Kilani Bennasr écrit – La Tunisie apparaît aujourd’hui comme un laboratoire à ciel ouvert. Les puissances internationales s’y intéressent de près. Que fait la diplomatie tunisienne pour prévenir les ingérences et les pièges ?


Aujourd’hui en Tunisie, le régime de Ben Ali est tombé dans l’oubli, emportant avec lui l’injustice et la corruption sociale. Depuis le 14 janvier 2011, les Tunisiens se sont libérés et montrés dignes de cette «offrande» méritée ; ils se sont mis à l’œuvre et ont réussi en un temps record, après neuf mois, leurs premières élections libres de l’Assemblée Constituante, la plus importante institution légitime après la révolution.

Le choix du titre est une allusion à ‘‘La grande vadrouille’’, un excellent film «de guerre» des années soixante, mais le rapprochement est recherché dans la politique étrangère de Tunisie, devenue aventurière après la révolution et qui, semble-t-il, voulant couper avec le passé, part dans tous les sens en une folle escapade vers des «zones libres», mais le destin lui réserverait maintes péripéties.

Plusieurs protagonistes se mêlent dans cette situation, des étrangers qui font tout pour canaliser la Tunisie vers leurs «pièges» alors que la diplomatie tunisienne provisoire, croyant bien faire pour le pays, les suit, inconsciente du danger.

Dans la réalité les évènements ne présentent pas, jusqu’à nos jours, des risques imminents pour la Tunisie, mais ce dont un bon nombre de Tunisiens a peur c’est une fustigation morale du peuple qui réaliserait après avoir fait du chemin, que le pays a pris fausse route et s’est trompé en misant sur une intelligentsia théocratique inadaptée qui s’est faite avoir.

On ne badine pas avec le destin de son Etat, la Tunisie n’est pas une éprouvette, ni une souris de laboratoire.

Le but du présent article est de mettre en exergue la valeur de l’indépendance de la décision politique tunisienne sur la scène internationale ; les deux autres impératifs sont l’importance de garder le peuple informé et la primauté de la politique intérieure sur la diplomatie.

Le jeu dangereux des grandes puissances

Si on se fie à l’histoire contemporaine et aux expériences des pays comme l’Irak ou récemment la Libye, qui ont cru aux mensonges des monarchies arabes et de l’alliance triangulaire USA, Royaume Uni, France, leur promettant la cité idéale, la «cité platonicienne», mieux vaut revenir sur ses pas tout de suite car le pire est à venir.

Rien de ce qui leur a été promis n’a vu le jour, les deux pays cités accuseraient actuellement une décennie de sous-développement par rapport à leurs anciennes situations sous leurs dictateurs.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, il est intéressant de constater que dans des pays européens comme l’Allemagne et l’Italie jadis dirigés par la dictature, contrairement aux pays arabes, leurs chefs de gouvernement se sont succédé démocratiquement, avec des bilans généralement positifs. Ils n’avaient pas pris de risques menaçant leurs patries. En Allemagne, même sous domination russe ou occidentale, ils n’ont compté que sur leurs peuples et sur les possibilités réelles de leurs pays. Le peuple allemand a continué sa lutte jusqu’à sa réunification malgré le jeu dangereux des grandes puissances, l’Etat a toujours été séparé de l’église.

Il est du devoir de tous les Tunisiens, intellectuels en tête et sociétés civiles, d’intervenir avec leurs moyens pacifiques pour mettre en garde les responsables actuels et futurs des dangers qui guettent notre Etat de l’extérieur, tout en gardant le peuple informé.

Le peuple est mal informé

Le peuple est le manomètre des pressions et des dépressions sociales, tous les indices positifs ou négatifs sont apparents sur la classe pauvre qui est le vrai miroir du niveau de vie dans un pays.

En Tunisie, cette catégorie de personnes, quoique affranchie des entraves de la dictature de Ben Ali, souffrent encore de la misère, de la marginalisation et du manque d’information. L’insécurité sévit encore dans les quartiers pauvres, au centre du pays et au bassin minier ; les tractations entre partis gagnants aux élections du 23 octobre et sympathisants de l’ancien régime n’en finissent pas.

Il est aussi important de souligner qu’à défaut d’information le peuple irait la chercher au détriment du travail. D’ailleurs, depuis la révolution une culture d’oisiveté, de fainéantise, du moindre effort, a pris le pas sur le souci de la production et de l’amour du travail, qui à vrai dire n’a jamais été le point fort des Tunisiens. Des centaines de milliers d’employés de la fonction publique et ouvriers se rendent quotidiennement à leur lieu de travail pour discuter et non pour travailler, donnant ainsi le mauvais exemple aux jeunes dont la majorité est sans emploi. Sans aucune gêne, ces mêmes fonctionnaires se dirigent vers leurs agences bancaires tous les fins de mois pour toucher leurs salaires…

Le peuple et la société civile n’ont pas été bien informés sur les grandes décisions de politique étrangères prises par le gouvernement provisoire, c’est ce qui explique, selon les observateurs tunisiens, le climat de tension, le comportement criminel individuel, allant jusqu’à abuser des propriétés publiques et privés.

Selon ces mêmes observateurs, la situation interne serait toujours sous contrôle en raison de la coopération du citoyen et de la société civile.
Force est de constater que la situation à l’extérieur serait la plus menaçante car c’est là où se préparent les coups durs contre la Tunisie. Et ce sont les pays qui prônent fraternité et liens d’amitié avec le nôtre qui dirigent cette campagne.

Malheureusement on ne sait toujours pas sous quel effet nos responsables ont lâché et ont ouvert largement les bras aux réfugiés libyens, alors que de l’autre côté l’Egypte s’est contentée de ne faire que le nécessaire, c’est la démarche adoptée par tous les pays africains voisins à la Libye y compris l’Algérie.

Menaces extérieures désordonnées

La première vague d’ingérences et de menaces extérieures de différentes intensités commence fin février 2011 de manière désordonnée en provenance de la Libye. Tout le monde se rappelle de la situation de crise humanitaire sur les frontières sud-ouest tunisiennes où l’armée et les habitants de la région ont souffert durant des mois, maintenant plus aucun pays ni Ong n’en parle.

C’était la première erreur impardonnable d’ouvrir toutes les issues à l’extérieur et de se livrer à une manœuvre d’accueil grandiose «exagérée», sans contrôle efficace des réfugiés libyens, et de tous pays.

Plusieurs Etats et leurs Ong saisissent l’occasion pour pénétrer dans le pays et commencer à le sillonner dans tous les sens comme si c’était le leur, tous les prétextes sont valides pour que les attachés commerciaux, militaires, de presse et délégués humanitaires fassent leur petite besogne d’espionnage et dessinent la situation la plus proche de la réalité en Tunisie…

La situation est aussi idéale pour les groupes de crimes organisés qui ne pourraient être que des collaborateurs des missions étrangères officielles à Tunis et dans d’autres grandes villes tunisiennes. Ces groupes, bénéficiant en contrepartie d’une bonne marge de manœuvres subversives et criminelles, se livrent au recrutement des membres de leurs réseaux parmi les Tunisiens.

La guerre civile en Libye qui continue, est en train de permettre aux groupes terroristes du Maghreb et aux groupes du crime organisés de s’armer «jusqu’aux dents». Actuellement ces mêmes groupes, dont les salafistes jihadistes, se seraient créés des bases dans les grandes villes libyennes, au Sahara et dans des villes européennes méditerranéennes, voire aussi dans des pays du Maghreb.

Cette situation explique les découvertes et les saisies en Tunisie et dans d’autres pays limitrophes de la Libye, d’armes individuelles, munitions, explosifs, détonateurs, artifices multiples et produits de contrebande interdits.

Bien entendu, le but de l’énumération de ces menaces et moyens dangereux est surtout de sensibiliser le citoyen sur son rôle d’aide aux services de sécurité qui, sans la vigilance du peuple, ne pourraient effectuer complètement leur travail.

Dans des villes tunisiennes, des étrangers manifestent dans l’impunité devant des établissements étatiques ou diplomatiques en brandissant des drapeaux de toutes couleurs… des jeunes Libyens tabassent des Tunisiens au vu et au su des services d’ordre. Certains activistes étrangers ne trouveraient pas mieux que cette situation pour arriver à leurs fins.

La question qui se pose, pourquoi a-t-on choisi cette mauvaise voie en un si mauvais moment ? La réponse est encore plus fâcheuse parce que si la Tunisie résistait à une «conquête» anarchique venant du sud-ouest, elle s’est trouvée simultanément en train de subir une tentative coordonnée, dirigée par des grandes puissances militaires occidentales et financières arabes en vue de s’assurer une mainmise sur le pays.

A suivre