Dr Lilia Bouguira écrit – Aux victimes de nos silences, Nasraoui, Ben Sedrine, Om Zied, Abbou, Ben Amor et les autres...
Il ya des jours qui se lèvent doucement sans accroc ni haine. Juste des regrets et de la peine.
Oui, j’ai de la peine pour ces hommes, ces femmes qui ne dégagent rien, n’ont rien. Juste une immense modestie.
J’ai rencontré beaucoup de gens depuis l’affaire de l’aéroport, le kidnapping de mon fils et sa torture par les forces de l’ordre, toutes confondues, de l’aéroport.
J’ai rencontré des gens venus me souffler leur sympathie et leur soutien sur plein de réseaux sociaux surtout Facebook.
J’ai rencontré des personnalités plus ou moins importantes ou plus ou moins promues à le devenir et à tenir les rênes de ce pays depuis la constituante.
J’ai rencontré des gens avec des faces d’hommes plus ou moins sensibles à ma douleur, à celle de mon enfant qu’on a lâchement et sauvagement tabassé devant moi sans aucune raison.
J’ai rencontré des plus humains qui m’ont pris la main et m’ont élevée à leur rang, celui des malmenés et des indignés.
J’ai rencontré une poignée à qui je me dois de baisser les yeux, de prendre la main et la porter à mon front ou à mes lèvres comme ferait un bon Marocain mais je ne suis pas marocaine. Je suis juste une modeste femme tunisienne à qui on a appris à se taire, à cultiver la trouille, à ne jamais parler à voix haute, dire son avis, acclamer une liberté ou se mêler de ce qui ne la regarde pas pour dénoncer une injustice pendant des décennies. Et lorsqu’à mon tour, j’ai été victime de pratiques semblables à celles qu’ils ont toujours connues pendant des années de préjudice et de torture sous le règne de la dictature, ils ont accouru sans hésiter pour m’aider.
Devant ces personnes, je me sens petite et insignifiante. Devant ces gens, j’ai honte. Devant ces ténors d’humanité, j’ai terriblement honte et je m’en vais les citer rien que pour leur demander pardon pour ma lâcheté et mon silence pendant toutes ces années.
Je voudrais me lever devant le monde entier et leur demander pardon, leur offrir mon corps pour le rouer de coups, leur désigner mon peuple pour leur dire autant et si mon peuple se débine encore comme à l’accoutumé, eh bien je me lèverais seule et irais au gibet.
J’aimerais appeler à ma cour: madame@ Radhia Nasraoui pour tout ce qu’elle a enduré, lui dire que je suis désolée, que je regrette ma lâcheté mon aveuglement et ma stérilité.
J’aimerais lui offrir tous les honneurs pour avoir conduit ce pays à où il en est dans son rêve de liberté.
J’aimerais lui dire les mots bleus même si rien n’efface les bleus de la mémoire parce que mon peuple et moi l’avons abandonnée seule face à ses démons pendant des années.
J’aimerais la prendre dans mes bras pleurer toutes les larmes de mon corps puis rire un bon coup et nous lever pour cette fois marcher derrière elle.
J’aimerais encore appeler à ma cour madame @Sihem ben Sedrine pour lui dire les mêmes mots et lui demander pardon.
J’aimerais lui dire que j’ai honte pour moi et pour mon peuple.
J’aimerais lui dire aussi que même si tard mes yeux ont rencontré les siens, son regard a ramassé le mien pour définitivement le rallier à son combat.
J’aimerais appeler aussi Om Zied que je viens de découvrir à la levée du bouclier.
J’aimerais appeler encore à la barre@ monsieur Abbou que je ne connaissais point, lui dire que ses lèvres cousues ont fait de lui un homme d’exception, qui j’espère, fera toujours trembler ses démons.
J'aimerais aussi appeler monsieur @Samir Ben Amor, lui dire combien je regrette et que grâce à son combat avec une poignée notre cauchemar est peut être terminé.
J’aimerais appeler encore et encore une liste que je ne domine pas mais que j’aimerais que mon peuple et notre nouveau gouvernement dressent fidèlement pour au moins reconnaître à ces gens leur mérite, leur diligenter une légion d’honneur et une demande officielle d’excuses pour les avoir laissés pendant des années se faire les otages du dictateur pour notre liberté.
Pour ceux dont les noms figurent comme victimes de torture et d’injustice dans ce rapport de la Fidh et d’autres encore méconnus, je réitère mes excuses et leur pardon.
J’aimerais encore me répéter et hurler à ceux qui comme moi se bouchaient les oreilles et chaque orifice perméable parce que nous avions peur et que la peur est un vil compagnon.
«Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire». Jamais Einstein n’aurait pu si mieux dire et moi, j’ai décidé de ne plus jamais laisser faire !