Samir Tlili écrit – En ces temps tumultueux que traverse la Tunisie post-révolutionnaire, il est grand temps de se demander ce qui reste de la devise de la république : Liberté, Ordre, Justice.


Pour ce qui est de la liberté, force est de constater que nous vivons depuis le renversement de l’ancien régime sous une avalanche de déclarations véhémentes qui s’apparentent beaucoup plus à un échange d’insultes qu’à un dialogue entre citoyens responsables, soucieux d’introduire dans cette société tant réprimée durant ces décennies passées, une culture du débat contradictoire et constructif dans le respect de la différence. Nous avons pu ainsi assister pendant les neuf mois qui ont précédé les élections de l’Assemblée nationale constituante à un échange réciproque d’accusations entre les partis en lice, d’une violence que l’on a rarement vue se produire dans un pays civilisé ou qui prétend l’être.

Au nom de cette liberté nouvellement conquise nous avons vu se mobiliser tous les médias formés par les télé, radio, réseaux sociaux sur internet et autres presses écrites en vue de se disputer le leadership d’audience pour véhiculer calomnies, diffamations, rumeurs, contre rumeurs, fausses déclarations, démentis, absolument toutes les ignominies dont un être humain est capable.

Au nom de cette liberté nous avons vu des élèves se révolter contre leurs maîtres pour contester l’obligation qu’ils avaient d’avoir à suivre une matière qu’ils ont jugée superflue ou contraire à leur conviction.

Au nom de cette liberté, des étudiants décident d’imposer leur loi dans les campus pour en arriver jusqu’à user de la violence pour prendre en otage leur doyen et empêcher le déroulement des examens.

Au nom de cette liberté, nous avons vu des jeunes brûler, piller, saccager, dévaster, détruire même des infrastructures publiques qui leur sont de première nécessité.

Au nom de cette liberté, on coupe les routes, on occupe des usines, on sabote les transports publics bloquant au passage les rouages de l’économie du pays.

Dans la Tunisie d’aujourd’hui, tout et absolument tout, peut se faire au nom de cette nouvelle forme de liberté irresponsable.

L’ordre quant à lui a tout simplement disparu. Rien de plus normal diriez-vous pour une société qui a toujours été menée à la bastonnade et qui voit un jour, d’un coup, disparaitre ses tortionnaires.

Que ce soit au niveau du respect du code de la route ou de l’observation de la législation de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire en passant par les lois régissant le commerce et les prix, plus rien n’est plus respecté.

Depuis l’avènement de la révolution qui a marqué la dislocation de la notion d’Etat, en un laps de temps aussi réduit que neuf mois, nous n’avons jamais vu autant d’accidents de la route, de constructions anarchiques, d’occupations illégales de domaine public, d’apparition d’étalages et commerces anarchiques et de décharges illégales, que, fort probablement, pendant les cinq années qui précédèrent.

Aucune ville du pays ni quartier n’ont été épargnés, même les zones soi-disant occupées par une classe plutôt aisée revendiquant un minimum d’instruction et de niveau intellectuel ont eu leurs lots de dépassement. Comme quoi le civisme n’a jamais été lié au niveau intellectuel ni la richesse une forme de distinction.

Chacun y est allé de sa propre justification pour enfreindre l’ordre public et imposer sa propre loi à ses concitoyens en étant intimement convaincu qu’il est dans son bon droit.

Dans la Tunisie d’aujourd’hui règne l’ordre du plus fort, de celui qui ne peut s’épanouir que dans l’anarchie et le désordre.

La pauvre justice elle, n’a jamais été aussi malmenée de sa jeune histoire. On l’accuse de parti-pris, de corruption, de complicité, d’incompétence, de duplicité et d’opportunisme. On la trouve lente à juger les véritables coupables, dissimulatrice des vrais crimes commis contre ce peuple.

Elle cherche sans beaucoup de succès à retrouver son rôle de troisième pouvoir de la république, déchirée qu’elle est par ses luttes intestines et ses crises de représentativité.

Elle voit les regards de tout son peuple se diriger vers elle pour réclamer le retour dans son bon droit mais elle a du mal à être à la hauteur de ses attentes.

Elle essaie tant que faire se peut de se relever, titube, mais peine à occuper le territoire qui est le sien, se laissant docilement envahir par des commissions parasites qui pullulent autour d’elle et lui dérobent le peu de prérogatives qu’il lui restait.

Dans la Tunisie d’aujourd’hui, il manque du souffle vital à la justice.

Devant cette grave dégradation des piliers mêmes de la république, et les luttes acharnées que se livrent les partis politiques pour le partage du pouvoir, on est en droit de se demander quelle autorité, émanation de la fragile entente tripartite en course, est capable aujourd’hui d’en imposer à ce peuple en pleine effervescence postrévolutionnaire, et de rétablir la notion de l’Etat, seule institution capable de rassembler dans leurs différences tous ses citoyens et de leur assurer la pleine jouissance de leur liberté dans le respect d’un ordre garanti par une justice droite et impassible.