Dr Fayçal Mehrez écrit – Seule une gouvernance collégiale minimiserait les risques de dérive liés à une gouvernance personnelle qui s’accompagne généralement d’une volonté de léguer le pouvoir à la descendance.


Les comparatifs entre régimes présidentiel et parlementaire sont assez répandus. Le sujet est complexe et il est difficile de trancher pour l’un ou pour l’autre des régimes, surtout quand on sort d’une révolution !

Se mettre à l’abri d’un retour à la dictature

Un régime parlementaire se reconnaît par l’interférence des deux pouvoirs exécutif et législatif et notamment par la révocabilité mutuelle entre les deux. Dans la pratique, ce régime se caractérise par une gouvernance relativement instable. Un pays comme l’Italie aurait vécu en moyenne un changement de gouvernement tous les 18 mois depuis la 2ème guerre mondiale. Ce qui rend la situation dans ce pays difficilement gérable. Dans d’autres pays, ce sont les partis minoritaires dit d’arbitrage qui gouvernent de facto en faisant sans cesse pression sur les majorités relatives en place.

Le régime présidentiel se caractérise par la séparation plus ou moins stricte des pouvoirs. Il aboutit à un système de gouvernance généralement plus stable. Sauf que dans tous les pays ayant adopté ce système, les dérives ont été telles que le président de la République, en s’appuyant sur sa légitimité obtenue grâce au suffrage universel (direct ou indirect), s’est transformé en pseudo monarque. Et les excès des Bush père et fils aux Etats-Unis, et ceux de Sarkozy en France, bien que le régime dans ce pays soit considéré comme mixte, suggèreraient que dans un pays comme la Tunisie on ne serait pas à l’abri d’un retour à la dictature.

Culturellement et pour des raisons profondes nos compatriotes et coreligionnaires dans le monde arabo-musulman ont tendance à succomber au «pouvoir du pouvoir» et à virer net vers des comportements dictatoriaux. Ces comportements s’accompagnent généralement d’une volonté farouche de léguer le pouvoir à la descendance… L’existence même de la dynastie des Omeyyades en est une parfaite illustration. Celles des Abbassides en est une confirmation. Et la présence de Bachar Al Assad et les intentions avouées de Moubarak et de Kadhafi ne laissent que peu de doute sur l’ancrage d’un tel état d’esprit.

Une gouvernance collégiale et non personnelle

Comment procéder alors pour assurer une stabilité plus que nécessaire au développement du pays tout en minimisant les risques de voir un président devenir omnipotent… voire rétablir une sorte de dictature ?

L’idée serait de donner le pouvoir non pas à un homme ou à une large assemblée mais plutôt à une équipe restreinte, composée de personnalités importantes, en nombre impairs, disons 3 ou 5 personnalités. Cette équipe sera élue en tant qu’équipe au suffrage universel direct : l’ensemble du peuple aura à choisir entre des équipes gouvernantes et non pas des personnes. Alors que dans le cas d’un régime parlementaire les membres sont élus localement. Elle aura donc la légitimité pour gouverner. Et elle sera chargée de diriger le pays de façon collégiale.

Cette gouvernance collégiale minimiserait les risques de dérive mais aussi des erreurs de gouvernance, en relativisant le rôle des personnes. Elle me semble aussi culturellement compatible avec les traditions.

Il restera bien sûr à définir les prérogatives d’une telle équipe gouvernante comme la nomination des membres du gouvernement. Et les interactions entre ces pouvoirs et ceux du parlement. Et tout cela nécessite un temps de réflexion certain. Mais, me semble-t-il, rien qu’en partant sur l’idée d’accorder à cette équipe les pouvoirs du président d’un régime présidentiel (stricte ou mixte) on assurerait une certaine stabilité tout en minimisant les risque des dérives dictatoriales.

NB : A ce qu’il paraît, à l’aube de son indépendance, la Tunisie était gouvernée de façon collégiale, par une équipe composée de quatre ou cinq personnes dont Habib Bourguiba, Ahmed Tlili, Mahmoud El Matri… Mais, hélas, l’absence de cadre constitutionnel à cette expérience a fait que Bourguiba a fini par récupérer tous les pouvoirs et tomber dans les dérives dictatoriales…

* Directeur de DSE-Consulting.