Mongi Karrit écrit – Au cours des derniers mois, on est constamment surpris par certains comportements et agissements religieux que l’on qualifierait de troublants et choquants.


Des occupations de mosquées par des imams prônant un islam salafiste ; des prières sur la voie publique ; des agressions verbales et physiques contre des femmes aux tenues vestimentaires modernes et au look branché ; des assauts physiques et psychologiques des penseurs et cinéastes ; des occupations d’écoles coraniques ; etc.

Va-t-on faire appliquer la chariaâ ?

Tout récemment, on a été témoin de la préparation de la mise en place du Comité tunisien pour le commandement de la vertu et la répression du vice dont le chef s’est fait une notoriété suite à son opposition à la prise de fonction de la nouvelle directrice à la tête de la radio Zitouna, et dont le comité a pour objet principal la promotion de la vertu et la prévention du vice.

Un tel comité peut-il se mettre en place en Tunisie à la faveur des conditions que le pays traverse ? Quels en sont les objectifs et les effets directs sur les différentes classes de population ? Quel en serait l’impact sur les libertés individuelles et sur la démocratie ?

Selon Wikipédia, le Comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice est une entité gouvernementale d’Arabie Saoudite dont dépend El Moutawaâ : une forme de police religieuse du pays dont le but est de faire appliquer la chariaâ.

Ce comité ainsi que ses policiers sont chargés de mettre en œuvre la chariaâ telle qu’elle est définie en Arabie Saoudite, et en particulier :

• l’arrestation de toutes personnes se livrant à des activités homosexuelles, de prostitution, de fornication ;

• l’arrestation de tout homme et de toute femme trouvés ensemble alors qu’ils n'appartiennent pas à la même famille ;

• la surveillance de l’application des règles islamiques en matière d’habillement et en matière alimentaire (interdiction de manger du porc, par exemple, ou interdiction de boire de l’alcool), et de la fermeture des magasins pendant la prière ;

• l’interdiction de marchandises considérées comme non islamiques, telles que CD ou DVD de certains groupes musicaux occidentaux, de certains films ou émissions télévisées ;

• l’empêchement du prosélytisme et de la pratique en Arabie saoudite d’autres religions que l’islam.

Une mission que j’ai effectuée à Riyad en Arabie Saoudite avec un collègue au début des années 80 m’a permis de voir en réel, l’application par les Moutawaâ des attributions dudit comité.

Contrainte sociale ou devoir religieux ?

Lors de l’appel aux prières, tous les passants, les marchands et les commerçants devaient impérativement se rendre en hâte aux mosquées. Seules n’étaient pas concernées les femmes. Les appels à la prière émanaient des mosquées et surtout des hauts parleurs installés sur des voitures américaines 4x4 de marque Dodge qui roulaient à des vitesses anormales avec des gyrophares flamboyants. «Salate… Salate» était le message scandé. Mon collègue a été le témoin chanceux d’une scène dont on se rappellera toujours. Il a assisté à une agression physique au bâton, perpétrée par un Moutawaâ contre un homme qu’il avait pris pour un musulman mais qui était en fait un Français. Ce dernier s’est trouvé par hasard sur le chemin du Moutawaâ et s’est permis quelques instants pour regarder les devantures d’un magasin. Son copain qui a assisté à la scène n’a pu se retenir de s’exclamer : «C’était à voir, hein !». Je parie que les deux Français n’oublieront jamais cet incident à Riyad. Moi et mon collègue, on a appris la leçon et on a fait gaffe durant le reste de notre séjour. Mais, on a pu constater que certains propriétaires de magasins ne fermaient les portes de leurs boutiques que lorsqu’un des propriétaires voisins eut repris à haute voix le message pour la prière «Salate… Salate». Une contrainte sociale plutôt qu’un devoir religieux !

Nul besoin de s’attarder sur le problème de la censure imposée par ce comité. Tous les magazines importés sont systématiquement dépouillés dans le but de couper toutes les photos de femmes y paraissant partiellement ou totalement nues. Le corporel et le charnel aux dépens du culturel. Les boîtes d’emballage des appareils d’éducation physique mis en vente dans les grandes surfaces ne sont pas épargnées lorsqu’elles exhibent des femmes vêtues de maillots de bain. De nouveau, le feutre marqueur est utilisé pour cacher ce qui ne doit pas paraître. De nouveau, le corporel au détriment de l’esthétique : une censure au nom de la morale.

Les femmes seront-elles forcées à porter le niqab ?

D’après l’article du journal ‘‘Essabah Hebdomadaire’’ du 28 novembre 2011, le Comité tunisien pour le commandement de la vertu et la répression du vice est dans l’ensemble identique au comité de l’Arabie Saoudite dans la mesure où ses missions se fondent sur la chariaâ. Toutefois, la civilité de l’Etat tunisien est «respectée». Son rôle est purement social et consultatif œuvrant pour la réconciliation entre les différentes parties en conflit. Il préconise la promotion de la vertu et réprime le vice et se donne le rôle de contrôler le degré de compatibilité de la législation tunisienne avec le Coran, ce qui annonce l’application de la chariaâ.

Le Comité tunisien ira-t-il jusqu’à user de la force pour contraindre les gens à agir en bons musulmans ? Forceront-nous la femme à mettre le voile et pourquoi pas le niqab ? Devrons-nous violenter la femme qui s’habille à la l’européenne et cacher son corps au moyen de peinture de badigeonnage ? Obligerons-nous le citoyen à quitter les lieux du travail pour faire la prière ? Des questions qui ne trouvent pas de réponses dans ledit article.

A ma connaissance, le code des associations n’autorise ni la création d’associations dont la mission est de s’immiscer dans la vie des citoyens ni de vérifier la conformité des textes législatifs et réglementaires avec la religion. Intervenir pour modifier le comportement des gens est totalement opposé aux libertés individuelles. Le contrôle des législations relève uniquement des instances constitutionnelles élues par le peuple. La foi est l’affaire de l’individu qui est libre dans ses croyances et dans son mode de vie et n’a pas besoin d’associations pour lui indiquer le chemin de la foi et de la bonne conduite. D’autres alternatives, à caractère non obligatoire, lui sont offertes. La loi est appliquée lorsqu’il y a atteinte aux libertés des autres. La démocratie exige la séparation entre la religion et la chose politique. La création du comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice s’inscrit clairement dans le cadre de la restriction des libertés, et par extrapolation dans un courant anti-démocratique.

Les partis face à leurs responsabilités

Par conséquent, il faut que la société civile s’y oppose et refuse tous les agissements anti-liberté qui sont perpétrés ces derniers mois pour imposer au peuple des changements au niveau de leurs croyances, modes de vie, tenues vestimentaires, comportements, etc.

Il est grand temps que les partis qui prétendent être démocrates et les responsables du gouvernement assument leurs responsabilités et appliquent la loi pour protéger la société de ces dangers et arrêter l’importation des croyances et des rites étrangers à notre islam. Nous en avons assez des déclarations, du double langage et des condamnations timides et exigeons qu’on passe à l’action car il y va de la cohésion et de la paix sociale de notre société et de l’avenir de notre pays.