Wajdi Limam* écrit – La Tunisie est une vieille terre islamique et multiconfessionnelle. Elle n’a plus de crainte sur son identité. Ses élus doivent donner les mêmes droits et devoirs à leurs fils et filles, sans aucune exclusion.
Cette réflexion s’inscrit dans le cadre du travail à venir sur la Constitution tunisienne. Au vu des débats actuels, nous ne pouvons qu’être inquiets de la disparité des droits entre les Tunisiens détenteurs d’une seule nationalité, et ceux que l’on appellera, pour plus de facilités, les binationaux.
C’est-à-dire les Tunisiens ayant émigré et leurs enfants, détenteurs d’une seconde nationalité.
Le moment historique que nous vivons doit permettre à l’ensemble des élu(e)s de la Constituante, et particulièrement ceux élu(e)s par l’étranger d’être à la hauteur de leurs missions et de représenter les citoyens et citoyennes tunisiens, peu importe où ils se trouvent.
Ensemble, nous pourrons construire une Tunisie démocratique, égalitaire, permettant à chacun d’y avoir sa place.
Vers une citoyenneté à double vitesse ?
Les élus de l’Assemblée constituante ont pris des décisions restreignant les droits des Tunisiens binationaux. Plus que cela, ils valident une citoyenneté à deux vitesses, certains pouvant potentiellement accéder à la fonction suprême, d’autres en étant exclus. Ce sont les enfants et petits-enfants des couples mixtes, dont un des parents ne serait pas tunisiens qui seront concernés par cette mesure.
Nous pensons que la Tunisie doit donner les mêmes droits et devoirs à l’ensemble de ses enfants ; qu’ils aient juste un parent tunisien, qu’ils soient de confession islamique ou pas. En aucun cas, elle ne doit fermer ses portes et ses droits à des citoyens attachés à la Tunisie, voulant être partie intégrante de la construction de cette grande démocratie.
Les élu(e)s des Tunisiens à l’étranger ont vocation à rapprocher et représenter les citoyens. Notamment dans le cadre du travail autour du fonctionnement des institutions et de la rédaction de la Constitution. Ils doivent participer à la mise en œuvre de l’égalité des droits entre les Tunisiens de France et de l’étranger.
Au-delà du lieu de résidence, les Tunisiens sont attachés à leur identité, à l’avenir et au développement de leur pays. Ce travail de rapprochement est aussi du ressort des élus, notamment en lissant et en égalisant les droits entre les Tunisiens, peu importe qu’ils soient binationaux, fils ou filles de couples tunisiens, musulmans ou pas.
L’exclusion des Tunisiens issus des couples mixtes
Les élu(e)s de la Constituante viennent d’adopter l’article 8 du projet de loi constitutive portant sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics à la majorité des 145 voix. On exige du candidat à la présidentielle le fait qu’il soit de nationalité tunisienne, de père et de mère et de religion musulmane.
Que le candidat à la présidence de la république soit amené à renoncer à son autre nationalité pour la tunisienne, peut aisément se comprendre. Même si de nombreux autres pays du sud autorisent le chef de l’Etat à avoir une autre nationalité, on peut imaginer que le chef des armées tunisiennes ne doive en détenir qu’une seule. Si cet argument peut être recevable, le second, exigeant que ses deux parents soient tous deux de nationalité tunisienne en dit long sur la conception restrictive de la citoyenneté tunisienne.
On peut aussi s'interroger sur les raisons pour lesquelles on exclut les Tunisiens et les Tunisiennes issus des couples mixtes. Symboliquement, dire qu’un enfant d’un couple mixte ne peut accéder à la fonction suprême, c’est nier sa trajectoire familiale et son parcours de vie. C’est oublier que des Tunisiens ont été contraints d’aller travailler ailleurs dans le monde, de s’expatrier, de soutenir leurs familles restées sur place. C’est oublier cette solitude, cette nostalgie qui fut celle des Tunisiens vivants dans «el Ghorba» (l’Exil). C’est oublier, que dans les années 80, dans un pays comme l’Australie, on trouvait à peine 1.000 Tunisiens et Tunisiennes, avec l’isolement psychique, physique et culturel dont ils furent victimes. Ce sont à eux, enfants de ces Tunisiens, dont certains ont pris comme compagne des autochtones, que la nouvelle Constituante veut enlever le privilège symbolique de pouvoir un jour aspirer à l’honneur de présider notre nation ?
Les mêmes droits et devoirs aux fils et aux filles
Mettre des barrières trop restrictives à l’exercice de ses droits, c’est oublier, le rôle que nous binationaux avons joué dans la construction du processus démocratique, dans les mobilisations citoyennes, dans les actions solidaires, dans l’organisation de la première élection. En tant qu’acteurs engagés, nous voulons être mis sur le même pied d’égalité que les Tunisiens de Tunisie.
Les Tunisiens de l’étranger sont partie intégrante du peuple tunisien, et de sa révolution pour l’acquisition de ses droits démocratiques. Qu’ils soient en France, en Italie ou en Belgique, leurs mobilisations pour soutenir leurs frères et leurs sœurs en Tunisie, dans la lutte pour la démocratie, en font des acteurs à part entière de la Tunisie démocratique et républicaine. Ils doivent donc bénéficier des mêmes droits et devoirs que les Tunisiens de Tunisie. Les exclure de la potentialité d’accéder aux plus hautes fonctions, s’ils peuvent être compris, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays du monde, n’en demeure pas moins une option considérant l’identité tunisienne comme faible.
La Tunisie, est une vieille terre, islamique et multiconfessionnelle. Elle n’a plus de crainte à avoir sur son identité. Ses élus en sortiront grandis en donnant les mêmes droits et devoirs à ses fils et filles, sans aucune exclusion.
Nous devons promouvoir une citoyenneté réelle, ouverte sur la diversité des Tunisiens et sur leurs trajectoires. Il faut dans la suite des travaux avoir ces éléments en tête. Et ne l’oublions pas, 15% des Tunisiens et Tunisiennes vivent à l’étranger !
* Président de l'association Union pour la Tunisie (Uni*T)
Source : ‘‘Respect Mag’’.