Un an après le geste désespéré de l’enfant de Sidi Bouzid, qui a déclenché les révoltes du Printemps arabe, beaucoup de choses se sont passées en Tunisie, et dans le monde. Un bilan non exhaustif…
Par Rachid Barnat
«Un homme simple, comme il y en a des millions, qui, à force d’être écrasé, humilié, nié dans sa vie, a fini par devenir l’étincelle qui embrase le monde», écrit Tahar Ben Jelloun dans son ouvrage ‘‘Par le feu’’.
Cela s’est passé il y a un an : le 17 décembre 2010, s’immolait Mohamed Bouazizi. Le geste désespéré du vendeur ambulant de fruits et légumes a déclenché une révolte sans précédent en Tunisie, qui s’est terminée, le 14 janvier 2011, par la fuite du dictateur Ben Ali à qui la foule demandait de «dégager» ! Depuis, la révolution a fait son chemin.
La mère et les soeurs de Mohamed Bouazizi avec des posters du défunt
Un geste aux conséquences inespérées
Un an après, on peut dire que le bilan est globalement positif comparé à ce que d’autres peuples inspirés par la révolution tunisienne, ont fait ou sont en train de faire pour se débarrasser eux aussi de leur tyran.
- Moins d’un mois après le début de la révolution, le tyran est chassé du pouvoir.
- Peu de morts (environs 300 martyrs), en comparaison avec d’autres révolutions.
- Il n’y a pas eu de vacation du pouvoir grâce à une constitution existante.
- L’armée a eu une attitude républicaine ; et l’a prouvé en protégeant le peuple.
- Le pays a continué à fonctionner, grâce à des institutions solidement ancrées dans le pays.
- Malgré quelques couacs, les deux premiers ministres provisoires ont aidé à la mise en place du processus démocratique ; qui a abouti, 10 mois après, à des élections transparentes qui ont eu lieu le 23 octobre 2011.
- Les élus du peuple, à leur tour, ont désigné un président de l’Assemblée constituante.
- Dans la foulée, la Constituante a promulgué une «mini constitution» ou règlement interne pour le fonctionnement du parlement de transition ainsi que celui du gouvernement de transition.
- Un président de la République, un Premier ministre et un gouvernement furent nommés, à peine un an après l’immolation de Mohamed Bouazizi.
Tout cela, comparé à d’autres pays, dans le cadre du printemps arabe, reste unique à tout point de vue. La démocratie, quoiqu’on dise sur son imperfection, fonctionne et s’installe petit-à-petit dans le paysage tunisien.
- L’Egypte : la révolution a été plus longue et le tyran Hosni Moubarak n’a fini par se retirer qu’au prix de centaines de morts. Des élections ont eu lieu, mais la démocratie reste incertaine, les militaires tirant les ficelles... Et, parfois, le feu sur les manifestants de la place Tahrir.
Le président Marzouki dépose une gerbe de fleurs sur la tombe de Bouazizi
- En Libye : la révolution a duré plusieurs mois avant que le dictateur Mouammar Kadhafi ne soit assassiné. Avec des milliers de morts et un pays quasi détruit par les bombardements en tous genres, ceux d’un tyran fou tirant sur son peuple avec la réplique des révolutionnaires, puis ceux des mercenaires de Kadhafi et enfin ceux de l’Otan, venus assister et protéger un peuple en danger... Tout est à reconstruire et tout est à créer puisque le pays ne possède aucune institution, tout était dicté et décidé par feu le «Guide»...
- En Syrie : malgré plus de 5.000 morts, le tyran Bachar El Assad est toujours en place, avec un pays saccagé à feu et à sang par un régime devenu fou, et une armée divisée s’entre-tuant...
- Le Yémen : malgré des milliers de morts, le tyran Ali Abdullah Saleh ne se décide toujours pas à dégager. Les institutions sont paralysées et le pays est à feu et à sang...
- Au Bahreïn : le roi d’Arabie a très vite étouffé la révolte par l’envoi de ses chars...
- Le Maroc : le roi Mohamed VI a su anticiper la révolte du peuple, en acceptant quelques sacrifices. Un semblant de démocratie se met en place. Mais les contestations demeurent.
- En Jordanie : le roi veut bien mais ne peut rien, coincé dans des traditions tribales et un parlement qui ne veut pas céder sur ses prérogatives...
- En Mauritanie : ça bouge, mais rien ne vient.
- En Algérie : des velléités de révolte de la part des Algériens, que les dinosaures en place calment (pour combien de temps encore ?), en ouvrant la bourse (réduction du prix de matières premières, augmentation de salaires...) Mais l’armée reste toujours omniprésente. La démocratie pour le moment n’est qu’un slogan «officiel» mais creux, définissant la république algérienne.
Une revanche sur la tyrannie
Et tout çà, les Tunisiens le doivent à ce jeune homme qui a stigmatisé dans son geste désespéré l’injustice et la corruption qui gangrenaient le pays ! Mais avant tout, pour clamer son droit à la dignité. Message très vite relayé par tout un peuple en communion avec lui, qui a abouti à la chute du dictateur Ben Ali. Son immolation aura été l’étincelle qui a déclenché la révolution tunisienne et bien au-delà.
Puisque les indignations vont gagner les jeunes des pays arabophones : Egypte, Libye, Yémen, Bahreïn, Syrie, Jordanie, Maroc, Algérie, Mauritanie, Palestine… Mais aussi de beaucoup d’autres pays du monde : Iran, Chine, Espagne, Belgique, Russie, USA, Israël… Une ère nouvelle s’est ouverte. Elle est aussi importante que fut celle de la «chute du mur de Berlin» ! Désormais les peuples s’expriment et veulent influer sur leur destin.
De là où il est, Mohamed Bouazizi a pris sa revanche sur la tyrannie quand par son geste désespéré il a aidé à faire «dégager» celui qui le tyrannisait. Il a redonné espoir aux peuples qu’il est possible d’influer sur leur destin, s’ils le veulent bien, comme dit le poète national tunisien Abou El Kacem Chebbi.
Qu’il repose en paix.