En écrivant une lettre ouverte à Moncef Marzouki sur des propos de ce dernier (sortis de leur contexte), Bernard Debré se trompe. Une erreur qui cache les vraies raisons de sa colère.
Par Jamel Dridi
Par une lettre que je qualifierais de très musclée, vous avez largement exagéré les propos du président tunisien, Moncef Marzouki. Ce dernier ayant demandé aux dirigeants français de ne pas jouer sur le sentiment d’islamophobie existant actuellement en France dans le cadre des futures élections présidentielles.
Vous savez très bien, M. Debré, que Moncef Marzouki, qui possède de nombreuses attaches tant intellectuelles que personnelles avec la France, n’a pas voulu s’en prendre à un pays ami de la Tunisie.
Vous savez très bien aussi que vous sortez aussi ses propos de leur contexte car vous n’ignorez pas qu’ils ont été prononcés dans le cadre de vœux chaleureux adressés au peuple français via l’excellent site Médiapart (que j’invite à consulter largement).
Vous faites d’ailleurs complètement fi de ce message de sympathie envoyé pour n’en retenir qu’une petite partie que vous sortez de son contexte. Cette sélectivité m’étonne.
Mais le plus important n’est pas là car l’énervement que l’on ressent dans votre lettre tire sans doute sa source ailleurs. Et cet ailleurs, pour ne pas passer par quatre chemins, se trouve sûrement dans la nostalgie d’une ère délicieuse pour une partie du pouvoir français. Un temps où les dirigeants français tiraient les fils des «pantins» comme Ben Ali pour reprendre votre expression (expression qui est si juste finalement). Un pantin Ben Ali qui, pour rappel, a choyé de nombreux politiques français avec des séjours gratuits dans des hôtels de luxe tunisiens quand au même moment il torturait des hommes et des femmes qui ne recherchaient que la liberté. Si vous avez de l’énergie à dépenser pour défendre l’honneur de la France, ce serait d’ailleurs plutôt sur ce terrain qu’il faut le faire car bénéficier de séjours luxueux de la part d’un dictateur quand on se dit représentant d’un pays défenseur des droits de l’Homme est beaucoup plus grave.
Là aussi, il y a une certaine sélectivité dans vos combats qui me laisse perplexe.
Eh oui, la françafrique, prolongement de la colonisation, se meurt et ni vous ni personne ni pouvez rien car pour paraphraser notre ancêtre commun, Victor Hugo, l’Afrique est en marche et rien ne peut l’arrêter. L’Histoire écrit effectivement sous nos yeux avec de grands et larges traits la véritable indépendance des peuples africains. Certes, il reste encore ici et là quelques pantins mais tout le monde sait que leurs jours sont comptés et que leur papas protecteurs n’ont plus les moyens de les maintenir sur leur trône face à leur peuple qui sont démocratiquement en forme ces temps-ci.
M. Debré, votre colère feinte sur des propos tenus sur la France ne ramèneront pas cette françafrique et n’empêcheront pas la Tunisie d’aller vers la souveraineté totale quels qu’en soient le prix à payer et les tentatives déclarées ou secrètes pour que ce processus n’aille pas à son terme.
Quant à l’islamophobie, c’est un sujet inquiétant et hélas si réel dans notre beau pays qu’est la France. Si l’on n’en est pas encore à raser les mûrs en tant que musulmans en France même si tous les jours des cimetières musulmans sont profanés, que des femmes musulmanes voilées à force d’être stigmatisés se font insulter et cracher dessus dans la rue, que presque tous les ans désormais l’Assemblée nationale vote une loi sur le port du voile, même si l’on ne rase pas les murs, comme je vous le disais, pensez-vous qu’elle n’existe pas en France cette islamophobie ?
Vous allez sans doute me répondre que non et qu’encore une fois le musulman français que je suis joue sa petite musique victimaire. Alors, en bon rationaliste que vous êtes, permettez-moi de vous rappeler un sondage Ifop publié dans le très sérieux journal ‘‘Le Monde’’ début 2011 qui dit que «pour environ 40% des Français et des Allemands, l’islam représente ‘‘plutôt une menace’’ et que 68% des Français estiment que ‘‘les musulmans ne sont pas bien intégrés dans leur société’’». Alors ce sondage, qu’en pensez-vous ? Niez-vous toujours que l’islamophobie existe ? Bien évidemment, je ne veux pas ici vous rappeler la condamnation pour racisme d’un ancien ministre de l’Intérieur ni les déclarations douteuses sur l’islam et les musulmans par certains politiques. Mais je peux approfondir la question si vous le souhaitez.
Pour finir, cher compatriote Debré (et c’est très amicalement que je suis prêt à vous offrir un bon couscous tunisien à l’œil), si lors de la campagne électorale qui vient nous pouvions éviter un nouveau débat sur l’identité nationale qui se transformerait en attaque en règle des musulmans comme la dernière fois ou un énième débat sur le voile ou la burqa ou une énième longue soirée de palabre sur une supposée menace terroriste islamiste… bref si nous pouvions parler d’autre chose comme de la crise économique dans laquelle nous sommes, des inégalités sociales croissantes, des discriminations à l’emploi dont sont victimes les jeunes français d’origine immigrée, etc., ce serait plutôt bien et peut-être un peu plus constructif.
Quant à ce Marzouki, ce rêveur en burnous, malicieux, vivant un conte de fée merveilleux que seule une démocratie peut offrir (ah moi aussi je me rêve un jour de devenir président français, moi le basané que je suis, est-ce possible ?). Quant à ce Marzouki, vous disais-je, laissez-le dire ce qu’il veut. Vous le savez si bien docteur Debré, les médecins, parce qu’ils sont mauvais politiciens, disent (et écrivent) souvent de grosses âneries.
Bien à vous.