Au fil des jours, les coups de théâtre se succèdent et se ressemblent sur la scène politique tunisienne et ce, au moins depuis que Hamadi Jebali s’est autoproclamé «calife à la place du calife» !

Par Abdelmajid Haouachi


 

A l’origine de ces actes se dressent les nouveaux maitres de la Tunisie, ceux qui ont gagné les élections du 23 octobre dernier, ou du moins, ceux qui, parmi eux, ont pactisé pour gouverner le pays : Ennahdha et le Congrès pour la république (Cpr).

Inutile de revenir sur les illustrations tragicomiques du discours de M. Jebali à Sousse ou de Tahar Hmila lors de la séance inaugurale de l’Assemblée nationale constituante. En revanche, il importe de mentionner l’aspect gravissime de la situation politique à la suite de la prise d’assaut de la faculté de la Manouba par les Salafistes, événement à propos duquel les réactions d’Ennahdha ont été pour le moins confuses et mitigées. En filigrane, la grogne monte dans la Tunisie des profondeurs, celle des classes et des régions défavorisées…

Le ou les scénarios possibles et imaginables seront dans l’immédiat immanquablement tributaires de l’interaction des éléments de cette triple crise : politique (due à l’enlisement au sein de la Constituante), sociale (le bassin minier et autre, Kasserine) et identitaire (les assauts Salafistes et Nahdhaouis).

Classe contre classe

Il y a là certes, une crise grave, une grande crise mais sans aucun doute une crise révolutionnaire et donc devant être l’accoucheuse de l’histoire, la vraie histoire de la Tunisie ! Car il ne faut pas perdre de vue que, par ailleurs, ces chroniques tunisiennes s’inscrivent dans un contexte de révolution arabe voire mondiale…

On ne dira jamais assez que la révolution tunisienne tient ses origines et son essence de la rébellion résolue contre l’injustice sociale, l’exploitation et la corruption, contre le pillage des régions et de la force de travail par une classe néolibérale sauvage… Ceux qui lui reconnaissent toutes ces vertus se rendent à l’évidence à présent que les classes laborieuses et les régions déshéritées n’ont pas été leurrées par la grande farce que fut la victoire d’Ennahdha et son allié le Cpr dans le scrutin d’octobre. Bien au contraire, ils semblent estimer à sa juste valeur une pareille usurpation des suffrages. Pour preuve, ils ont été prompts à réagir en agitant leurs revendications dans un mouvement qui rappelle celui d’un certain hiver de Redeyef 2008.

L’aliénation par la religion

Conjointement, Hamadi Jebali et compagnie n’ont rien trouvé d’autre à offrir à la révolution tunisienne que la sixième édition prétendue de la «khilafa» (califat). De surcroît, voilà qu’il a lancé contre les établissements universitaires les bandes salafistes.

Tout cela n’a rien de fortuit. Il s’agit d’attitudes et de comportements, voire d’une stratégie réfléchie. Au risque de décevoir ceux qui ont cru à «l’évolution» d’Ennahdha dans le style turc, M. Jebali et ses «frères» ne sont nullement prêts à concéder une partie du monopole de la religion aux autres factions islamistes (Salafistes et Hizb Ettahrir). Les propos solennels de M. Jebali à Sousse en sont la parfaite illustration.

Crise sociale oblige, Ennahdha estime qu’il détient le remède magique pour nourrir la patience, l’illusion et le fatalisme chez les victimes du néolibéralisme sauvage. La monopolisation et l’instrumentalisation de la religion sont donc une arme stratégique dans la maitrise de la poudrière sociale. On ne s’étonnera donc point de voir Ennahdha entretenir ou cautionner l’exaltation et le fanatisme religieux, histoire de détourner la société des vrais problèmes qui ont été à l’origine de la révolution.

La fidélité au grand capital

Faut-il rappeler également qu’en consacrant une ligne de fidélité au grand capital, les nouveaux maitres de la Tunisie (Ennahdha et Cpr) ont tout de suite accouru aux organisations patronales pour les rassurer sur leurs intérêts.

Le Cpr tient, lui aussi, son petit tour dans cette mascarade. Moncef Marzouki et Abderraouf Ayadi comptent ouvrir grands les dossiers de la corruption en vue de paraître sous le joug des justiciers de cette révolution. Cultivant un certain puritanisme de façade, les dauphins d’Ennahdha sont incapables, tout comme leurs maitres, d’occulter leur déficit et leur manque de volonté à élaborer un programme de réforme sociale radicale en faveur du peuple et des classes laborieuses et des régions défavorisées. Car la vraie morale ne peut être aujourd’hui que celle qui devrait enlever au richissime pour donner aux démunis.

Mais ne dit-on pas que «la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a» ? Que dire si elle n’en est que la plus moche ?