Fathi B’Chir écrit – Ces imams dont ont dit, parmi le peuple, qu’ils «font pleurer», seraient-ils aussi hypnotiseurs et capables de dominer leurs «proies» avec des techniques de télévangélistes américains ? Scène ordinaire d’une miraculeuse conversion…


Qui était-il ? Un islamiste patenté, membre d’un parti ou un «indépendant» ? Militant d’une des multiples chapelles de l’islam politique ? Simple manipulateur qui fait de la foi en Mohamed un «fonds de commerce» ? Quel qu’il soit, il m’a été donné d’assister à une scène effarante, stupéfiante et même effrayante, dans l’avion qui me faisait quitter Tunis ce dimanche 18 décembre. Au fauteuil du milieu, à côté de moi une jeune fille, 25 ans à tout casser, assez moderne d’allure : jeans, bottes, pull moulant et elle avait au début de notre entrée dans l’avion appelé des copains/copines pour leur parler de son activité Facebook. Une jeune fille de son temps.

Le numéro de l’homme pieux

De l’autre côté, dans notre rangée de fauteuils près du hublot, un homme à l’allure civile, ordinaire, 40 ou 45 ans, légère barbe. Il ne cessait de remuer les lèvres pour prouver sa foi... ou peut-être était-ce le besoin de la montrer et sans doute était-ce le premier acte d’un scénario. Il faisait en tout cas son numéro : celui de l’homme pieux, un homme de bien, sage et profond.

Il s’est tourné au bout d’une demi-heure vers la jeune fille et s’est lancé dans un discours très moralisateur arborant un air sévère, avec invocation de sourates et du nom d’«Allah». Il a, manifestement, pris des cours de manipulation, été formé. J’ose dire bien entraîné. Sa technique était sans erreur, et visiblement il tissait sa toile, adroitement et avec la mesure d’un professionnel qui maitrise sa pratique.

Au bout d’un petit moment, la jeune fille sortit un mouchoir et se mit à pleurer. Il prend alors le ton de celui qui console, un ton de la voix mesuré, très paternel avec la gravité que l’on prendrait pour annoncer une arrivée en enfer. Ses mots sont ceux de quelqu’un qui paraît chercher à hypnotiser et, honnêtement, ayant vu opérer des hypnotiseurs médicaux, je crois qu’il maîtrise bien la technique de l’accaparement de l’attention, de la manipulation. Les psy Ericksoniens sauront de quoi l’on parle.

Il parle longuement. La jeune fille apeurée finit néanmoins par se détendre, moins crispée. Elle se tourne alors vers lui, livrée à son attention exclusive, et se met à débiter sa vie, ce qu’elle fait, ses rapports – apparemment compliqués – avec ses parents. Il lui parle, l’emballe au vrai sens du mot. Il semble avoir saisi vite quels sont les mots les plus aptes à la toucher, à l’émouvoir.

Le tout se déroulait à portée de mon oreille. Je ne pouvais ignorer la conversation dans un espace aussi réduit.

A un moment, je donne un léger et discret coup de coude à la jeune fille pour lui offrir l'occasion – ou le prétexte – de se libérer de cet interlocuteur envahissant, enveloppant, presque envoûtant. Elle n’a pas du tout réagi et s’est littéralement tournée vers lui, me présentant le dos. J’ai alors compris qu’elle était devenue – finalement – consentante. Elle se soumettait au bout d’une vingtaine de minutes à peine, sans aucune réserve, à ses questions très indiscrètes sur sa vie personnelle : mariée pas mariée, sur ses rapports avec d’éventuels fiancés, au boulot, avec ses parents. Il lui a expliqué comment sont les femmes au regard de la religion. Pourquoi Dieu a voulu protéger la femme contre elle-même.

La jeune migrante accède au ciel

Que pouvais-je faire ? J’écoutais. Il lui a parlé des femmes, de la tentation qui les menace et des hommes pouvant constituer une telle menace pour elles.

Je ne pouvais faire que capter leur conversation si proche de mes oreilles. Bon gré, mal gré, j’étais le témoin d’une scène où je voyais une sorte d’araignée emballer dans sa toile un pauvre insecte qui ne se débat même plus.

Elle buvait littéralement ses paroles. De temps à autre, sans doute pour lui donner le temps de «respirer», il se plongeait dans une prière, seules ses lèvres remuaient en cadence. Il marmonnait ce qu’on peut supposer être du Coran. Et de nouveau il se replongeait dans un discours au ton apocalyptique en tentant adroitement de lui faire dire son adresse, ses habitudes. Il lui promettait aide et assistance dans sa vie de jeune migrante. Il alternait entre l’annonce tragique de ce qui peut arriver à celle qui n’écoute pas Dieu et le conseil solidaire. Elle paraissait être littéralement sous le charme, les yeux humides de larmes contenues. Elle venait d’accéder au ciel.

Mon sentiment ? Je me sentais terrorisé par cette capacité de manipuler. Que nous réservera demain ? Et si vous, votre fille, votre petite sœur faisait une telle rencontre dans un avion, un bus, n’importe où.

J’ai raconté autour de moi l’histoire et l’un de mes interlocuteurs m’assure avoir déjà entendu au sein de la population, les moins éduqués, les plus perméables aux «fables» véhiculées par ces nouveaux «moralisateurs», un sentiment d’admiration mêlé à de la crainte d’«imams qui font pleurer». Hypnotisme ? Techniques enseignées ou prises en exemple sur celles pratiquées par des télévangélistes américains.

Ah, l’Amérique, cette Amérique qui nous aime tant qui prépare notre futur. Mais n’est-ce pas d’abord la responsabilité de nos nouveaux gouvernants, le trio de tête, de prémunir contre ce genre de pratique qu’elle soit du fait de musulmans sincères ou de ceux qui en profitent.