1er volet de l’article ‘‘Quel paysage politique pour la Tunisie en 2013 ?’’. Les Tunisiens, qui se sont mobilisés pour dégager le misérable déchu se mobiliseront pour sanctionner positivement ou négativement n’importe quel gouvernement.

Par Ezzeddine Ben Hamida*


 

Les alliances, contre nature, tissées aujourd’hui entre certains partis politiques imposent cette problématique. Mais la réponse soulève, d’une manière ad hoc, de très nombreuses interrogations :

- Quel avenir pour ces alliances ?

- Y aura-t-il des alliances nouvelles ?

- Quelle(s) influence(s) le régime constitutionnel futur exercera-t-il sur la nature et les orientations des alliances potentielles ?


Quel sera le score d'Ennahdha dans un an et demi ?

En gros, aujourd’hui le paysage politique de notre société se cristallise autour de 3 grands partis républicains, à savoir : Ennahdha (89 sièges avec 1.500.649 de voix sur 4.053.100 soit près de 40%), le Congrès pour la République (Cpr, 29 sièges avec seulement 341.549 voix) et Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol, 20 sièges avec à peine 248.686 voix). Ces trois partis concentrent à eux seuls 138 sièges sur 217, soit un peu plus de 63% des élus(1). En filigrane, il s’agit d’une majorité plurielle fondée sur des alliances contre nature.

Doctrinalement, il s’agit d’un courant religieux(2) prônant une idéologie particulièrement conservatrice et traditionnaliste. Son allié naturel, le «mouvement Salafiste», quant à lui, exhorte une société fondamentaliste dont la référence est la charia : leur dérive et leur intolérance ont atteint leur paroxysme début octobre après le passage controversé du film ‘‘Persépolis’’ ou encore lors des inscriptions aux universités des jeunes filles tunisiennes voulant ainsi imposer le ‘‘niqab’’ en s’attaquant aux doyens de certaines facultés, dont récemment la Faculté des Lettres de Manouba.


Siège du parti Ennahdha à Tunis

Il faut reconnaître aussi qu’au même moment, le mouvement Ennahdha multiplie les gestes d’apaisement et les déclarations rassurantes : respect des engagements internationaux, garantie des acquis des femmes, préservation du secteur touristique, etc. Cependant, de temps à autre, des déclarations assez fracassantes émanant des dirigeants de ce parti sèment (cultivent) le doute sur les vraies intentions de ce parti. Autrement, comment peut-on qualifier les déclarations du Premier ministre Hamadi Jebali (ma propre traduction) : «Un moment historique, un moment du divin, du tout puissant, qui représente les prémisses de la naissance d’une 6ème dynastie («khilafa») islamique» ? S’agit-il d’une déclaration sous l’effet de l’émotion et de l’euphorie de la victoire après 16 ans de bagne, dont 10 ans en isolement(3) ? Ou, d’une déclaration calculée, supputée, pour tester la réaction de la communauté nationale et internationale mais aussi celle de ses propres alliés actuels qui sont connus par leur attachement au concept de la «société civile» et la pondération de leur propos, pour mieux circonscrire son champ d’action ?

La marche vers la modernité entamée par la Tunisie depuis plus de 50 ans est un processus irréversible. Les responsables politiques d’Ennahdha en ont pris récemment conscience. Mieux encore, ils ont intégré, habillement me semble-t-il, la dimension internationale dans leur conception globale de la gouvernance. Ils ont compris, contrairement aux Iraniens en 1979, tout l’intérêt à s’ouvrir sur l’Occident et à avoir des solides partenariats économiques avec nos voisins du nord. Ils ont ressenti également la fragilité de ce processus révolutionnaire – ce cheminement vers la démocratie – ainsi que l’hostilité de certains voisins des deux rives de la Méditerranée.

a) Incontournable… :

Désormais, Ennahdha est un parti politique incontournable dans le paysage politique tunisien ; son évolution dépendra certainement du succès de ses réponses à la détresse économique et sociale de nos concitoyens. Aujourd’hui, il a concentré près de 40% des voix en sachant qu’il a bénéficié, en partie, d’un vote de compassion beaucoup plus que d’un vote idéologique.

Ennahdha représente, en effet, comme je l’ai fortement souligné dans mes précédents articles, dans l’esprit des Tunisiens le parti martyr, c’est-à-dire le parti qui a le plus souffert des pratiques de Bourguiba et du misérable déchu. Il a pu ainsi gagner la sympathie et la générosité de nos compatriotes. Le volume du vote idéologique devrait se fixer aux alentours de 30%. En fait, c’est presque le score des grands partis politiques dans les grandes démocraties occidentales.

b) ... Indispensable… :

Ennahdha est, à mes yeux, un parti indispensable dans notre paysage politique. Pourquoi stigmatise-t-on autant l’islam alors  que les puissances occidentales disposent toutes des partis politiques qui font référence à leur culture chrétienne ?

Le Parti chrétien-démocrate de Christine Boutin en France ou encore le Front national dirigé par Marine Le Pen, national-catholique, ne sont-ils pas des références au christianisme ? Que doit-on dire alors à propos des Allemands : l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne ou encore l’Union chrétienne-sociale en Bavière ? Pourrais-je oublier l’Espagne et l’Italie où parfois la ferveur chrétienne catholique démesurée atteint son paroxysme par l’intolérance et la xénophobie ? Et l’église orthodoxe en Russie n’est-elle pas de plus en plus influente dans la vie politique russe ? Avons-nous oublié la paroisse que George Walker Bush avait ouverte au sein même de la Maison Blanche pour faire l’éducation chrétienne de ses fonctionnaires ? Et les fanatiques sionistes en terre de Palestine, ne sont-il pas des religieux fortement représentés dans leur sphère politique ? Etc.

Pourquoi, alors, autant de crispation, voire de schizophrénie quand on parle de l’islam en politique ? Claude Levi-Strauss (anthropologue et ethnologue français, 1908-2009) n’a-t-il pas expliqué, dans son ouvrage fondamental ‘‘Race et Histoire’’ (1952) que les Occidentaux sont habités par un complexe de supériorité de leur civilisation. Ils croient que leur culture constitue la forme la plus avancée du progrès et que les autres civilisations ne sont que des versions enfants ou adolescentes de la civilisation occidentale.

c) Mais «jamais» majoritaire :

Deux principales raisons qui feraient que les conservateurs ne seraient pas majoritaires :

1/ La mise en avant des conservateurs ne fera que dépassionner le débat autour de cette question qui gangrène inutilement notre jeune démocratie et ampute par la même nos projets sociétaux. Nos compatriotes d’Ennahdha seront désormais jugés souverainement par les Tunisiens sur l’efficacité de leurs choix de politique économique : l’emploi pour les jeunes, la réduction des inégalités, l’assurance d’une mobilité sociale, la protection des plus démunis... Bref, pour une fois, ils accèdent démocratiquement et légitimement au pouvoir ; ils vont désormais nous montrer de quoi ils sont capables sur le plan socioéconomique et politique, même s’il s’agit d’un gouvernement pluriel. C’est le débat démocratique qui va donc les rappeler, comme les partis modernistes, à la réalité de la difficulté de gouverner.

Faire des promesses électorales, c’est une chose ; mais gouverner en est une autre : la création des emplois, la contrainte extérieure, la contrainte budgétaire, la gestion du solde de la balance des paiements, la stabilité de la parité monétaire, la maîtrise de l’inflation… Bref, le pilotage de la croissance économique ne s’improvise pas mais il se gère par les compétences et les aptitudes des dirigeants. Les responsables d’Ennahdha et leurs alliés seront très prochainement sanctionnés (positivement ou négativement) par les Tunisiens.

En clair, c’est le jeu démocratique qui va arbitrer, sanctionner, punir, reconnaître… les partis politiques, en l’occurrence le parti majoritaire, à savoir Ennahdha.

Les Tunisiens ne sont pas dupes ; ils se sont mobilisés pour dégager le misérable déchu ; ils se mobiliseront pour sanctionner positivement ou négativement le gouvernement. Laissons donc le jeu démocratique faire son œuvre ; en politique la meilleure des œuvres est celle de la démocratie. Si on observe l’Occident, nous constaterons qu’il y a toujours eu une alternance du pouvoir. Les électeurs ont souvent sanctionné négativement les partis au pouvoir car «l’enfer» de gouverner est différent de «l’euphorie» des campagnes électorales.

2/ Il semblerait qu’au sein même du mouvement, il y ait des dissensions entre la jeune génération des cadres politiques qui n’a pas connu l’exil et les prisons, et les anciens visages emblématiques et historiques qui ont connu, au contraire, l’exil, les prisons, voire même la torture et l’humiliation. Il y a donc les prémisses d’un conflit de génération au sein même de ce parti. Paradoxalement, les plus intransigeants et les plus conservateurs sont les plus jeunes. Sans doute, le vide d’espace politique démocratique, le manque de projets économiques et l’acculturation (au sens déculturé) provoquée par le développement outrancier du secteur touristique se sont traduits par un fort repli identitaire et le développement des slogans très hostiles à certains traits de la modernité : dont la manifestation la plus visible réside dans la généralisation du voile islamique et la banalisation du niqab. Une pratique vestimentaire complètement étrangère, me semble-t-il, à notre culture.

Le dénigrement, par certains hommes politiques et beaucoup de journalistes occidentaux sur les plateaux des télévisions et/ou dans des publications, parfois avec des diatribes hallucinantes, de l’islam en utilisant hypocritement, pour rester dans le politiquement correct, les qualificatifs «islamisme et islamiste» et critiquer ainsi la fraction radicale des «musulmans» montre la schizophrénie des puissances occidentales(4). Conjuguées à ces diatribes, les différentes guerres menées par les Etats-Unis et leurs alliés contre certains pays arabes et musulmans et l’injustice terrible dont souffrent nos frères palestiniens ne font qu’aggraver le repli identitaire, l’hostilité, la réticence à l’égard de la culture occidentale et la montée, en marge, d’une frange fondamentaliste.

Ennahdha, face à sa responsabilité historique au pouvoir, sa première difficulté serait de contrôler ses propres militants et jeunes cadres de leurs dérives : des demandes et des revendications de plus en plus pressantes telles que la généralisation du voile islamique dans les établissements scolaires en l’exigeant même pour les enseignantes, la transformation de ces lieux d’éducation en lieux de culte pendant les heures de prière, le refus de l’enseignement de certaines matières (l’art plastique, à titre d’exemple), les attaques récurrentes contre les femmes non voilées et les personnalités laïques… exaspèrent de plus en plus nos compatriotes.

Les dirigeants modérés d’Ennahdha – qui sont de loin les plus nombreux dans le bureau exécutif du parti – sont donc entre l’enclume du pouvoir et le marteau de leurs fervents militants. En fait, c’est «l’enfer» du pouvoir. Les Tunisiens ne feraient plus preuve de compassion et nos compatriotes conservateurs ne pourraient plus séduire au-delà de leurs propres militants, c’est-à-dire au mieux 30%.

Demain 2 - Le Cpr  se popularise et Ettakatol s’embourgeoise

Notes :

1 - Le Parti de Mohamed Hachemi Hamdi, Pétition Populaire (26 sièges), est une anomie électorale qui s’explique par l’insuffisance, pour l’instant, de régulation des partis politiques. Sa mise en lumière après les élections du 23 octobre, qui a permis de mettre en évidence ses liens controversés avec le déchu, va se traduire progressivement par sa marginalisation, voire même son exclusion, grâce à un front républicain, de l’échiquier politique de notre patrie.
2 - Je récuse le mot islamiste parce qu’en France il est devenu synonyme de terroriste. De plus, «le français moyen» confond entre musulman et islamiste; une confusion et un amalgame très bien entretenus par la classe politique et journalistique française. Par conséquent, pour désigner Ennahdha, j’utiliserai, de temps à autre, le qualificatif «conservateur».
3 - D’ailleurs, il s’agit d’une profonde injustice, inqualifiable et insupportable. En tant que fervent démocrate, même si  je ne partage pas les orientations politiques de monsieur Hamadi Jebali, je tiens à lui exprimer ma profonde solidarité et ma reconnaissance pour sa souffrance personnelle et celle de sa famille. C’est une page sombre de notre histoire que nous devrions tous assumer pour qu’elle ne se reproduise plus jamais.
4 - Le directeur de l’Iris, Pascal Boniface, dont la rigueur de la pensée et le sérieux des analyses sont connues de tous, l'a montré dans son dernier ouvrage ‘‘Les intellectuels faussaires’’ - un livre, tenez-vous bien, dont 14 maisons d’édition ont refusé la publication ! Il a fallu le courage de Jean-Claude Gawsewitch qui l’a sorti dans sa collection «Coup de gueule» - comment les «super stars médiatiques» (très majoritairement des juifs sionistes) de la politique internationale française profèrent, délibérément, jour après jour, des mensonges avérés et répétés contre l’islam. L’islam étant le mal, le nouveau «galeux d’où viendrait tout le mal» du monde moderne.