Mondher Smida* écrit – Chicago, le 14 décembre 2011- M. Barack Obama, Président des États-Unis d’Amérique - 1600 Pennsylvania Avenue NW - Washington, D.C. 20500.


Monsieur le Président,

«Il y a deux moyens d’assujettir un peuple. Le premier est par l’épée. Le second est par la dette.» John Adams.

Les Tunisiens ont déclenché le printemps arabe en criant «Dégage» à la dictature de Zine El Abidine Ben Ali le 14 Janvier 2011. Ils ont ensuite continué leur œuvre en éliminant la dictature politique lors des élections du 23 octobre 2011. Sur le chemin de la liberté du peuple se cache un dernier loup : la dictature économique. L’abolition du joug de la dette est une condition sine qua non à la création d’une démocratie saine et radieuse en Tunisie.

C'est donc avec respect que je vous appelle, M. le Président, à vous joindre à ma demande d’annulation de la dette tunisienne détenue par les gouvernements étrangers. Les paragraphes suivants vous démontreront que la dette «odieuse» de la Tunisie est illégale, inconstitutionnelle et immorale.

I. La situation actuelle

Le montant de la dette tunisienne est de 14,7 milliards d’euros, soit 41.7% de son Pnb. Le paiement des échéances de la dette, quelques 725 millions d’euros cette année, est la deuxième dépense de l’Etat. Pour un pays aux moyens modestes comme la Tunisie, cette somme est l’obstacle majeur à son développement. À titre comparatif, cette part du budget national est supérieure au budget du ministère de la Santé publique ou à celui du ministère de la Jeunesse et des Sports, alors que 42,5% de la population a moins de 25 ans. Malheureusement, ce constat n'est pas une coïncidence ; je m'explique ci-dessous.

II. Le Néolibéralisme

La condition financière néfaste de la Tunisie est une conséquence directe du «plan d’ajustement structurel» conçu par le Fond monétaire international (Fmi) et que la Banque mondiale exige du pays. Le néolibéralisme se résume en quatre points :

a) dévaluation de la monnaie : un dinar faible permet à l’ouest d’acheter des produits tunisiens et d’engager la main d’œuvre tunisienne à bon marché ;

b) accès limité aux fonds destinés aux programmes sociaux et médicaux : la population est dépourvue d’un minimum de bien-être ce qui la soumet au bon vouloir de l’Etat ;

c) privatisation des organisations étatiques : une fois devenues privées, les prix de certains biens de première nécessité s’élèvent (l’Etat n’en profitait pas alors que les compagnies privées maximisent leur chiffre d'affaires). Ainsi, le coût de la vie augmente ; bien qu’une minorité s’enrichit, les pauvres, eux, s’appauvrissent ;

d) assouplissement des barrières commerciales : le marché local est ouvert aux grosses entreprises internationales qui offrent des produits à des prix inférieurs à ceux des petites entreprises du pays.

Les résultats sont désastreux : les petites et moyennes entreprises sont asphyxiées et l’économie nationale est, petit-à-petit, accaparée par les multinationales. Les Tunisiens sont devenus des super-consommateurs de produits européens. En 2010, par exemple, le déficit commercial de la Tunisie avec l’Union Européenne – qui fournit 74% des produits d’importations – était de -1,6 milliard d’euros. Ce chiffre serait l’équivalent d’un déficit de la balance commerciale des EU avec la Chine de 660 milliards de dollars, soit plus du double du montant actuel ! Très rapidement, le budget de l’Etat se creuse et le gouvernement doit emprunter davantage.

Une fois que les pays en voie de développement (puisque c’est ainsi qu’on les appelle) empruntent une telle somme et qu’ils ne peuvent plus payer à échéances leurs créanciers (et ils finissent tous par arriver à ce stade), le Fmi et la Banque Mondiale imposent en unisson un quid pro quo. Ils exigent alors la «conditionnalité» ou la «bonne gouvernance» suivante : ils aident le pays à «restructurer» sa dette si le pays accepte de vendre ses biens nationaux (ressources naturelles, biens publics, usines, sites archéologiques et ainsi de suite).

L’arnaque fiscale ne s’arrête pas là : la «restructuration» de la dette nationale permet au pays d’effectuer des paiements abordables en incluant les intérêts précédents dans le principal de la dette, le tout ficelé dans une «nouvelle» dette. Le pays commence donc à payer un taux d'intérêt sur les intérêts antérieurs. (Je simplifie ici le côté technique du calcul des intérêts car il est complexe et comporte plusieurs tranches, mais l’effet est le même.)

La Tunisie n’échappe pas à la farce et cette malversation financière est la raison pour laquelle la Tunisie, entre 1976 et 2009, a remboursé environ 160 euros chaque fois qu’elle en a emprunté 100. En Tunisie, payer un taux d’intérêt sur des intérêts antérieurs est contre la constitution ; par contre, pour la Banque Mondiale, cette pratique d’affaires constitue un modus operandi.

III. Le rôle des dictatures

Depuis l’échec de l’économie argentine en 2001, le Fmi avait connaissance de l’effet néfaste du néolibéralisme dans les pays en voie de développement. Malgré cette réalité, le Fmi et la Banque centrale européenne continuent de soutenir cette théorie. La raison de leur entêtement est en fait très simple : une fois qu'un pays est asservi par sa dette, il devient l’esclave de ses créanciers. La dette nationale est ensuite utilisée comme levier pour «négocier» des voix aux Nations-Unies, pour commencer des guerres, etc. Les témoignages ne manquent pas : en 1990, sous l’impulsion de M. Bush qui cherchait à entraîner l’Egypte et l’ensemble des nations arabes dans une guerre contre l’Irak, les Etats Unis ont tout simplement divisé par deux la dette égyptienne de 15 milliards d’euros.

Cela dit, la meilleure méthode pour promouvoir le néolibéralisme reste l’association avec des partenaires issus de la population locale. Les dictateurs sont des alliés de choix parce qu’ils ne discutent jamais le sujet de la dette.

Parce qu’ils sont bien trop préoccupés par la construction de fortunes personnelles et également parce que l’idée de regrouper le pouvoir économique du pays autour de quelques «élites» est leur rêve d’enfance. Le bandit de la Méditerranée, Zine El Abidine Ben Ali, et sa femme Leïla Trabelsi, la reine de la soupe aux grenouilles, ne faisaient pas exception. Afin de consolider leurs mariages de raison avec les dictatures, la Banque Mondiale, le Fmi et leurs organisations parrainées et affiliées, ont eu recours à deux groupes de personnes.

a) Les assassins économiques. Bien entrainés, ces «architectes politiques» ont pour but de corrompre les gouvernements. En d’autres termes, leur message est : «Si vous jouez le jeu avec nous, nous vous montrerons comment devenir extrêmement riches.»

b) Les conseillers techniques. Ces «économistes» aux discours flatteurs sont envoyés pour faire un formatage financier qui permettra aux membres du gouvernement de mieux «comprendre» le néolibéralisme.

Donc que se soit en créant un univers de corrompus ou en acheminant les responsables du pays vers une synthèse économique préméditée, le pays est conduit vers l’esclavagisme de la dette.

IV. La sortie de secours : la dette tunisienne est «odieuse»

Bien que cancérigène par nature, le cercle vicieux de la dette tunisienne peut être interrompu. La dette de la Tunisie est tout simplement «odieuse». Vous le savez sans doute, le concept de la dette «odieuse» a été ancré dans la jurisprudence internationale lorsque les Etats-Unis, lors de leur annexion du Cuba en 1898, ont refusé de payer la dette «odieuse» laissée par l’Espagne après plusieurs siècles d’occupation. D’après l’économiste russe, Alexander Nahum Sack, la dette d’un pays n’est pas légitime quand un régime despotique emprunte :

a) «pour renforcer ses pouvoirs, pour combattre le soulèvement de son peuple, etc.» ;

b) «à l’encontre du bien du peuple ou des meilleurs intérêts de l’Etat», et ;

c) «avec la participation de créanciers informés de la situation».

Les Etats-Unis ont soutenu ce principe lorsqu’ils ont aidé l’Irak à annuler près de 80% de sa dette. Vous même, M. le Président, aviez déclaré : «Il serait erroné d’alourdir l’Irak avec les péchés d’un dictateur déchu». Le cas de la Tunisie est similaire, si on exclut son manque de vastes ressources pétrolières bien sûr.

En conclusion M. le Président, le peuple tunisien, pendant le régime de Zine El Abidine Ben Ali, a déjà payé plus de 16 milliards d’euros pour satisfaire la dette nationale, y compris plus de 8,6 milliards d’euros pour les intérêts accumulés. J’ai toute confiance que mes frères et mes sœurs tunisiens continueront de rembourser leurs emprunts de manière honorable. Pour autant, il m’est impossible de justifier qu’ils soient maintenant tenus pour responsables d’une dette d’un dictateur qui les a terrorisés. Zine El Abidine Ben Ali a essayé de tuer son people… avec des balles «fabriquées au Fmi» et des fusils offerts par la Banque Mondiale.

Il n’est vraiment pas nécessaire de demander à la Tunisie d’entamer un procès devant les principes du droit international où elle demandera à être jugée par des pays frères et amis. Il n’est pas davantage nécessaire de déclencher un audit complet de la dette tunisienne qui ne ferait que révéler au grand jour les odeurs nauséabondes de la corruption et de l’avarice. Il ne serait surtout pas juste de récompenser les créanciers qui ont, pendant 23 ans, financé aveuglément et profité insidieusement d’un Etat terroriste. Vous et moi, M. le Président, avons une obligation de protéger ceux qui n’ont pu se défendre qu’avec un drapeau, rouge par le sang dans lequel il a baigné.

Soutenez-moi donc dans ma demande d’annulation de la dette tunisienne détenue par les gouvernements étrangers afin que dans les annales de la Révolution du Jasmin, la Tunisie et les Etats-Unis soient mentionnés dans la même page.

Respectueusement,

Mondher Smida

* Un Homme Libre dans Deux Pays et un Citoyen du G-193.

P.S. : Pour plus de détails sur ce sujet, je voudrais vous suggérer de visiter les liens suivants :
1) John Perkins, Former Chief Economist, Chas. T. Main, Inc. — Confessions of an Economic Hit Man.
2) Rep. Ron Paul (R-Texas), 2012 U.S. Presidential Candidate — World Bank and Poverty Speech (C-SPAN).
3) Greg Palast, BBC Newsnight, and Joseph Stiglitz, Former Chief Economist, World Bank — “World Bank creating poverty”.
4) Michael Kramer, Professor of Economics, Harvard University & Seema Jayachandran, Doctoral Student in Economics, Harvard University, The Financial Times — Make Odious Debt Too Risky To Issue.
5) Aris Chatzistefanou and Katerina Kitidi — Debtocracy.
6) Mehdi Khodjet El Khil, nawaat.org — La Dette Extérieure : Un Frein au Développement de la Tunisie.
7) “La Dette de la Tunisie” – Author Unknown.
8) Taieb Chtioui, Professeur à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion, Ancien Directeur de l’Institut supérieur de gestion de Gabès, Leaders.com.tn — L’épineux problème du chômage et le service de la dette extérieure.
9) Steven Greenhouse, The New York Times — Half of Egypt’s $20.2B Debt Being Forgiven by U.S. and Allies.