Mohamed Sadok Lejri* écrit – La Tunisie n’a aucunement besoin de gens de mon acabit. De polygames francophones par-dessus le marché… le comble !


Ma cause n’a pas disparu. Le récent discours de M. Marzouki, sans le vouloir, l’a faite remonter au déluge. Certains comportements se perpétuent, paraît-il. Et les mentalités évoluent très lentement. Cependant, sous le couvert de son excellence, permettez-moi de plaider en faveur d’une organisation sociale considérée par d’aucuns comme archaïque : la polygamie.

Mes «drôles de dames»

En répartissant les Tunisiennes en trois catégories, Moncef Marzouki m’ouvre une brèche dans laquelle je ne puis m’empêcher de m’engouffrer. En effet, le souci taxinomique de Monsieur le Président ne peut qu’exhorter des hommes comme moi à se livrer à une sorte de catharsis salvatrice. Car, en fait, j’ai le cœur gros, et ce depuis quelque temps. Cette tribune sera, durant un laps de temps assez bref, le gîte de mes pensées les plus intimes.

Je suis le mari de trois magnifiques créatures. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que celles-ci sont «complémentaires». Mes trois épouses, Nakiba, Hajjouba et Safira, répondent à mon besoin affectif. Autant le préciser d’emblée, l’idée d’une inclination particulière vers l’une de mes coépouses est à bannir. L’esprit de justice règne au foyer. Ainsi, mes «drôles de dames» me traitent avec égard et bienveillance.

Naqiba : jamais sans son accoutrement

Naqiba est celle qui porte le voile intégral. Elle est d’une grande rigueur morale. Toujours fidèle à l’orthodoxie de notre religion, elle présente, en permanence, une harmonie dépouillée et sans faille entre ses actes et ses principes rigoureux. Elle ne se sépare jamais de son voile intégral, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse chaud. Elle ne le quitte jamais, à table et même sous la douche.

Elle garde toujours son accoutrement, même durant le coït. Je dois vous avouer que, jusqu’à présent, je n’ai jamais eu l’occasion de voir son visage. Eh oui ! Nakiba tient à ne pas se faire «violer» du regard. Quitte à ce que ce dernier soit celui de son mari bien-aimé. C’est une question de valeurs et de principes.

Il y a peu de temps, elle m’a fait part de son vœu le plus cher qui, je l’avoue, est quelque peu saugrenu. Elle voulait avoir un enfant. Ce qui est tout à fait légitime. Mais Naqiba souhaite contribuer à la perpétuation de l’espèce humaine sans avoir recours au rapport sexuel. Et là, je lui rétorque : «Naqqoubti… Franchement ? On ne va quand même pas, à la manière de Zizou et Docteur Leïla, se mettre à l’in vitro?»

Hajjouba et la schizophrénie «made in Tunisia»

Ma deuxième épouse, Hajjouba, est celle qui tend à limiter les excès. Eloignée de toute position excessive, elle est celle qui modère et tempère. Cependant, elle ne peut échapper à l’emprise de la schizophrénie «made in Tunisia» qui rend pas mal de Tunisiennes des êtres tiraillés entre le poids de traditions soucieuses des convenances et des valeurs restrictives et l’ensemble des dispositions qui régissent la coquetterie.

Hajjouba, mon épouse n°2, est voilée. Elle pratique le jeûne durant le mois de ramadan et prie quand ça lui chante. Néanmoins, ses vêtements sont toujours très ajustés. Ils lui moulent le corps.

Tous ses habits mettent en valeur ses parties féminines. En public, elle ne fume jamais. En revanche, une bonne cigarette de marque étrangère lui permet d’exhaler de la vapeur dans les charmants salons de thé «nassériens». Hajhaj est la force tranquille du foyer.

Safira au caractère bien trempé

Safira, ma troisième épouse, est celle qui horrifie mes frères polygames. Elle est celle qui répugne à se plier à mes injonctions qu’elle considère comme arriérées et rétrogrades. Elle est plutôt portée à l’oubli de certains principes séculaires. Elle croit s’en tirer en invoquant la doctrine féministe, le «Deuxième sexe» de Simone de Beauvoir et les thèses de Gisèle Halimi. Pour Safoura, la polygamie est une honte insupportable qui réduit le statut de la femme à l’humiliation et l’avilissement. Elle a consenti à ce que je lui passe la bague au doigt, car elle a toujours cru que j’étais «récupérable», comme elle le dit si bien, et que je pouvais «recouvrer la vue». Mais bon, autant traire un bœuf !

La force et l’éloquence avec laquelle elle s’exprime me subjugue quelquefois. C’est une femme au caractère bien trempé. De toutes mes épouses, c’est celle qui affronte la vie avec beaucoup de courage. Son esprit est orienté vers le travail. C’est normal, elle tient trop à sa liberté et à son indépendance.

J’ai toujours été impressionné par l’étendue de sa culture. D’ailleurs, de par sa clairvoyance et sa perspicacité, elle réussit toujours à exaspérer ses interlocuteurs. Certes, Safoura est aux antipodes des idées défendues par mes frères polygames ; néanmoins, de mes trois épouses, elle est celle qui s’adonne à d’interminables palabres en leur compagnie. Ces derniers ne se font jamais une opinion par eux-mêmes, alors que Safira détermine les siennes indépendamment des dogmes et des idées reçues.

Je sais qu’un polygame comme moi ne devrait pas verser dans le favoritisme, mais je crois que Safoura est celle que j’aime le plus. Elle est celle qui est la moins initiée à notre sublime religion et, de manière concomitante, celle qui a la conscience morale la plus développée. Safira incarne la sincérité et le courage.

Décidément, la vie de polygame n’est pas de tout repos. Toutefois, aussi loin que remontent mes souvenirs, la polygamie n’a jamais constitué, en Tunisie, un manque aspirant à être comblé. Notre pays n’a aucunement besoin de gens de mon acabit. De polygames francophones par-dessus le marché… le comble !

* Z’étudiant.