Rafik Souidi réagit à l’article de Guy Sitbon ‘‘Tunisie-Libye. Rached Ghannouchi croit au père Noël’’, publié jeudi par Kapitalis et plaide pour une Fédération des Etats d’Afrique du Nord.
Comme d’autres compatriotes, qui sont minoritaires, Guy Sitbon, qui est probablement un des journalistes tunisiens les plus talentueux et qui aime sans aucun doute avec passion son pays natal, est sceptique quant à la faisabilité d’une Union de la Tunisie et de la Libye encore plus des Etats d’Afrique du Nord et les tentatives infructueuses du passé peuvent justifier cet état d’esprit. M. Sitbon est manifestement un souverainiste.
Il faut cependant souligner que ces échecs étaient plus ceux de Nasser ou de Kadhafi. Plus particulièrement, la précipitation avec laquelle la fusion morte née de 1974 entre la Libye et la Tunisie avait été décidée peut expliquer pourquoi elle avait fait long feu. Sans préparation sérieuse et sans architecture minutieuse, les accords étaient vite tombés à l’eau. C’était aussi le mariage de la carpe et du lapin entre deux dictatures avec des systèmes politiques verrouillés et deux leaders aux antipodes. Plus encore : c’est la forme de l’Union envisagée – la fusion – qui explique à mon avis l’échec inéluctable des accords de Djerba.
Il existe pourtant la formule de la Fédération plus souple et dont la flexibilité est traduisible dans l’architecture d’un traité fédéral qui peut prendre en compte les spécificités et les particularismes des acteurs.
Si Bourguiba avait agi avec «étourderie» en 1974, affaibli par la maladie, il était en pleine possession de ses moyens au début des années 1960 lorsqu’il avait proposé justement la formule de la Fédération des Etats d’Afrique du Nord au Maroc et à l’Algérie sans réussir à convaincre ses interlocuteurs, l’affaire n’étant manifestement pas encore mûre. Bourguiba en effet était un Fédéraliste précurseur.
Aujourd’hui, la donne a radicalement changé en Tunisie et en Libye après leurs révolutions respectives et les liens entre les deux peuples ont été encore davantage resserrés en particulier avec le formidable élan de solidarité des villes du sud tunisien qui ont partagé le toit, le pain et le sel avec les familles des révolutionnaires libyens repartis au combat.
Il faut aussi noter que l’Histoire a plus souvent réuni ces deux territoires qu’elle ne les a séparés : sous Carthage, sous Rome, et dans le cadre de l’Ifriqiya arabe dont la capitale était Kairouan. Et comment pourrait-il en être autrement alors qu'il n’existe pas de barrière géographique ou ethnique ?
Depuis des siècles, les deux peuples sont à 99% musulmans, parlent la langue arabe et le même dialecte à quelques nuances près.
Quant aux complémentarités économiques, elles sont évidentes et on peut être assuré que cette entité pourrait connaître un essor irrésistible avec une croissance à deux chiffres sur une longue période et constituerait à terme la locomotive de la zone Mena avec un Pnb potentiel de plus de $500 milliards.
On ne parle pas ici d’un émirat pétrolier mais d’une véritable économie émergente à l’exemple des dragons du sud-est asiatique, en particulier la Malaisie.
En conclusion, il faut se souvenir des railleries qui ont accompagné les premiers pas de Jean Monet lorsqu’il avait proposé une Fédération des Etats d’Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale, on connaît la suite de l’intégration économique européenne. Ce rêve fédéral est en passe d’aboutir à court terme pour sauver l’euro malgré les réticences des souverainistes.
L’union serait donc judicieuse pour l’Europe avec ses multiples barrières géographiques, ethniques, linguistiques, religieuses, sans oublier les innombrables guerres ou antagonismes historiques, et ne le serait pas pour la Libye et la Tunisie ?