Jamel Heni écrit - Le syndrome de la place rouge n’affectait pas uniquement les étudiants. Le corps enseignant en présentait aussi des symptômes.
D’abord une chose. Je remercie du fond du cœur une amie qui me faisait couler un bain de doute, par sa réaction au «syndrome de la place rouge».
En gros ceci. Un. Les idéologies sont faites pour être dépassées. Deux. Pour en revenir si peu que ce soit, il faudra les adopter un temps. Trois. Cela prend du temps. Parfois même une vie.
Au-delà de leur justesse, ces remarques sont nécessaires. Elles me permettent de rectifier le tir et de lever un malentendu. J’avais en effet omis de préciser dans la première chronique du syndrome, que je ne faisais œuvre d’opinion, mais décrivais les doctrines qui classent le public universitaire des années 80 et 90.
Attribut idéologique et catégorisation sociale
Je précise par acquis de conscience que les doctrines se constatent. Je n’en juge, n’en loue, n’en conteste aucune. A la limite, sont-elles l’occasion de soumettre quelques réflexions sur la centralité de l’attribut idéologique dans la catégorisation sociale en milieu universitaire tunisien (excusez les mots savants glissés par souci de rigueur, je n’ai pas le cœur au pédantisme en parlant sérieusement des choses). J’y reviendrai.
Venons-en au sujet de l’actuelle chronique. Circonstances aggravantes, le syndrome de la place rouge n’affectait pas uniquement les étudiants. Le corps enseignant en présentait aussi des symptômes.
Je me souviens d'une réunion du conseil scientifique (les élections y portaient des militants de l’Ugte et un représentant de l’Uget). Convoquée en catastrophe, l’«audience » devait statuer sur une grève générale et ouverte, frappant de léthargie toute l’université tunisienne.
Les représentants syndicaux et scientifiques des étudiants s’en sortirent plutôt bien. Avec des arguments, des chiffres et tout. Mettant des gants et des pincettes !! Alors. Alors, rien. Ce furent bien les enseignants qui opposèrent des si et des mais !!
Rigoureusement pathétique, l’impétueuse intervention d’un professeur d’histoire jeta un pavé dans la mare. Mal lui en prit, notre ami cracha à la figure du délégué scientifique du 2ème cycle : «Je ne comprends pas comment vous êtes tolérés ici, un haut lieu de savoir, vous êtes une faction, vous semez la zizanie, sans oublier que vous êtes rétrogrades, pour moi l’Ugte n’est pas légitime, pas plus que vous, vous ne devriez pas franchir la porte de la fac... ». Sur ce, l’audience chahutée, fut levée. Les oreilles chauffées et la grève reconduite... Refermant ainsi le livre des négociations pendant un long mois...
La carte d’identité politique
Je n’en revins pas. Ce qui me sidéra le plus, ce ne furent point les jugements sectaires et tendancieux du prof. Nous en faisons tous lorsqu’on est en colère. Ce fut encore et toujours la réduction «inconsciente» des individus à leurs seules idées, plus précisément à leurs idées politiques, rigoureusement à celles parmi elles qui font nombre. Peu importait que l’étudiant en question était studieux (il était major de promo), marrant (il était vraiment rigolo jusqu’aux bouts des doigts). Peu importait ce qu’il soutenait comme un lion (il était clairement contre la grève ouverte et opposait des conditions recevables). Seul comptait sa loge à la place. Et seul le syndrome était à l’œuvre chez notre prof «d’un seul livre» !!!
Enfin, cette attitude du corps enseignant n’était pas si isolée. Plein d’autres profs avec du beau linge, notaient leurs étudiants selon la morale du syndrome, en «exigeant» d’abord la carte d’identité politique. La Faculté des lettres et des sciences humaines à Tunis, en connaissait un rayon. Ils officient aujourd’hui aux plus hautes sphères du ministère de l’Education... D’autres continuent leur travail de sape...
Le syndrome ne classe pas seulement les étudiants. Entre eux, les enseignants font pareil. Encore une fois, ce ne sont pas leurs dernières publications, l’habilitation à diriger les recherches (Hdr), ni le succès pédagogique auprès des étudiants qui classent les uns et les autres. Tel est islamo, l’autre est gaucho, le troisième est proche du parti... Voilà ce que trahissait le comptoir de leur cafette, leurs élections syndicales, voire leurs discutailles avec des étudiants...
Source : ‘‘Mouatinoun’’, janvier 2010.
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