D’après les médias tunisiens et les journaux israéliens, le président Moncef Marzouki a lancé un appel aux Juifs Tunisiens de par le monde de revenir en Tunisie, en tant que citoyens égaux aux yeux de la loi.

Par Camus Bouhnik*


J’ai lu cette nouvelle surprenante mercredi 21 décembre 2011, assis sur un banc dans une clinique de Médical Center, en attendant la fin d’un examen de colonoscopie subi par mon épouse Gisèle-Ayala.

Pour le moins surprenante, cette nouvelle m’a plongé dans une méditation sur le Printemps Tunisien (sur la balance du Printemps des peuples de 1848), qui a débuté avec la révolution suivant l’immolation de Bouazizi, un marchand ambulant, lors d’une altercation avec la police corrompue.

Beaucoup de sang versé, début des manifestations, des révoltés en masses exigent une démocratie et la chute et la fuite du président dictateur Ben Ali s’ensuivirent.

Nous avons suivi les évènements en Tunisie avec attention. Les partis progressistes, trop nombreux, ont vu les voix des électeurs partagées à leurs dépens et la montée d’Ennahdha était assurée.

La révolution et les Juifs

Durant les évènements de la révolution du jasmin, la police a perdu la maîtrise de la rue, et les extrémistes ont eu le champ libre. La tolérance n’étant pas leur slogan, des islamistes ont manifesté devant la Grande Synagogue de Tunis, Avenue de Paris. Les fidèles terrorisés n’ont pas quitté le lieu de prière ce vendredi après la Kabbalat Chabbat. Cette manifestation effrayante a été filmée par un témoin du haut d’une terrasse.

Plus tard, le site saint d’El Hamma a été incendié par des sacripants, sans que la police en faction à cent mètres n’intervienne. Ce fait a été nié par la presse tunisienne, mais ce saccage a été constaté par les envoyés du Grand rabbin de Gabès, Rebbi Ghozlan. El Hamma est le lieu de sépulture du saint Yossef Essaïd El Maarabi. Ce site attire des touristes juifs de toutes les parties du monde. Dans le temps, des soldats allemands, voulant supprimer le tombeau du Saïd El Maarabi à l’aide d’un tank, ont vu leur engin s’immobiliser à quelques mètres du monument funèbre. Tous leurs efforts de le mettre en marche furent vains. Le sépulcre de Saïd El Maarabi a été respecté pendant des dizaines d’années par la Tunisie. Est-ce un nouveau vent violent et sec venant du désert qui dicte cette violence ?

Mais ce n’est pas tout. La Synagogue Beith-El au centre de la ville Sfax a été pillée par des inconnus qui n’ont pas été retrouvés jusqu’à ce jour. L’argenterie des chandeliers a été volée et ce n’est pas un petit butin, on évalue son poids à soixante kilos. La maison de l’administrateur a été vidée de son contenu. Des documents et photos anciens ont disparu ou ont été jetés, de même que des appareils ménagers. Sfax comprend une vingtaine de Juifs tous âgés, effrayés par ce qu’ils ont vu ou entendu. Les nouvelles qui nous sont parvenues ont été niées du tout au tout par des témoins qui n’ont pas été sur place. Quand j’ai demandé de voir des photos afin de m’assurer que tout va bien, on m’a répondu qu’il est impossible d’entrer dans la synagogue, une garde y a été placée. Un peu tard je dirais, pendant le saccage le terrain était libre.

Son excellence monsieur le président, une synagogue est un lieu de culte et le nouveau régime n’a pas nié les droits des Juifs en Tunisie et n’a pas contesté leur patrimoine.

Je n’oublierai jamais la maison qui m’a vu naître, ni la synagogue qui a formé mes premières notions de judaïsme. Je n’oublierai pas les personnages qui fréquentaient cette synagogue, ni les rabbins-instituteurs qui ont guidé mes premiers pas. C’est dans cette synagogue que j’ai lu ma première Haphtara et que j’ai fait ma Bar-Mitzva.

D’un autre côté, je n’oublierai pas la convivialité sfaxienne et la vie en harmonie des Musulmans avec les Juifs et les Chrétiens, les trois confessions du Livre. Le saccage de nos synagogues nous blesse dans le plus profond de nos cœurs. Une lettre ouverte envoyée au gouverneur de Sfax par Chochana Boukhobza est restée sans réponse. De même que les messages envoyés par des Israéliens ressortissant de Tunisie.

L’appel du président Marzouki

L’appel du président Marzouki, applaudi par le Grand Rabbin de Tunis, est sans doute une réponse à Sylvain Shalom, vice-premier ministre israélien qui a communiqué que l’Etat d’Israël garde ses portes ouvertes aux Juifs tunisiens. Ou en y réfléchissant c’est sans doute une invitation de bonne foi, les Juifs Tunisiens, qu’ils soient Tunisfrançais ou Tunisraéliens ont toujours été les bienvenus en Tunisie d’avant la révolution. Des Tunisiens m’ont très souvent demandé la raison de notre départ et ont aussi fait le souhait que l’on revienne. Honnêtement et théoriquement parlant, le projet de nous faire revenir ne sera pas couronné de succès. Pour plusieurs raisons :

* le ministre de la Justice tunisien Ahmed Mestiri l’a dit clairement en 1955 : «Ceux qui vivent ici et ont les yeux tournés vers Israël, et ceux qui consciemment ou inconsciemment font le jeu du sionisme ; aux uns et aux autres nous disons pour eux-mêmes et pour La Tunisie, de partir». (Claude Sitbon introduction du livre ‘‘Les Tunisraéliens’’ de Nava Yardéni) ;

* le discours du secrétaire d’Etat à l’Information en 1956 parlait «de la libre circulation des hommes» (cité par Claude Sitbon dans le même livre). Les dés étaient jetés ;

* les possessions de la Communauté Juive ont été nationalisées, les cimetières transférés, les Juifs ne pouvaient plus faire partie de l’administration tunisienne. C’est dans cet état d’esprit que les Juifs ont commencé à penser sérieusement à quitter le pays. Concernant la Tunisie de 1956, les Juifs n’avaient plus le choix. Cette migration nous a ouvert les portes de La France pour certains et les portes d’Israël pour d’autres. Tout compte fait, nous ne regrettons pas ce que nous avons laissé derrière nous, nous avons joué gagnant dans tout point de vue : niveau de vie, études, retraites, logements, sécurité sociale, Baroukh Hashem ;

* les Juifs n’ont pas quitté la Tunisie, on les a accompagnés à la porte. Ils devaient d’abord liquider leurs biens pour une bouchée de pain : il leur était interdit de prendre avec eux plus qu’une certaine somme d’argent. C’est pour cela que leurs affaires, maisons, ont été pour ainsi dire données au plus offrant – soulignons que dans cette Bourse les offres étaient rares –. Mes parents et mon oncle n’ont rien vendu, ils sont partis tirant la porte non verrouillée derrière eux. Je ne vous cacherai pas, Excellence, que nos débuts en France ou en Israël n’étaient pas faciles. Ceux qui sont arrivés en France avec presque rien ont connu les plus grands obstacles s’ils étaient citoyens tunisiens. Pour obtenir un certificat de résidence, ils devaient tout d’abord trouver du travail. Pour recevoir un emploi, ils devaient montrer un permis de séjour. Ce n’était pas simple. En Israël ce n’était pas du gâteau non plus ; des dizaines d’années passeront avant que les nouvelles générations surmontent le traumatisme de «la sortie de la Tunisie».

* On parle du rapprochement des Juifs depuis 1994. Dans cette manière de penser que l’ambassadeur de Tunisie à l’Unesco, Monsieur Abdelbaki Hermassi a déclaré : «Les Juifs ont apporté à la modernisation de la Tunisie une contribution originale et authentique». (C.S. Tunisraéliens). La Tunisie n’a fait aucun effort pour convaincre les Juifs de rester, d’après Monsieur Hermassi, au contraire. L’appel du président Moncef Marzouki n’aura donc pas de suite.

Logiquement parlant, il est impossible à un pays décimé par une crise économique et le chômage d’assumer ce projet. Mais le problème est de notre côté, non du vôtre. Nous ne reviendrons pas.

Le président Marzouki a encore des idées

Je lis aujourd’hui, le 4 janvier 2012 que le président Marzouki suggère l’intégration de la Tunisie avec la Libye. Je ne me mêlerai pas des problèmes tunisiens mais je trouve que son Excellence a plein d’idées qui ne sont pas celles de ses citoyens. Quelle différence de mentalité entre les deux pays !

Nous espérons que les Tunisiens pour leur bien sauront choisir la bonne voie et que les fondamentalistes seront hors du jeu. Un espoir est que les autres pays arabes suivent l'exemple de la Tunisie sans se lancer dans l’extrémisme, que l’économie tunisienne prospère et surtout que le statut de la femme tunisienne ne diffère pas. Les dames tunisiennes étant instruites et avancées, le «niqab» n’aurait pas de place en Tunisie.

A tous mes amis et frères Tunisiens je souhaite le plus grand «khir».

* Né à Sfax en Tunisie le 1er janvier 1939, l’auteur a fréquenté l'école de Moulinville et le Lycée des garçons de la ville. Il a émigré en Israël depuis 1956. Gradé capitaine de l’armée israélienne, il est diplômé de la Haute école de textiles et beaux arts Shinkar à Ramath-Gan. Il a été chef de salle dans une manufacture de textiles et ensuite directeur de l’école de tissage : formation de tisserands et contremaîtres.