Rachid Merdassi écrit – La Tunisie a besoin d’investissements dans les infrastructures de base, la modernisation de l’agriculture et du tissu industriel, et le développement des nouvelles technologies.
L’autre soir, j’ai suivi avec agacement l’interview réalisée par la chaîne Al Watania avec un homme d’affaires égyptien qui se proposait d’investir à Tunis avec son associé tunisien (les associés tunisiens servent en réalité de prête-noms et de tremplins pour accéder aux crédits des banques locales et aux incitations de toutes sortes y compris la cotation boursière de valeurs spéculatives) dans un complexe immobilier et de loisirs, destiné à ce «dindon de la farce» qu’est la clientèle locale, devenue l’enjeu perpétuel de spéculateurs voraces qui n’apportent aucune valeur ajoutée réelle au pays sauf un surplus de paupérisation de ses classes moyennes boulimiques et une érosion de nos réserves en devises alors que la Tunisie profonde crie sa détresse et soif d’investissements structurants et durables.
Notre révolution qui a été bâtie sur la dignité ne saurait plus s’accommoder ni tolérer cette attitude béate et indécente, à la limite de la prosternée de nos responsables, medias et d'une frange de la société, pour être indulgent, face à ces faux mécènes dont on a réussi, au fil des ans, à faire des messies incontournables pour le développement du pays et à ancrer dans le subconscient tunisien comme étant des symboles suprêmes de réussite alors qu’il s’agit, pour la plupart d’entre eux, de prédateurs sans scrupules et sans états d’âme à qui nous avons cédé pour des miettes certains pans de notre patrimoine.
Ces chers «frères arabes»
C’est cette attitude à la limite de la servilité qui est pour beaucoup dans la montée de l’arrogance des ressortissants des pays pétroliers en particulier et leurs frasques en Tunisie et au Maroc.
On ne le dira jamais assez : la responsabilité première de cette dérive incombe en premier lieu à nos responsables qui, souvent à tort, ont vu en ces prédateurs une panacée à la problématique du développement et du chômage, et en second lieu, à la complaisance des médias dont l’exaltation et l’empressement se traduisent souvent par des carences dans la vérification et le jugement de l’importance de l’information et de son impact sur le public. Par leur manque de discernement et professionnalisme, ils encouragent et légitiment la prédation du patrimoine tunisien par des investisseurs privés, arabes et européens, aux antipodes de nos vrais intérêts et attentes, et qui trouvent en Tunisie et ailleurs une cible de prédilection pour faire fructifier leurs capitaux à travers des projets spéculatifs du court terme, sans réelle valeur ajoutée pour le pays et qui ne touchent la plupart du temps qu’au secteur des services dans lequel ils sont passés maîtres : promotion immobilière, centres de shopping, hôtels et centres d’animation, cible privilégiée de nos chers «frères arabes» qui se soucient comme d’une guigne des préceptes de fraternité et solidarité arabo-islamiques. La Tunisie a une longue histoire avec cette catégorie particulière d’affairistes que nos économistes doivent passer à la loupe pour éclairer l’opinion publique sur leur apport réel à l’économie et développement durable du pays.
Des investissements à faible valeur ajoutée
La montée en puissance, prévisible, des investissements arabes du Golfe dans notre région n’est pas le fruit d’une politique volontariste de leurs Etats mais une conséquence du 11 Septembre qui a vu plusieurs actifs arabes gelés par les pays occidentaux, des résistances politiques et culturelles des Européens à ces investisseurs qu’ils méprisent et ne tolèrent que pour mieux les arnaquer et de la crise financière en cours qui a fait subir à leurs avoirs dans les pays occidentaux un sérieux coup qui leur a causé des pertes énormes.
Aussi, la première des leçons que nos «chers frères arabes» ont retenue consistait à rechercher d’autres destinations d’investissement moins risquées notamment dans les économies émergentes du monde arabe dont la Tunisie, le Maroc, l’Egypte, le Soudan, etc.
Mais une analyse de ces investissements montre qu’ils sont concentrés sur les secteurs des hydrocarbures, du tourisme et de l’immobilier, avec une faible valeur ajoutée plutôt que sur les secteurs à forte valeur ajoutée fondée sur la technologie et le savoir permettant une exploitation optimale des ressources humaines et naturelles de notre région.
La Tunisie qui place l’attraction des investissements directs étrangers (Ide) au cœur de sa stratégie économique doit revoir sa politique en la matière en privilégiant les investissements productifs et non spéculatifs (comme ce fut généralement le cas jusqu’ici : groupes Al Baraka, Boukhater, Sama Dubai et d’autres) seuls capables de générer une dynamique de développement structurel viable et durable pour le pays.
Exacerbation de la spéculation et inflation des prix
Que le prochain gouvernement accorde à cette question sa pleine attention afin d’éviter les erreurs et dérives du passé car si nos «frères arabes» sont vraiment animés de bonnes intentions envers notre pays et soucieux de son bien-être et développement, qu’ils le manifestent en nous donnant accès plutôt à leurs fonds souverains à un taux «zéro» et sans arrière-pensée politique, ces fonds devenus otages d’économies occidentales qui s’en servent et laminent à chaque crise vraie ou fausse.
Nos priorités de développement sont la mise à niveau de nos infrastructures de base, la modernisation de notre agriculture, de notre tissu industriel, la maîtrise et développement des nouvelles technologies, etc. Ils constituent la véritable épine dorsale de notre économie et les garants réels de sa prospérité et durabilité et non pas la construction de plus d’hôtels, plus d’immeubles, plus de centres de loisirs qui n’apportent aucune valeur ajoutée aux Tunisiens mais qui, au contraire, exacerbent la spéculation et l’inflation des prix, paupérisent davantage la population par plus de recours à l’endettement et qui doivent demeurer l’apanage exclusif de nos hommes d’affaires locaux.
Ça sera seulement ainsi que nos amis occidentaux et «frères» arabes pourront nous convaincre de leur bonne foi et sentiments de réelle solidarité et de sincère fraternité.