de tortue
Et comme pour narguer les Tunisiens, les constituants ont décidé d’entamer, le 23 octobre, l’examen, en séance plénière, du brouillon de la nouvelle constitution… qu’ils ont mis un an pour rédiger. A suivre leur débat et les amendements qu’ils proposent, on comprend que, pour achever leurs travaux à ce rythme de tortue, il leur faudra encore des mois et des mois... A titre de comparaison: la France avait établi, dans le délai imparti d’un an, 3 textes qui ont été soumis aux Français, dont leur actuelle constitution!
Exemples d’amendements proposés: inscrire, dans la constitution, que jamais la Tunisie ne lâchera les Palestiniens ou encore rajouter dans l’emblème national le mot «dignité», qui rappelle l’un des objectifs de la révolution... Et pourquoi ne pas y ajouter aussi, tant qu’on y est, le mot «dégage», lui aussi emblématique de cette révolution?
Manifestation le 22 octobre 2012 devant le ministère de l'Intérieur pourdénoncer la violence politique (Ph. Mohamed M'Dallah).
Décidément, l’opposition est un vrai boulet pour la société civile, qui l’a toujours suivie jusque-là en prenant le train en marche! Alors que cela devrait être l’inverse: une opposition dans le rôle de «locomotive» pour les forces vives du pays! Pour cela, il aurait fallu qu’elle soit forte! Et donc unie! A moins que l’opposition ne prenne des chemins de traverse, avec magouilles dans les coulisses et petits calculs sans grande envergure! Si tel était le cas, ce serait un grand dommage pour une société civile qui espérait une moralisation de la vie politique de l’ère nouvelle post révolutionnaire.
Alors que l’opposition aurait pu donner l'exemple en se retirant de la constituante dont le mandat vient d’expirer! Ce que, d’ailleurs, leur a rappelé sur un ton moqueur, Samia Abbou, députée du Congrès pour la république (CpR), en les interpellant: «Que faites-vous encore dans l’Anc, vous ne deviez pas vous retirer?»
Malheureusement, il va falloir à la société civile reprendre sa lutte et son combat pour préserver les acquis de la Tunisie et veiller au respect des objectifs de la révolution! Désormais elle ne peut compter que sur elle même!