Nadia Omrane écrit - Qui sait, ce mercredi 30 novembre, que deux jeunes chômeurs de Om Larayes et de Mdhilla ont tenté de se suicider en se passant la corde au cou en haut d’un bâtiment, face au siège de la Cpg à Tunis ?
Peu de monde certainement, en dehors des passants qui assistaient, médusés, à ce suicide spectaculaire et de leurs camarades qui les ont décrochés de justesse. On dira peut-être qu’il s’agit d’une «opération de comm’» sinistre ou d’un «marketing» du suicide de la même inventivité que ce sans emploi de la Skhira, père de quatre enfants, qui les met en vente parce qu’il ne peut plus les nourrir.
Voilà la nouvelle forme d’appels au secours que relaie le nombre, impossible à chiffrer désormais, de tous les désespérés qui, depuis avant le 17 décembre 2010, se sont immolés par le feu.
Le coup de force salafiste
Qui les entend surtout ces jours-ci où l’attention de l’opinion publique est monopolisée par le coup de force salafiste à la faculté de la Manouba et par la tentative d’Ennahdha, à l’Assemblée constituante, de faire main basse sur tous les pouvoirs ?
Aujourd’hui jeudi 1er décembre, c’est la grève générale de l’université tunisienne en protestation contre les atteintes aux libertés académiques et aux libertés individuelles et, pas plus tard qu’hier matin, contre la violence subie par le doyen de la faculté de la Manouba, Habib Kazdaghli, jeté à terre alors qu’il tentait de parlementer avec les sit-inneurs !
Car l’occupation n’est pas finie : depuis lundi matin, une bande de salafistes en barbes et longues robes et de jeunes filles (allez savoir si ce sont bien des filles ?) en niqab a investi la faculté et les locaux de l’administration où ils élucubrent, mangent, dorment et prient, dans une atmosphère confinée de mauvaise haleine matinale, saleté et puanteur, dans une impureté peu propice aux prières et dans une mixité que leur croyance réprouve. Ils empêchent également étudiants et professeurs de se livrer au premier commandement sacré : Apprends !
En dépit d’un retard à l’embrayage, la résistance s’amplifie contre ce mouvement illégal et moyenâgeux : à l’appel de la fédération des syndicats de l’enseignement supérieur, sous l’égide de l’Ugtt, un meeting s’est tenu à la faculté de la Manouba mardi et a décidé de la grève générale de ce jeudi et du rassemblement devant le palais du Bardo, siège de l’Assemblée constituante.
Des élus de cette Assemblée se sont depuis mardi associés à ce mouvement de protestation, et parlementent pour faire cesser l’occupation ou interviennent de l’intérieur de l’Assemblée, seule instance légitime, pour qu’une condamnation indiscutable et unanime de ce coup de force mette un terme à la profanation d’un sanctuaire du savoir et porte un coup d’arrêt à une régression fanatique multiforme.
Le ballet des élus
Après les élus du Pôle démocratique et moderniste (Pdm) conduits par Ahmed Brahim, secrétaire général d’Ettajdid, et après l’intervention de Maya Jribi, secrétaire générale du Pdp appelant l’Assemblée constituante à se prononcer, des représentants d’Ettakatol, particulièrement ceux venus de France très sensibles à l’intolérable violation de l’enceinte universitaire, ainsi que des représentants du Cpr ont aussi condamné cette occupation. On aura entendu aussi des éléments d’Ennahdha dont Samir Dilou s’interposant à la faculté mais sans succès, ainsi que la déclaration du président d’Ettakatol, Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblée constituante. Ce jeudi, sur demande de Maya Jribi d’envoyer un message fort à la nation autour de ces graves questions, le président de l’Assemblée, sans s’y opposer, a remis cette demande à la séance plénière à une date ultérieure.
Mais ce sont les acteurs de la société civile, la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh), l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), les journalistes surtout, bien d’autres associations et un très grand nombre de citoyens qui sont montés au créneau, ressentant pour nombre d’entre eux comme une injure personnelle faite à leur propre histoire et comme une entrave mise à l’avenir de leurs enfants, cet irrecevable saccage d’un des piliers de la République tunisienne indépendante éclairée et moderne.
Ce sont les mêmes, avec les membres du réseau Doustourna, qui se sont retrouvés dans une semblable synergie, rassemblés devant le palais du Bardo mercredi matin, pour dénoncer un autre coup de force, la tentative d’Ennahdha de s’arroger les pleins pouvoirs exécutifs et législatifs, dans un «package» constitutionnel de leur cru, «3 en 1» : d’abord tous les pouvoirs d’application des lois, de la marche du gouvernement, de la nomination à toutes les responsabilités majeures aux mains du Premier ministre-secrétaire général d’Ennahdha siégeant aussi à l’Assemblée constituante ; ensuite la nomination de ce Premier ministre à la majorité absolue (50% + 1 voix), mais sa censure et son limogeage à une majorité qualifiée des 2/3 ; enfin le vote des articles de la Constitution à l’emporte-pièce de la majorité absolue, et quand bien même la majorité qualifiée des 2/3 ne ratifierait pas l’ensemble de la Constitution, retour à la case départ de la majorité absolue et plus question de referendum populaire !
La cage dorée de Moncef Marzouki
Que devient donc dans tout cela le président de la République ? Un figurant (avec un article de la Constitution prévue pour le destituer, une sorte de procédure d’impeachment), un pot de fleur décoratif, «raiys kardhouna» comme s’offusquent les militants du Cpr ! Quoi, notre docteur Moncef Marzouki réduit à un «Sid El Bey» ? La prison, l’exil, les cabinets des ambassades, les plateaux d’Al Jazira, tout ça pour ça ?
Non, Moncef Marzouki réalise aujourd’hui le piège et refuse de se laisser enfermer dans une cage dorée présidentielle. Il doit savoir qu’il sera soutenu dans sa résistance à ce déjà-presque-coup-d’État, par toutes celles et tous ceux qui veulent s’honorer au regard du monde d’une présidence de la République tunisienne éclairée, digne, volontaire et dotée d’une autorité morale et politique réelle, équilibrée par des contre-pouvoirs indépendants législatifs et judiciaires.
Et dans le projet d’Ennahdha différé pour une réflexion à tête reposée, il y aurait aussi, en pouvoir discrétionnaire du Premier ministre, la nomination de l’État-major de l’armée, alors qu’on sait combien la stratégie d’Ennahdha depuis des années est de bien s’inféoder la base pour dégager ensuite le sommet !
Il y aurait enfin la nomination tout aussi discrétionnaire du gouverneur de la Banque centrale tunisienne, c’est-à-dire du lieu même où se décident la politique monétaire, le contrôle de la monnaie et de sa valeur d’échange, de sa stabilité, où s’ajustent les prix, où se financent les crédits et se décident les taux d’intérêt, bref où se supervise le système financier dont la fiabilité autorise les emprunts internationaux.
Un scénario à la Libérienne ?
On imagine la tête du gouverneur actuel de la Banque centrale de Tunisie (Bct) Mustapha Kamel Nabli, qui était jusque là présumé futur président de la République tunisienne, selon un scénario à la libérienne béni par les Américains ! On se demande ce qu’en pense la Banque mondiale ! Le nom de son successeur est même déjà avancé dans des indiscrétions de coulisses : il s’agirait du propre cousin par alliance du futur Premier ministre Hamadi Jebali, c’est-à-dire Béchir Trabelsi, ancien Pdg de la Stb.
Tous ces bons placements se seraient faits, selon les mêmes sources (Africa Intelligence) par l’entremise de Hamed Karoui, ex-ministre de Bourguiba, ex-directeur du Psd (parti de Bourguiba), ex-Premier ministre de Ben Ali, ex-directeur du Rcd (parti de Ben Ali) et aujourd’hui consultant d’Ennahdha : quel joli CV pour ce nonagénaire auquel ses vieux amis, notables de Sousse qui prenaient avec lui gentiment l’apéro sur la terrasse de l’hôtel Tour Khalaf ou au bar de la plage de l’hôtel Marhaba, devraient recommander aujourd’hui, peut-être du fond de leurs tombes, de prendre un repos bien mérité !
Dans le même esprit familial, il se dit aussi que Rached Ghannouchi confierait à son gendre un portefeuille de souveraineté, celui des Affaires étrangères réservé jusqu’ici à Samir Dilou et convoité par d’autres élus.
Ce ne sont peut-être que des cancans, mais les protestataires qui se retrouvent jour après jour devant l’Assemblée constituante ne veulent pas d’un Benalisme bis ; ils vomissent le favoritisme, le népotisme, le régionalisme, le clientélisme. Ils refusent tout détournement de la révolution et savent que, sous couvert d’organisation des pouvoirs, se profile une tyrannie. Ils ont compris que, de la Manouba au Bardo, le projet à plusieurs mains qui se trame, c’est de sabrer la liberté et de tordre le cou à la démocratie.
Dans le bassin minier d’où est sorti il y a 3 ans le premier souffle de la révolution - nos veilleurs de guet américains ne s’y sont pas trompés - du ventre de la terre d’où jaillissent à nouveau des glaires sanglantes, les enfants des mineurs de fond aux poumons encrassés de poussière de phosphate réclament un travail en réparation des pneumopathies de leurs pères.
Des centaines de jeunes chômeurs se présentent au concours de la Compagnie des phosphates de Gafsa et malgré la prise en compte de critères sociaux en bonus à leurs CVs indigents, désespoir et colère éclatent aux résultats, suivis de menaces, de dénonciations et de calomnies envers les candidats retenus.
L’emploi n’est pas un héritage : dans un mode de production moderne fondé sur le contrat, il obéit à des normes de professionnalisme et à une rationalité économique. Expliquer cela à de jeunes chômeurs si longtemps en attente et convaincus de leur bon droit n’est pas du ressort d’un chef de personnel ni d’un directeur de ressources humaines bouc émissaire de toutes les injustices.
La vacance de l’autorité
C’est une affaire politique, mais tous les ministres actuels et les futurs ministres sont aux abonnés absents. Cette vacance de l’autorité, pour ne pas dire cette incurie, lève aux marges de la Tunisie qui a faim, de la Tunisie qui a mal, de celle qui a donné les martyrs et qui vote aujourd’hui pour Al Aridha, une tempête de rage, un incendie : dans le bassin minier, c’est la dévastation d’institutions, de véhicules, de wagons livrés aux flammes. Le bâtiment colonial de la Compagnie des phosphates de Gafsa, vieux de 125 ans, est parti en poussière, entièrement brûlé.
Dans ‘‘Le jardinier de Metlaoui’’, l’écrivain français François-Georges Bussac fait le récit romancé, à partir des mémoires de son grand-père Henri Wiesser, directeur de la Compagnie des phosphates de Gafsa au début du 20ème siècle, d’une saga familiale métissée autour d’un jardin fleuri entre les mines.
Découvert en 1887 par le géologue français Philippe Toma, le minerai de phosphates dans l’anticlinal de Metlaoui a porté la Tunisie au 5ème rang mondial pour la production du phosphate et au 2ème rang pour son exportation. Les mines sont aujourd’hui fermées et c’est cette richesse là que nous avons laissée saccager.
Par trop de misère et trop d’ignorance, par trop d’appétit du pouvoir qui refuse d’entendre, par trop d’incapacité à partager, nous laissons notre pays aller à la ruine. C’est ce que nous disent en substance, les jeunes pendus de Mdhilla : «Yezzi !»
Faut-il encore que ce soit un étranger qui nous le rappelle : quand on aime vraiment sa terre, on peut faire pousser des fleurs en plein désert.
Source : ‘‘Alternatives Citoyennes’’.
Tunisie. Ce que nous disent les jeunes «pendus» des mines de phosphate: «Assez, Yezzi!»
Nadia Omrane écrit - Qui sait, ce mercredi 30 novembre, que deux jeunes chômeurs de Om Larayes et de Mdhilla ont tenté de se suicider en se passant la corde au cou en haut d’un bâtiment, face au siège de la Cpg à Tunis?
Peu de monde certainement, en dehors des passants qui assistaient, médusés, à ce suicide spectaculaire et de leurs camarades qui les ont décrochés de justesse. On dira peut-être qu’il s’agit d’une «opération de comm’» sinistre ou d’un «marketing» du suicide de la même inventivité que ce sans emploi de la Skhira, père de quatre enfants, qui les met en vente parce qu’il ne peut plus les nourrir.
Voilà la nouvelle forme d’appels au secours que relaient le nombre, impossible à chiffrer désormais, de tous les désespérés qui, depuis avant le 17 décembre 2010, se sont immolés par le feu.
Qui les entend surtout ces jours-ci où l’attention de l’opinion publique est monopolisée par le coup de force salafiste à la faculté de la Manouba et par la tentative d’Ennahdha, à l’Assemblée constituante, de faire main basse sur tous les pouvoirs?
Aujourd’hui jeudi 1er décembre, c’est grève générale de l’université tunisienne en protestation contre les atteintes aux libertés académiques et aux libertés individuelles et, pas plus tard qu’hier matin, contre la violence subie par le doyen de la faculté de la Manouba, Habib Kazdaghli, jeté à terre alors qu’il tentait de parlementer avec les sit-inneurs !
Car l’occupation n’est pas finie : depuis lundi matin, une bande de salafistes en barbes et longues robes et de jeunes filles (allez savoir si ce sont bien des filles ?) en niqab a investi la faculté et les locaux de l’administration où ils élucubrent, mangent, dorment et prient, dans une atmosphère confinée de mauvaise haleine matinale, saleté et puanteur, dans une impureté peu propice aux prières et dans une mixité que leur croyance réprouve. Ils empêchent également étudiants et professeurs de se livrer au premier commandement sacré : Apprends !
En dépit d’un retard à l’embrayage, la résistance s’amplifie contre ce mouvement illégal et moyenâgeux : à l’appel de la fédération des syndicats de l’enseignement supérieur, sous l’égide de l’UGTT, un meeting s’est tenu à la faculté de la Manouba mardi et a décidé de la grève générale de ce jeudi et du rassemblement devant le palais du Bardo, siège de l’Assemblée constituante.
Des élus de cette Assemblée se sont depuis mardi associés à ce mouvement de protestation, et parlementent pour faire cesser l’occupation ou interviennent de l’intérieur de l’Assemblée, seule instance légitime, pour qu’une condamnation indiscutable et unanime de ce coup de force mette un terme à la profanation d’un sanctuaire du savoir et porte un coup d’arrêt à une régression fanatique multiforme.
Après les élus du Pôle démocratique et moderniste conduits par Ahmed Brahim, secrétaire général d’Ettajdid, et après l’intervention de Maya Jribi, secrétaire générale du PDP appelant l’Assemblée constituante a se prononcer, des représentants d’Ettakatol, particulièrement ceux venus de France très sensibles à l’intolérable violation de l’enceinte universitaire, ainsi que des représentants du CPR ont aussi condamné cette occupation. On aura entendu aussi des éléments d’Ennahdha dont Samir Dilou s’interposant à la faculté mais sans succès, ainsi que la déclaration du président d’Ettakatol, Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblée constituante. Ce jeudi, sur demande de Maya Jribi d’envoyer un message fort à la nation autour de ces graves questions, le président de l’Assemblée, sans s’y opposer, a remis cette demande à la séance plénière à une date ultérieure.
Mais ce sont les acteurs de la société civile, la Ligue tunisienne des droits de l’homme, l’Association tunisienne des femmes démocrates, les journalistes surtout, bien d’autres associations et un très grand nombre de citoyens qui sont montés au créneau, ressentant pour nombre d’entre eux comme une injure personnelle faite à leur propre histoire et comme une entrave mise à l’avenir de leurs enfants, cet irrecevable saccage d’un des piliers de la République tunisienne indépendante éclairée et moderne.
Ce sont les mêmes, avec les membres du réseau Doustourna, qui se sont retrouvés dans une semblable synergie, rassemblés devant le palais du Bardo mercredi matin, pour dénoncer un autre coup de force, la tentative d’Ennahdha de s’arroger les pleins pouvoirs exécutifs et législatifs, dans un « package » constitutionnel de leur cru, « 3 en 1 » : d’abord tous les pouvoirs d’application des lois, de la marche du gouvernement, de la nomination à toutes les responsabilités majeures aux mains du Premier ministre-secrétaire général d’Ennahdha siégeant aussi à l’Assemblée constituante ; ensuite la nomination de ce Premier ministre à la majorité absolue (50% + 1 voix), mais sa censure et son limogeage à une majorité qualifiée des 2/3 ; enfin le vote des articles de la Constitution à l’emporte-pièce de la majorité absolue, et quand bien même la majorité qualifiée des 2/3 ne ratifierait pas l’ensemble de la Constitution, retour à la case départ de la majorité absolue et plus question de referendum populaire !
Que devient donc dans tout cela le président de la République ? Un figurant (avec un article de la Constitution prévue pour le destituer, une sorte de procédure d’impeachment), un pot de fleur décoratif, « raiys kardhouna » comme s’offusquent les militant du CPR ! Quoi, notre docteur Moncef Marzouki réduit à un «Sid El Bey»? La prison, l’exil, les cabinets des ambassades, les plateaux d’Al Jazira, tout ça pour ça ?
Non, Moncef Marzouki réalise aujourd’hui le piège et refuse de se laisser enfermer dans une cage dorée présidentielle. Il doit savoir qu’il sera soutenu dans sa résistance à ce déjà-presque-coup-d’État, par toutes celles et tous ceux qui veulent s’honorer au regard du monde d’une présidence de la République tunisienne éclairée, digne, volontaire et dotée d’une autorité morale et politique réelle, équilibrée par des contres pouvoirs indépendants législatifs et judiciaires.
Et dans le projet d’Ennahdha différé pour une réflexion à tête reposée, il y aurait aussi, en pouvoir discrétionnaire du Premier ministre, la nomination de l’État-major de l’armée, alors qu’on sait combien la stratégie d’Ennahdha depuis des années est de bien s’inféoder la base pour dégager ensuite le sommet !
Il y aurait enfin la nomination tout aussi discrétionnaire du gouverneur de la Banque centrale tunisienne, c’est-à-dire du lieu même où se décident la politique monétaire, le contrôle de la monnaie et de sa valeur d’échange, de sa stabilité, où s’ajustent les prix, où se financent les crédits et se décident les taux d’intérêt, bref où se supervise le système financier dont la fiabilité autorise les emprunts internationaux.
On imagine la tête du gouverneur actuel de la Banque centrale de Tunisie Mustapha Kamel Nabli, qui était jusque là présumé futur président de la République tunisienne, selon un scénario à la libérienne béni par les Américains ! On se demande ce qu’en pense la Banque mondiale ! Le nom de son successeur est même déjà avancé dans des indiscrétions de coulisses : il s’agirait du propre cousin par alliance du futur Premier ministre Hamadi Jebali, c’est-à-dire Béchir Trabelsi, ancien Pdg de la STB.
Tous ces bons placements se seraient faits, selon les mêmes sources (Africa Intelligence) par l’entremise de Hamed Karoui, ex-ministre de Bourguiba, ex-directeur du Psd (parti de Bourguiba), ex-Premier ministre de Ben Ali, ex-directeur du Rcd (parti de Ben Ali) et aujourd’hui consultant d’Ennahdha : quel joli CV pour ce nonagénaire auquel ses vieux amis, notables de Sousse qui prenaient avec lui gentiment l’apéro sur la terrasse de l’hôtel Tour Khalaf ou au bar de la plage de l’hôtel Marhaba, devraient recommander aujourd’hui, peut-être du fond de leurs tombes, de prendre un repos bien mérité !
Dans le même esprit familial, il se dit aussi que Rached Ghannouchi confierait à son gendre un portefeuille de souveraineté, celui des Affaires étrangères réservé jusqu’ici à Samir Dilou et convoité par d’autres élus.
Ce ne sont peut-être que des cancans, mais les protestataires qui se retrouvent jour après jour devant l’Assemblée constituante ne veulent pas d’un Benalisme bis ; ils vomissent le favoritisme, le népotisme, le régionalisme, le clientélisme. Ils refusent tout détournement de la révolution et savent que, sous couvert d’organisation des pouvoirs, se profile une tyrannie. Ils ont compris que, de la Manouba au Bardo, le projet à plusieurs mains qui se trame, c’est de sabrer la liberté et de tordre le cou à la démocratie.
Dans le bassin minier d’où est sorti il y a 3 ans le premier souffle de la révolution - nos veilleurs de guet américains ne s’y sont pas trompés - du ventre de la terre d’où jaillissent à nouveau des glaires sanglantes, les enfants des mineurs de fond aux poumons encrassés de poussière de phosphate réclament un travail en réparation des pneumopathies de leurs pères.
Des centaines de jeunes chômeurs se présentent au concours de la Compagnie des phosphates de Gafsa et malgré la prise en compte de critères sociaux en bonus à leurs CVs indigents, désespoir et colère éclatent aux résultats, suivis de menaces, de dénonciations et de calomnies envers les candidats retenus.
L’emploi n’est pas un héritage : dans un mode de production moderne fondé sur le contrat, il obéit à des normes de professionnalisme et à une rationalité économique. Expliquer cela à de jeunes chômeurs si longtemps en attente et convaincus de leur bon droit n’est pas du ressort d’un chef de personnel ni d’un directeur de ressources humaines bouc émissaire de toutes les injustices.
C’est une affaire politique, mais tous les ministres actuels et les futurs ministres sont aux abonnés absents. Cette vacance de l’autorité, pour ne pas dire cette incurie, lève aux marges de la Tunisie qui a faim, de la Tunisie qui a mal, de celle qui a donné les martyrs et qui vote aujourd’hui pour Al Aridha, une tempête de rage, un incendie : dans le bassin minier, c’est la dévastation d’institutions, de véhicules, de wagons livrés aux flammes. Le bâtiment colonial de la Compagnie des phosphates de Gafsa, vieux de 125 ans, est parti en poussière, entièrement brûlé.
Dans ‘‘Le jardinier de Metlaoui’’, l’écrivain français François-Georges Bussac fait le récit romancé, à partir des mémoires de son grand-père Henri Wiesser, directeur de la Compagnie des phosphates de Gafsa au début du 20ème siècle, d’une saga familiale métissée autour d’un jardin fleuri entre les mines.
Découvert en 1887 par le géologue français Philippe Toma, le minerai de phosphates dans l’anticlinal de Metlaoui a porté la Tunisie au 5ème rang mondial pour la production du phosphate et au 2ème rang pour son exportation. Les mines sont aujourd’hui fermées et c’est cette richesse là que nous avons laissé saccager.
Par trop de misère et trop d’ignorance, par trop d’appétit du pouvoir qui refuse d’entendre, par trop d’incapacité à partager, nous laissons notre pays aller à la ruine. C’est ce que nous disent en substance, les jeunes pendus de Mdhilla: «Yezzi!»
Faut-il encore que ce soit un étranger qui nous le rappelle : quand on aime vraiment sa terre, on peut faire pousser des fleurs en plein désert.
Source : ‘‘Alternatives Citoyennes’’ http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/2011-12/011211-w.html