Mohamed Sadok Lejri écrit – La Tunisie dispose d’une élite intellectuelle brillante, mais parfaitement inaudible, alors que les salafistes occupent les universités. Partout, la bêtise marque des points…
L’article qui a pour titre «Etat des atteintes aux libertés dans les universités tunisiennes», paru le samedi 10 décembre 2011 dans notre journal Kapitalis, et qui présente une vue synthétique de l’état déplorable de notre université, a fait naître en moi un sentiment de colère mêlé à un brin d’hilarité.
Ceux et celles pour qui l’adjectif tragi-comique tient encore d’une pensée brumeuse et flottante, je leur conseille d’aller faire un tour du côté de la faculté de lettres de la Manouba. Car ce qui s’est passé là-bas incarne parfaitement la tragi-comédie. La bêtise a pris, de surcroît, un corps de chair, ou plutôt un entrecroisement de tissus et de poils.
La vérité dans la bouche des salafistes
Euh… toute réflexion faite, l’expédition de la Manouba menée par la nouvelle vague d’intellectuels tunisiens, avec comme leaders «Kamis» et «Karîiya», ne peut que dissiper nos craintes, à vrai dire, quant à l’avenir de notre université. En effet, la sagacité du courant salafiste a réponse à tout. Et c’est tout à fait normal, il détient la vérité, la vérité absolue mesdames, mesdemoiselles et messieurs ! Ah oui ! Qui dit mieux ? Plus d’interrogations sans réponses. Plus de réponses retenues. Quand on est un bon salafiste, on assène les réponses de manière péremptoire. Car un bon salafiste est un salafiste qui exhale des vérités en toute confiance. Pour être un bon salafiste, il faut avoir confiance en soi. Plus de réflexions sur la nature et les causes qui font que l’univers existe, que l’Homme existe. Plus de discussions oiseuses sur la liberté et le doute. Tout est écrit dans le Coran. Le retour à la religion pure des anciens est la solution à tous nos maux. Mais où avions-nous la tête ? Pourquoi se casser la nénette alors que «Kamis», «Karîiya» et «Naqiba» sont là, souriants, avec leur bonne grâce et leurs manières avenantes, et prêts à répandre la lumière sur nos visages de mécréants aigris ? Nos valeureux barbus et «niqabées» sont las de nous voir baigner dans l’ignorance, dans le «jahl» (ou «djahl» comme disent, désormais, certains de nos compatriotes en imitant l’accent des pays du Golfe ; eh oui, c’est là qu’est le génie !). Ils sont las de nous voir obnubilés par la culture occidentale qui, en l’occurrence, n’est que le résultat d’un mélange savant et diabolique de sionisme, de franc-maçonnerie, d’impérialisme américain, de gauchisme et, last but not least, de francophonie.
A tous les Talbi, Djaït, Seddik, Meddeb, Bouhdiba… Qu’avez-vous fait durant toutes ces décennies ? Vous avez passé toute votre vie à consulter livres et encyclopédies dans les bibliothèques et à publier vos travaux de recherche, alors que Wissem Othman et ses maîtres à penser auraient pu vous débarrasser de tous vos tourments intellectuels, car rien de ce qui est humain ne leur est étranger. Mais bon ! Il est dans la nature de l’homme de se tromper. Grâce au salafisme, Wissem et ses frères ont tout compris. N’est-ce pas Cheikh Mourou ? Ou Maître Mourou comme le lui a asséné ce même Wissem Othman. Alors, messieurs les intellectuels, ne vous faites pas du mouron, car la relève est assurée !
Des élites divorcées du peuple
Bon ! Trêve de plaisanteries, en dépit du fait qu’il n’en reste pas moins que c’est tout ce qui nous reste. La Tunisie dispose d'une brillante élite intellectuelle, grâce à notre université.
Malheureusement, le discours de nos penseurs est inaudible. Il ne peut être saisi par tous les bipèdes, a fortiori (et paradoxalement), par ces étudiants qui sont le résultat d’une politique d’abrutissement qui dure depuis des décennies. En somme, ces fanatiques prouvent que l’Etat a dépensé des fortunes pour pourvoir la Tunisie d’étudiants (ce n’est plus le terme approprié, à mon humble avis) quasi analphabètes. D’étudiants «bêtes et méchants», au surplus.
Beaucoup de Tunisiens, notamment «echaâb el karim», ont fini par développer un complexe d’infériorité, d'hostilité et de rancœur à l’égard des intellectuels (francophones surtout) et les associent «allègrement» au régime de Ben Ali. En Tunisie, et c’est dommage, les élites ont divorcé du peuple il y a belle lurette. Ce dernier, sans discernement, confond très souvent l’intellectuel éclairé (passez-moi cette redondance qui frise le pléonasme) et occidentalisé avec ceux qui détenaient le pouvoir. Cette manière de voir les choses et l’aversion qu’ont pas mal de personnes pour les intellectuels progressistes font le lit du fanatisme et permettent à la médiocrité de s’enraciner dans l’esprit du citoyen lambda.
Notre jeunesse est aux abois, certes. Sa détresse est tout à fait compréhensible.
Cependant, son esprit est borné. L’islam est sa seule référence culturelle. Ses lectures (si lecture il y a) sont, désormais, exclusivement coraniques. Je généralise, mais bon ! Il faut dire que mon intention est de donner un coup de pied dans la fourmilière. Le jeune tunisien n’a d’autre ambition que la sauvegarde des valeurs morales qui émanent de la religion ou plutôt du religieux. Il suffit de crier «Allahou Akbar» et de manifester énergiquement son attachement à l’identité arabo-musulmane de la Tunisie, la fameuse «hawiatouna», pour galvaniser et mobiliser des milliers et des milliers de personnes.
Nos universitaires et intellectuels sont, en permanence, exposés aux interprétations calomnieuses. Ils sont victimes des flambées démagogiques des «Frères». Le discours conservateur/moralisateur de ces derniers est le seul qui soit à la portée du commun des mortels.
Au lieu d’envenimer le quotidien de nos professeurs (du supérieur et du secondaire aussi), je propose à ces illuminés de se substituer à eux. Eh oui, puisqu’ils détiennent la vérité ! Ça sera gai !
* Etudiant.