Ennahdha avait fait des promesses inconsidérées pour tromper les électeurs et l'on voit bien que cela lui revient comme un boomerang. L'opposition doit en retenir la leçon, s'unir, dépasser les petits egos et se donner un programme réaliste et réalisable.
Par Rachid Barnat
On vient d'assister à une tentative de remaniement ministériel qui est vraiment le degré zéro de la politique. En dehors d'un jeu de chaises musicales, avec le changement de quelques postes techniques, un remaniement devrait être l'occasion de prendre un nouveau cap et de montrer une nouvelle ambition de réaliser les objectifs de la révolution; ce qui pourrait rendre aux Tunisiens leur confiance dans le pouvoir en place.
Feuille de route ou vœux pieux?
Ici rien de tel. Le remaniement annoncé a, en réalité, deux raisons essentielles: donner l'impression du mouvement quand rien ne bouge, autrement dit changer pour ne rien changer; et satisfaire quelques appétits en favorisant tel ou tel, tout en gardant l'hégémonie des islamistes sur le pouvoir puisqu'ils conservent les postes régaliens qui posent problème à l'ensemble des Tunisiens par un comportement partisan systématique de la part des ministres qui les occupent. Ces derniers ne discernant toujours pas l'intérêt général de celui de leur parti, Ennahdha, que le Congrès pour la république (CpR) et Ettakatol suivent. Les deux partis accessoires de la troïka ont-ils d'autres choix?
Le gouvernement en place vient, par ailleurs, de donner sa feuille de route et si ce pouvoir n'avait pas en plus l'idée, évidemment non proclamée, de changer de modèle de société, on pourrait applaudir des deux mains cette liste d'objectifs mais qui n'est, en fait, qu'une série de vœux pieux.
On peut, sans être excessivement pessimiste, se demander de quelle manière ce pouvoir peut aller vers ces objectifs, lui qui, en plus d'un an, n'a strictement rien fait dans ce sens.
Avec ce genre de politique, la Tunisie n'ira évidement pas bien loin et l'opposition aurait intérêt à en tirer des leçons pour l'avenir. Il lui faudra prendre de la hauteur.
Les Tunisiens qui aspirent à la démocratie en ont assez des politiques politiciennes sans vision et sans ambition. Ils sont capables de comprendre et d'adhérer à un programme ambitieux, difficile mais dont ils sauraient la sincérité.
Depuis le 14 janvier 2011, les Tunisiens ont montré leur intérêt pour la politique et démontré une assez grande maturité: ils refusent désormais le tutorat de ceux qui voudraient encore les traiter comme d'éternels mineurs car ils sont capables de discerner les promesses populistes et mensongères!
Une période électorale va venir. Il faut mettre en garde l'opposition contre les promesses fallacieuses. Ennahdha avait fait des promesses inconsidérées pour tromper les électeurs et l'on voit bien que cela lui revient comme un boomerang. Les réactions violentes à Sidi Bouzid pour l'anniversaire de la révolution ne sont-elles pas le signe de cette désillusion? Et ce ne sont pas les «bonbons» jetés à M. Marzouki à Tozeur qui changeront quelque chose !
Vers un Front républicain unique
Nous évoquerons, dans ce qui suit, les conditions qui doivent être mises en œuvre par l'opposition si elle veut non seulement remporter les élections, ce qui est un préalable nécessaire, mais aussi, et surtout, faire progresser le pays, le faire poursuivre sa marche vers la modernité et assurer le plus de justice sociale possible.
L'opposition a un premier devoir et impératif nécessaire, c'est de s'unir!
Devant le danger d'un nouveau régime despotique à connotation islamiste dont les Tunisiens ont eu suffisamment d'avant-goûts à travers les «événements» de La Marsa, de Siliana, contre l'Ugtt, de Sidi Bouzid, de Tataouine, de Jerba... avec des appels au meurtre... et un assassinat politique...
L'expérience a montré que la multiplication des petits partis, des petits egos, conduit mécaniquement à la victoire des islamistes. Or, faut-il rappeler que par le passé, bon nombre des partis de l'opposition, pour certains idéologiquement opposés, ont pactisé pour mieux résister au tyran d'alors: Zaba! Qu'est-ce qui les empêcherait de refaire la même chose pour faire barrage à celui qu'ils avaient soutenu par le passé et qui s'avère un dictateur en herbe!
Pourquoi ne pas s'unir dans un Front républicain unique ! Ce que tous les progressistes peuvent comprendre aisément d'autant que l'islamisme représente un danger pour tous. La Tunisie et les Tunisiens ne méritent pas d'être abandonnés à nouveau à une dictature, pire que les précédentes, car elle sera théocratique... et Ghannouchi ne s'en cache plus!
En second lieu, il est clair que l'opposition ne devra pas faire, comme les islamistes, des promesses intenables et qui ne pourront que susciter le rejet et la déception. Il lui faudra tenir un discours de vérité et dire que la situation économique et sociale est grave et qu'elle a été encore aggravée par le pouvoir actuellement en place. Si des solutions existent, elles ne sont pas, de toute évidence, à effet immédiat.
Ce qu'il faut impérativement, c'est donner au pays un socle sur lequel bâtir.
Quelles sont ces solutions?
Pour qu'un pays aille bien, il lui faut une économie prospère. Dire cela est une évidence et c'est enfoncer des portes ouvertes. Ce qui est moins évident, c'est de préciser les conditions d'une économie prospère.
La première des conditions d'une économie prospère qui permette d'attirer les investisseurs est que le pays ait des institutions stables. On a bien vu que l'instabilité actuelle a entraîné la régression économique. Des études ont montré que la liberté et la démocratie favorisaient le développement économique.
Si la première condition est remplie, il faut ensuite que le nouveau pouvoir assure la sécurité des biens et des personnes et sanctionne fermement toutes les atteintes à la loi. Aucun investisseur sérieux n'engagera ses capitaux dans un pays où règne une insécurité permanente. Il y faudra donc de la fermeté.
Les trois axes essentiels pour la relance de l'économie
Des institutions stables et une politique de sécurité ne suffiront cependant pas. Il faut aller plus loin. Le nouveau pouvoir devrait articuler sa politique sur trois axes essentiels.
Il faut d'abord qu'il redonne à l'éducation la priorité que lui avait donnée le président Bourguiba. Sur ce terrain, on a assisté depuis une quinzaine d'années à une régression de l'enseignement public qui a vu se développer l'enseignement privé et même, hélas, la nécessité pour les élèves de se payer des cours particuliers, condition devenue souvent nécessaire pour réussir. Cette situation a créé de toute évidence une formation à deux vitesses et a pénalisé les gens modestes tout en n'assurant qu'à peine une formation de qualité pour les autres. Il y a là un chantier absolument prioritaire tant le développement est lié à la formation. Il faudra pour cela que le budget de l'État prévoit un effort important et durable.
Il faut aussi engager une lutte drastique contre la corruption qui mine le pays depuis trop longtemps. Or la corruption est également un frein sérieux au développement et aux investissements.
Si l'éducation a été la marque du président Bourguiba et s'il faut aller dans le même sens, la lutte contre la corruption peut être et doit être le challenge du prochain pouvoir.
Lutter contre la corruption, les passe-droits, les arrangements... c'est en réalité installer un état de droit! Et un Etat de droit est une des conditions première du développement car il assure ce dont les investisseurs sont demandeurs: la sécurité juridique et redonne la confiance aux Tunisiens dans leur justice.
Le gouvernement de Ghannouchi a cumulé les échecs dont celui de la justice qui choque et heurte les Tunisiens, quand la justice transitionnelle se transforme en justice pour règlement de compte et de vengeance! Faut-il rappeler le cas de Sami Fehri dont la détention abusive scandalise les Tunisiens et leur rappelle des pratiques qu'ils croyaient révolues depuis qu'ils ont dégagé Zaba!! Et bien d'autres cas d'injustices révélant la volonté de Ghannouchi de maintenir une justice aux ordres!
Enfin, le dernier axe de la nouvelle étape et de la nouvelle politique sera d'assurer davantage de justice sociale entre les Tunisiens et entre les régions. On a bien vu que la révolution a fait apparaître deux Tunisies, l'une de la côte plus riche et plus instruite et l'autre des régions intérieures laissées trop longtemps à l'abandon. C'est un défi difficile mais essentiel.
Aucune réussite ne viendra si ces trois projets ne sont pas menés avec diligence, volonté réelle, sérieux et persévérance.
Voilà la plateforme que des partis d'opposition pourraient adopter et dans laquelle tous devraient se reconnaître sans aucunement renoncer à leurs valeurs. Alors il est clair qu'il faudra être honnête avec les Tunisiens qui sont capables d'entendre que tout cela est un chantier qui prendra du temps. Cela n'empêchera pas, entre temps, de faire tout de suite un effort de justice sociale.
Si le pouvoir s'engage sur ces bases, si les Tunisiens sont assez sages pour comprendre l'effort nécessaire et les sacrifices immédiats, alors les investisseurs reviendront et l'économie redémarrera.