Dr Ahmed Chebbi* écrit - L’intolérance aux avis différents peut s’expliquer en partie par le manque de tradition démocratique, mais aussi par une tendance de notre société à sacraliser les chefs politiques.
Maintenant que les anciens opposants les plus bannis sous Ben Ali sont au pouvoir grâce à la révolution, les règles démocratiques pour lesquelles ils ont souscrit devraient les inciter à donner toute sa place et ses droits à l’opposition.
L’«opposant» : un terme qui, dans le vocabulaire politique tunisien du temps de Ben Ali signifiait «ennemi de la nation», «pécheur en eau trouble», etc.
Le «déchu» est parti et une révolution, quatre gouvernements, deux présidents, et trois premiers ministres après, le terme «opposition» n’a encore rien perdu de sa connotation péjorative. Il a semblé pendant neuf mois que cette composante essentielle du système démocratique ait repris «ses lettres de noblesse», mais il n’en est rien.
L’acte premier de la transition démocratique achevé, l’opposant est toujours considéré comme un trouble-fête, un poseur de bâton dans les roues (dixit le président de la Constituante), un parasite, sans parler des nouvelles insultes postrévolutionnaires : ennemi de l’islam, détritus de la francophonie, Rcdiste, etc., bref le diable. L’opposant semble condamné à être cet éternel «marginal» de la politique tunisienne, haï par Bourguiba, diabolisé par Ben Ali, rejeté par la troïka.
Il est, par ailleurs, grave et désolant que les opposants d’hier qui sont les gouverneurs d’aujourd’hui sont ceux-là mêmes qui mettent en cause l’existence d’opposition.
On peut certes comprendre que la troïka agit par calcul politique partisan, mais de là à voir une grande partie de l’opinion publique refuser l’existence même d’une opposition est tout simplement inacceptable et irresponsable. Faut-il rappeler à nos concitoyens que la dictature de Ben Ali n’a pu s’imposer qu’après avoir leurré l’opposition en premier lieu et avoir mis tout le monde sous sa coupe (islamistes inclus). Peut-on ainsi oublier aussi vite le sacrifice de nos martyrs pour abolir l’ère du parti unique, du programme unique, de la pensée unique ?
L’opposition devait elle acquiescer quand la troïka proposait la nomination des juges de la cour constitutionnelle par le Premier ministre ? Devait-elle se taire lorsque la troïka proposait 50,01% des voix des élus seulement pour passer la constitution de la deuxième république ? Devait-elle se taire lorsque la coalition qui a mis deux mois pour former un gouvernement présente un programme qui n’est que slogans et fait passer le budget 2012 en moins de 24 heures ? Devait-elle se taire devant les interventions imprévisibles d’un président intérimaire qui, en demandant une trêve de 6 mois, ne propose aucune feuille de route susceptible de rassurer le peuple, ce président qui était de toutes les manifestations contre le gouvernement Béji Caïd Essebsi et qui, une fois au pouvoir, demande une trêve pour son gouvernement ?
L’intolérance aux avis différents peut s’expliquer en partie par le manque de tradition démocratique, mais aussi par une tendance de notre société à sacraliser les chefs politiques, empêchant les sympathisants de certains partis de les critiquer quand il le faut et d’avoir des avis indépendants.
Avoir un projet, une vision, un programme économique diffèrent serait-il inutile, futile, ou bien «pêché» ?
«La critique peut être désagréable, mais elle est nécessaire. Elle est comme la douleur pour le corps humain, elle attire l’attention sur ce qui ne va pas», disait Winston Churchill.
* Chercheur.