Le ministre des Affaires religieuses est plus soucieux de ses relations avec l’Arabie saoudite que du confort des pèlerins tunisiens malmenés dans ce pays.
Par Rachid Barnat
Lors d’un débat politique la semaine dernière, sur la chaîne nationale Watania1, dans l’émission ‘‘Siasa Show’’, l’animateur était surpris et agacé à la fois, vers la fin de son émission, par un «invité» qui voulait s’imposer pour faire une déclaration «importante» rectificative, assurait-il, en colère, au téléphone !
Un tempétueux ministre
L’invité surprise n’était autre que Noureddine Khadmi, ministre des Affaires religieuses, qui, depuis l’Arabie Saoudite, où il effectue un pèlerinage en famille, tenait à rectifier les informations que les médias tunisiens répandaient à propos d’incidents graves «supposés survenus» aux pèlerins tunisiens.
Il affirme que tout se passe bien et que les autorités saoudiennes sont aux petits soins des Tunisiens… Qu’il en remercie le monarque et sa famille pour tant de sollicitude envers nos pèlerins tunisiens…
L’animateur, voulant reprendre la parole, s’est fait presque gronder par le ministre en colère qui lui rappelle que ce «rectificatif» est beaucoup plus important que le reste. Car il y va des relations de la Tunisie avec les Saoudiens… et d’en remettre une louche pour les autorités saoudiennes, qu’il lui tient à cœur de ne pas fâcher!
La journaliste Oum Zied, présente sur le plateau, a été choquée par tant d’arrogance de la part de ce ministre salafiste, ancien imam de la mosquée El-Fath à Tunis, connu pour ses discours outranciers. Elle a déploré qu’un ministre du gouvernement Ghannouchi se croie chez lui dans un média national pour prendre la parole quand il veut et avec autorité pour perturber une émission… au nom de la religion!
Devant le tohu-bohu que des vidéos des «incidents» ont provoqué sur les réseaux sociaux, la chaîne nationale «a tenu» à rectifier le tir, probablement sur ordre venant d’Ennahdha, puisque l’imam Zouhair El Jendoubi, lui-même animateur d’une émission religieuse sur Watania 1, et présent sur les lieux pour raison de pèlerinage, confirmait, samedi matin, les incidents et en donnait les détails!
Il dénonçait la négligence des autorités saoudiennes et leur manque d’organisation qui ont affecté gravement certains pèlerins tunisiens. Il déplorait les réactions inhumaines et violentes de la police saoudienne et des organisateurs envers nos pèlerins…
Intègre, il reconnaît que par honnêteté intellectuelle il ne pouvait laisser affirmer par son ministre de tutelle des choses qu’il n’a pas vues étant dans une délégation officielle, mais que lui a pu voir du fait de sa proximité avec les Tunisiens ordinaires!
La suite on la connaît : des centaines de pèlerins tunisiens égarés, et 10 morts en raisons des conditions catastrophiques du pèlerinage…
Silence, on «réorganise l’islam» !
Ce ministre, on le sait, ne s’en cache plus: il est admiratif du modèle saoudien. Ayant fait ses études en Arabie Saoudite, probablement financées par une bourse saoudienne… ceci expliquerait-il cela?
En tout cas, depuis son ministère, il «réorganise l’islam en Tunisie»! Entendez, il «wahhabise» la société à tout va:
- ouverture anarchique d’écoles coraniques, où les petites filles sont séparées des garçons, avec port de voile, voire de niqab obligatoire pour certaines écoles;
- restructuration de l’université «Zitouna» et réactualisation de la section des «fatwas»;
- encadrement de la sociétés par des «bénévoles» formés pour diffuser «les bonnes pratiques» et dénoncer «les mauvaises pratiques» de la foi musulmane; autrement dit, décrier les pratiques ancestrales malékites et chaféites des Tunisiens et promouvoir le wahhabisme! Et ce, à propos, tout ce qui touche le Tunisien depuis sa naissance jusqu’à sa mort.
Ainsi ces bénévoles encadrent et organisent les rites de naissance, de circoncision, de fiançailles, de mariage, de pèlerinage, des funérailles… pour introduire les «bonnes» pratiques du «bon musulman» conformément à ce qui se pratique chez les Saoudiens!
Et voilà comment, sous couvert de faire recouvrer leur identité «arabo-musulmane» aux Tunisiens qu’ils auraient perdue, on leur colle une nouvelle identité : saoudienne en guise d’identité arabe, et wahhabite en guise d’identité musulmane! Ce qui s’apparente à un colonialisme qui ne dit pas son nom: «le colonialisme religieux»!
Les martyres de la révolutions se retourneraient dans leur tombe de savoir que ce pourquoi ils se sont sacrifiés est dévoyé par des tartufes qui veulent «wahhabiser» la Tunisie, les uns selon le modèle qatari, les autres selon le modèle saoudien... Exit donc les objectifs initiaux de la révolution : Liberté, dignité, travail !
Les Tunisiens, fiers de leur malékisme ancestral, qui a façonné leur «tunisianité», doivent lutter par tous les moyens contre ce colonialisme religieux de la même manière que leurs parents ont lutté contre le colonialisme français car, il n’y a pas de différence entre les colonialismes.
Que ceux qui admirent le wahhabisme aillent le pratiquer en Arabie et dans les pays du Golfe, car faut-il le rappeler, les responsables religieux et politiques en leur temps avaient déjà rejeté le wahhabisme qu’ils jugeaient trop dangereux pour les peuples d’Afrique du Nord.
Ce fut le cas de Hammouda Pacha, le grand réformateur tunisien, qui a dit NON à Mohamed Abdelwahhab après concertation des oulémas de la Zitouna, l’autre Zitouna, l’authentique, pas celle que l’on tente aujourd’hui de «wahhabiser»!