Retour sur l’entretien du président du mouvement Ennahdha à Radio shems FM : dérobade, détour, imprécision, clair-obscur et démagogie.

Par Ridha Bourkhis


 

Jeudi 8 décembre 2011, entre midi et 13 heures, la radio tunisienne Shems FM a invité à son antenne le président du parti islamique Ennahdha, Rached Ghannouchi. Elle l’a interrogé tant sur ses idées et convictions que sur la très pénible situation sociale et politique de notre pays.

Fidèle à lui-même et à son parti, M. Ghannouchi a su donner des réponses à toutes les questions posées, mais sans vraiment répondre à aucune question. Il y a là un art de la dérobade, du détour, de l’imprécision et du clair-obscur insidieux que ne maîtrisent que les maîtres-démagogue.

Un profane enfonçant des portes ouvertes

Quand la journaliste lui a demandé de lui dire ce que son parti a programmé de faire pour résoudre la difficile situation économique de la Tunisie, il s’est lancé dans un discours oiseux et déroutant, celui sûrement d’un profane enfonçant des portes ouvertes, sur l’absence de richesses naturelles dans notre pays et sur l’enseignement qu’on doit réformer pour qu’il remplisse bien sa fonction. L’un de ses camarades, bientôt ministre de l’Enseignement, lui dirait, peut-être, comme il l’a déjà dit dans une interview, qu’il suffit de retirer des programmes littéraires des lycéens tunisiens les livres de l’écrivain Ali Douagi (Ah ! le sale alcoolique !) pour que l’enseignement soit réformé et à même de résoudre nos problèmes économiques majeurs !).

Où est passée la promesse de créer 500.000 emplois ?

Lorsque la journaliste s’est faite plus précise et lui a demandé de lui dire clairement ce que son parti fera pour donner du travail à ces 800.000 chômeurs, il a hésité, louvoyé, titubé et s’est encore enfui (ou enfoui) dans son flou «impressionniste» habituel : «Oui, nous essayerons... aucun parti ne peut... Oui, peut-être résoudrions-nous une partie du chômagen!». Rien de sûr, rien de précis, aucune vision, aucun plan clair pour résoudre ce fléau ! Alors que pendant la campagne électorale, son parti a bien promis de fournir bientôt aux chômeurs plus de 500.000 emplois ! Et c’est aussi grâce à ce genre de fausses promesses qu’il a «gagné» à sa façon les élections du 23 octobre 2011 !

A une autre question sur le rôle que jouerait son parti dans la reconstruction de notre pays en ruine, volé par les voleurs et dévasté par le despotisme, il a répondu, en se réconciliant vite avec sa fonction première d’imam et de prêcheur, que le salut sera dans la morale. Laquelle ? Celle qu’il présente comme la clef magique de tout progrès et de toute liberté. Pourtant voici des pays que M. Ghannouchi connaît bien et où la morale est prêchée, sauvegardée et défendue à coups de bâton et de matraque, et qui sont pourtant super sous-développés et gouvernés par des dictateurs des plus violents et rétrogrades ! Ni liberté, ni démocratie, ni droits de l'homme, ni émancipation de la femme, ni indépendance économique, ni science, ni technologie ! Rien que de l’obscurantisme et de l’hypocrisie ! Certains parmi eux font de l’accueil sur leur territoire et de la protection des dictateurs corrompus en fuite l’un de leurs préceptes «éthiques» majeurs !

Les Etats-Unis ont-ils aussi voté pour Ennahdha ?

Précisant la raison de son dernier voyage en Amérique, M. Ghannouchi a dit, sans la moindre modestie, que l’Amérique a voulu aussi rendre hommage à la révolution tunisienne à travers sa personne ! Pourtant cette révolution tunisienne, cheval de bataille des opportunistes de tout acabit, ne doit rien à M. Ghannouchi qui était richement établi en Grande-Bretagne quand, en décembre et janvier derniers, les jeunes Tunisiens, les chômeurs et les enfants des pauvres faisaient leur révolution et se faisaient tuer dans les rues par le système de Ben Ali. Même son parti Ennahdha ne peut prétendre que c’est à lui que la Tunisie doit la chute de ce dictateur ! Un peu d’humilité, messieurs dame s!

Enfin, M. Ghannouchi ne semblait pas peu fier de dire, sur un ton des plus sûrs, que c’est le «peuple tunisien qui a voté pour son parti Ennahdha». Mais est-ce que cela est bien vrai ? Lisons cette précision de l’avocat Salah Amamou : «Le peuple tunisien n’a pas voté majoritairement pour ce parti (Ennahdha) : il y a seulement 40 pour 100 des votants et 18 pour 100 de l’ensemble des électeurs tunisiens qui le soutiennent (presque la moitié des électeurs tunisiens n’ont pas voté).

Dans tous les cas, il demeure minoritaire. Pourquoi mentir aux Tunisiens ?» (‘‘La Presse de Tunisie’’, mardi 6 décembre 2011, p. 9)

Un peu plus de 18 pour 100, ce n’est pas tout le peuple tunisien et ce n’est pas toute la Tunisie. Alors un peu d’humilité messieurs Ghannouchi et Cie et trêve de démagogie !