Début décembre le président d’Ennahdha s’est rendu à Washington pour montrer patte blanche aux Américains et au lobby sioniste international. Quelles sont les motivations du cheikh ?
Par Fatma Benmosbah
Avant de prendre les rênes du pouvoir et sur les conseils de son ami Richard Pearl, le Premier ministre turc Erdogan s’était rendu en 2003 à Washington pour présenter ses lettres de créance. Aujourd’hui c’est à Rached Ghannouchi de quémander l’accord américain pour jouir en toute tranquillité du pouvoir tunisien.
Ghannouchi invité de Foreign Policy
Au début du mois de décembre, M. Ghannouchi s’est rendu à Washington pour assister à la cérémonie organisée par le magazine ‘‘Foreign Policy’’ au cours de laquelle il a reçu la distinction de l’un des plus grands intellectuels de l’année 2011, décernée par le prestigieux média américain.
Il est à noter que parmi ces 100 plus grands intellectuels dont fait partie Rached Ghannouchi on retrouve les sinistres Dick Cheney, Condoleezza Rice, Hillary and Bill Clinton, Robert Gates, John McCain, Nicolas Sarkozy, Rajae Tayeb Erdogan et, comble de tout, le sioniste Bernard Henri Lévy comme on retrouve certains de nos «intellectuels arabes» tels que Wadah Khanfar, Mustapha Barghouthi, Wael Ghonim ou Sami Ben Gharbia, Mohamed Baradei et une liste malheureusement encore bien longue de laquais bien rodés à la tartufferie révolutionnaire par des organismes comme Freedom House ou Global Voice Project.
Curieux nationalistes que ces «héros» qui acceptent les honneurs d’un organisme américain qui a, de tout temps, soutenu les dictatures et qui continue à clamer haut et fort par la personne de son président qu’aucun allié n’est plus important aux Etats-Unis qu’Israël. Il est vrai que, comme l’estime le ‘‘Foreign Policy’’, «le Printemps arabe a remodelé la région et Obama s’est adapté, comme les valeurs et les intérêts de l’Amérique l’exigeaient.» C’est vrai qu’en politique américaine, les alliances changent, les intérêts restent les mêmes.
Et comme si ce n’était pas suffisant, Rached Ghannouchi a profité de son séjour pour se rendre au Washington Institute for Near East Policy (Winep) où il a tenu une conférence sur sa conception de l’islam moderne et modéré et où il a répondu à plusieurs questions posées par l’assistance.
Le vieil homme et les casseroles
Avant de rendre compte de la teneur de ses discussions avec les dirigeants du Winep, il est utile d’expliquer que cet organisme est un think tank très influent fondé en 1985 par Martin Indyk, auparavant chargé de recherche à l’American Israel Public Affairs Committee ou Aipac, le lobby israélien le plus puissant et le plus influent aux Etats-Unis. Son influence s’exerce principalement sur les médias et le pouvoir exécutif américain. A cet effet, le Winep convie les journalistes à des déjeuners hebdomadaires, publie des analyses et fournit des «experts» aux stations de radio et aux talk-shows télévisés. Les collaborateurs israéliens du Winep, et parmi eux les journalistes Hirsh Goodman, David Makovsky, Ze’ev Schiff et Ehud Yaari, bénéficient également d’un accès direct aux médias américains.
C’est donc devant un parterre composé de journalistes, de politiques et décideurs dans leur majorité plus soucieux des intérêts d’Israël que de ceux des Etats-Unis eux-mêmes que Rached Ghannouchi a exposé sa vision du futur rôle joué par les Frères Musulmans en Tunisie, en Afrique du Nord et dans le monde arabe et de leur collaboration avec les Etats-Unis.
Non content de montrer son allégeance totale au gouvernement américain en ponctuant ses discours par des compliments mielleux, Rached Ghannouchi a tenu à rassurer le lobby sioniste quant à l’article que lui-même avait proposé d’inclure dans la constitution tunisienne concernant le refus du gouvernement de collaborer avec Israël. Il ne sera jamais inscrit dans la Constitution tunisienne que la Tunisie n’établira jamais de relations de quelque nature que ce soit avec l’entité sioniste. Le problème n’est pas tant dans l’inscription de l’article dans la Constitution (bien que réclamée à cor et à cri par les sit-inneurs du Bardo) mais les voltes-faces et les revirements du cheikh comme il aime à se faire appeler. Le peuple tunisien n’est pas le seul à le taxer de menteur. Son passage au Winep n’a pas été un moment de plaisir. On ne plaisante pas avec le lobby juif qui est très rancunier et n’oublie pas la moindre phrase ou déclaration faite à son sujet.
Croyant jouer au plus malin, notre pauvre Cheikh s’est fait épingler avec vidéo à l’appui quand il a renié avoir traité les Etats-Unis de Grand Satan en 1989. La honte pour une personne qui prétend devenir une référence en matière d’enseignement islamique.
Mais bon, notre serviteur de service accumule les sciences et les expériences et les alliances qu’il en tire. Il a commencé par le nassérisme égyptien, puis le baâthisme syrien, en passant par le tourabisme soudanais, le khomeïnisme iranien, le belhadjisme algérien, le saddamisme irakien, le kadhafisme libyen, l’erdoganisme turc, le hamadbenkhalifisme qatari et même le benalisme tunisien. Le voilà qui, aujourd’hui, s’essaie au sionisme israélien et à l’atlantisme américain. Son appétit est grand, c’est pourquoi il aura mangé à tous les râteliers. Mais lors de sa visite à Washington, il s’est réservé le morceau du chef en déclarant qu’il s’engage à respecter la démocratie et à coordonner ses actions avec l’Otan. Clair et net, la Tunisie de Ghannouchi sera occidentale ou elle ne sera pas, comme l’a été celle de Ben Ali.
La maison Tunisie ne fait pas de crédit
On appelle cela le changement dans la continuité. Avec cependant deux nuances de taille. La première c’est qu’aujourd’hui les choses ont changé et les Tunisiens ont appris à séparer l’Etat du parti. Si Ennahdha a obtenu le plus grand nombre de voix, ce parti n’est pas l’Etat. M. Ghannouchi, qui n’est que chef de parti, doit se souvenir que la Tunisie n’est plus à l’ère du Rcd-Etat, et à ce titre, il n’a aucun droit de parler au nom du gouvernement qui est composé de plusieurs partis. La seconde est que dire une chose et faire son contraire a un prix et dans le cas de la Tunisie de 2011, la maison ne fait pas crédit.
M. Ghannouchi doit garder en tête que la révolution s’est faite par les braves et sans son soutien. S’il est vrai que les millions de dollars du Qatar l’ont mené au pouvoir, les millions de Tunisiens qui ont renversé Ben Ali sont autant capables de le renvoyer en Grande-Bretagne si jamais il lui prenait l’envie d’en faire des collaborateurs du sionisme ou de l’impérialisme.
Il est dommage qu’un cheikh qui se prétend «Haut Guide Musulman» se place en tête de peloton de ceux qui ruent dans les bras du sionisme international alors qu’on attendait de lui qu’il soit le chef de file du combat contre l’occupation d’Al Qods et le projet de destruction de sa mosquée.
Blog de l’auteur ‘‘Taamul’’.