Samir Tlili écrit – La nouvelle constitution tunisienne risque d’exclure de la course à la présidence certains parmi les plus méritants enfants de la Tunisie.
Alors qu’on assiste chaque jour à la course de plus en plus effrénée que se livre la majorité des pays du monde en vue de s’attirer le retour de leurs compétences nationales et autres enfants prodiges du pays pour bénéficier de leur valeur ajoutée dans l’œuvre édificatrice de leur civilisation, nous autres en Tunisie, n’avons rien trouvé de mieux à faire en ce début du vingt-et-unième siècle que de nous diriger toute tête baissée vers la consécration de la politique de l’exclusion comme principe constitutionnel.
C’est là, la première réflexion qui me vient à l’esprit à la lecture de l’article 8 du projet de loi constitutive portant organisation provisoire des pouvoirs publics qui prévoit dans sa version remaniée : «Peut se porter candidat à la présidence de la République tout Tunisien de religion musulmane, jouissant exclusivement de la nationalité tunisienne, de père et de mère, âgé au moins de trente cinq ans».
L’exclusion des compétences étrangères
Car quand on voit une des plus grandes puissances des temps modernes, en l’occurrence les Etats-Unis d’Amérique, offrir le poste tant convoité de président de la République à un candidat métisse fils d’un Kényan noir et d’une Américaine blanche de souche irlandaise, on est en droit de se demander si nos chers élus de l’Assemblée nationale constituante ne sont pas en train de perdre la raison en consacrant l’exigence exclusive de la nationalité tunisienne aussi bien pour le père que pour la mère du candidat en question comme condition sine qua none à la recevabilité de sa candidature.
Les Etats-Unis sont loin de constituer le seul exemple. Israël, une autre puissance ayant bâti son Etat sur l’attraction vers son sol des compétences juives, ne cesse de multiplier les programmes et initiatives pour l’encouragement de l’immigration de ses compétences à l’Etat hébreu, ne lésinant ni sur les moyens ni sur les perspectives d’avenir que leur offre le retour au pays. La candidature à la présidence de la République n’est soumise chez eux qu’à la double condition d’être soi-même israélien et résident en Israël pour être acceptée ; aucune autre condition liée aux ascendants n’est requise à cet égard.
Voilà comment procèdent deux des plus grandes puissances modernes qui ont vite compris que le progrès et le développement nécessitent avant toute chose de rassembler en son sein la moindre compétence de ses enfants, quitte parfois à en arriver jusqu’à détourner les compétences étrangères, quand de notre côté, nous sommes en train d’ériger des barrières de plus en plus insurmontables pour faire obstacle à l’accès de nos compétences binationales au pouvoir.
Quelques informations ayant filtré ici et là, et notamment sur le web, laissent entendre que la rédaction de ce texte a peut être été orientée dans ce sens pour des raisons purement politiciennes dont la finalité est d’exclure la candidature de certaines personnes jugées, en ce moment précis que traverse le pays, nuisibles à la reconstruction de la Tunisie post révolutionnaire.
En admettant que ce soit le cas, il me semble qu’une telle manœuvre est d’une grossièreté telle que l’on ne puisse omettre de relever son anachronisme et son inadéquation à la nouvelle démocratie que l’on veut bâtir.
Ceci nous rappelle, en effet, une époque si proche où le régime déchu s’ingéniait par des méthodes, le moins que l’on puisse dire malhonnêtes et tortueuses, à exclure toute candidature potentiellement capable de lui faire de l’ombre.
Il aurait fallu, plutôt que d’user des mêmes méthodes fourbes d’autrefois, faire montre de davantage de sagesse et laisser la démocratie tracer seule sa route pour exclure tous ceux qu’elle jugera inaptes à prendre les rênes de la République. Ce n’est en effet qu’en respectant la démocratie qu’on garantira son triomphe et non en la bafouant par des manœuvres tendancieuses.
Car finalement quel risque y a-t-il de voir un Tunisien uniquement de père ou de mère accéder à la législature suprême de la République ? Qu’il soit d’intelligence avec les puissances étrangères au détriment des intérêts de son propre pays ? Encore faut-il qu’il soit très habile manœuvrier doublé d’une mauvaise foi bien dissimulée pour réussir envers et contre tout le monde à se faire élire à la présidence de la République et cumuler entre ses mains tous les pouvoirs de décision possibles, situation à laquelle la nouvelle constitution est censée à juste titre apporter toutes sortes d’obstacles et de garde-fous.
La révolution étant passée par là, jamais ce pays n’aura plus normalement à revivre la situation où tous les pouvoirs de la république se trouveront concentrés entre les mains d’une seule personne, ce qui relègue ce risque au rang des événements quasi-impossibles à se produire.
Kheireddine Pacha ou Mustapha Ben Ismaïl ?
Le vrai risque, par contre, c’est de voir le pays se priver de véritables patriotes qui, de par leur double culture et leur ouverture d’esprit sur les autres civilisations, peuvent, s’ils réussissent à accéder à la législature suprême, faire profiter le pays de leurs compétences et clairvoyance reconnues et éprouvées à l’échelle internationale. Car le pire qu’il puisse arriver à notre cher pays, c’est justement de voir un jour un de ses enfants rejeté parce que Tunisien uniquement de père ou de mère, accéder à législature suprême du pays de son parent étranger et réussir à le guider sous nos yeux ébahis vers plus de progrès et développement. On pourra alors se dire que nous avons réussi notre politique d’exclusion quand les autres nous enlèvent les meilleurs de nous-mêmes.
Faut il rappeler pour finir que le grand vizir Kheireddine Pacha considéré comme le plus grand réformateur de la Tunisie contemporaine devenu depuis un des symboles de notre histoire nationale au point d’illustrer nos billets de banque, est tout sauf Tunisien. Originaire de Caucase russe avant de tomber dans l’esclavage dès son jeune âge, il a atterri après un long périple dans la cour beylicale où il a pu accéder grâce à la vivacité de son esprit et son intelligence aux plus hautes responsabilités du royaume pour y mener l’un des plus grands chantiers réformateurs de son histoire. La réussite de son œuvre en Tunisie a été telle qu’il fut rappelé par le sultan ottoman de l’époque pour assumer la responsabilité du grand vizirat de l’empire en vue d’y apporter son expérience et ses réformes politiques désormais considérées comme références en leur temps.
Et l’ironie de l’histoire est là pour nous rappeler qu’autant un Kheireddine qui n’avait rien de tunisien s’était montré patriote dans le service de ce pays, autant un Mustapha Ben Ismaïl, grand vizir de Mohamed Sadok Bey, pourtant on ne peut plus tunisien, a été, par le détournement à son profit des caisses de l’Etat, celui par lequel le malheur du protectorat français s’est abattu sur la Tunisie.