Mongi Karrit* écrit – La liberté d’expression et d’information est une nécessité vitale pour toute démocratie, surtout quand celle-ci est naissante.


Le secteur de l’information, muselé et servant l’intérêt du gouvernement pré-révolution, a connu durant les douze mois passés une certaine liberté. Certes, beaucoup de dérapages ont eu lieu : des règlements de comptes, des informations imprécises, fausses, infondées, des propos diffamatoires, etc. De l’avis de tous, il requiert une réforme pour accompagner le processus démocratique.

Une liberté partielle mais précieuse

Cependant, la marge de liberté acquise par ce secteur à la faveur de la révolution du 14 janvier, aussi petite soit-elle, non seulement mérite d’être préservée mais d’être consolidée. Il est communément admis que la démocratie ne peut s’établir durablement et efficacement qu’à la condition d’instituer et de garantir la liberté d’information et d’expression. Cette liberté partielle que connait le secteur de l’information doit-elle être au service du citoyen et/ou des pouvoirs exécutif et législatif ? Comment est-elle perçue par le citoyen et par l’Assemblée nationale constituante (Anc) et le nouveau gouvernement tripartite ?

La mission du journaliste, selon les spécialistes en la matière, est de présenter aux lecteurs, aux auditeurs et téléspectateurs des informations après collecte et traitement. Informer c’est nous mettre au courant de ce qui se passe pour nous permettre d’être à la page, présenter différents points de vue sur certaines questions, révéler les dessous de certains sujets, dénoncer les abus et les fautes des autorités, fournir des critiques vis-à-vis de certains modèles de gestion et de planification.

Le secteur de l’information, en dépit des problèmes qu’il rencontre aujourd’hui, a tout de même réussi dans son entreprise. Mais, le peu de liberté dont il jouit est de plus en plus menacée. Les récentes déclarations de Rached Ghannouchi contre le journal ‘‘El Maghreb’’ et de Hamadi Jebali à l’encontre de la Télévision Tunisienne et de la presse écrite en sont les signes précurseurs. Les attaques du premier contre la presse la qualifient de manque de patriotisme et la traitent d’agent perturbateur destructeur nuisant à la reprise de l’activité économique.

Aujourd’hui il y a un fait : le nouveau gouvernement veut à tout prix mettre la main sur le secteur de l’information qui devient gênant dans la mesure où celui-ci jette de la lumière sur l’avancement des travaux de l’Anc en mettant un accent particulier sur le comportement, les actions, les attitudes et les déclarations des représentants du peuple au sein de ladite assemblée. Le manque de synergie et d’expérience des partis de la Troïka est mis en évidence. Une image négative du trio pourrait porter préjudice à son action durant la période à venir et serait destructive au niveau des prochaines élections.

Ce que les médias nous ont permis de savoir

N’est-ce pas les mass-médias qui nous ont permis de savoir que :

- la Troïka a perdu beaucoup de temps pour choisir les présidents de la république, du gouvernement et de l’Assemblée constituante. Mais les fonctions de chacun d’eux n’ont pas été délimitées clairement ;

- les présidents des partis Ettakatol et le Cpr ont signé le règlement des pouvoirs provisoires sans que leurs représentants mandatés l’aient examiné en profondeur. On apprendra lors de son adoption que leurs représentants s’opposeront à certaines clauses en raison de leur non-conformité avec les principes de la démocratie «trahissant» la coalition tripartite ;

- le parti Ennahdha a mis ses membres dans les postes clés au sein des commissions spécialisés de l’Anc faisant jouer le principe de la démocratie : «Je suis majoritaire, donc je décide.» Une majorité non respectueuse de la minorité en dépit du consensus, slogan constamment scandé ;

- les députés de la majorité au sein de l’Anc n’ont pas apprécié les positions des députés de l’opposition lors de l’adoption du règlement des pouvoirs provisoires ni les manifestations du Bardo. Pourtant c’est en partie grâce à ce sit-in que des clauses ont été amendées ;

- le projet de règlement des pouvoirs provisoires est un projet qui ne s’adapte point à l’Anc et semble être une copie d’un projet de régime parlementaire. Le spécialiste du droit constitutionnel Iadh Ben Achour nous a bien éclairés sur le sujet. Fadhel Moussa a évité au pays un problème juridique concernant la confiscation des biens de la famille du président déchu ;

- l’Anc semble dévier de son mandat, à savoir l’élaboration d’une constitution. Les efforts sont orientés vers la constitution d’un gouvernement de politiciens qui, malheureusement, n’ont pas d’expérience ;

- une critique a été faite au chef du gouvernement favorisant le népotisme constituant en la désignation d’un gendre au poste de ministre des Affaires étrangères ;

- les positions du président de la République concernant la future union entre la Tunisie et la Libye. On saura également que Rached Gannouchi soutient aussi cette union. Est-ce des positions validées par l’actuel gouvernement ? Est-ce que le peuple a été consulté sur le sujet ? ;

- les sit-in, les grèves dans les villes du sud-est et le mécontentement des citoyens face aux visites des responsables de la Troïka ;

- les positions du président vis-à-vis de la révolution syrienne ont-elles été prises en concertation avec le gouvernement et l’ANC ? ;

- les divergences au sein d’Ettakatol et du Cpr autour de certaines questions, en particulier leur entrée dans le gouvernement. Iront-ils jusqu’à trahir leurs convictions et principes pour avoir des portefeuilles ministériels ? ;

- les positions du président vis-à-vis des femmes au visage découvert, vêtues du hijab ou du niqab. La classification des femmes n’a pas eu d’écho favorable auprès de beaucoup de citoyens ;

- l’avis du président sur les élections des islamistes en Algérie. Un tel avis a été qualifié par la presse locale et algérienne d’ingérence dans les affaires de l’Etat algérien ;

- le sit-in des salafistes à la Faculté de Manouba, la violence à l’égard du doyen et des protestataires, le refus du ministre de l’Enseignement supérieur de promulguer un texte exigeant que le visage des étudiantes vêtues du niqab assistant aux cours soit découvert ;

- les agissements de certains salafistes à Sejnane tirant le signal d’alarme et reflétant la propagation du wahhabisme ;

- la mise en place d’une assemblée constituante civile. Cette assemblée semble ne pas faire l’unanimité au sein de l’Anc et des partisans d’Ennahdha ;

- la visite de l’ex-Premier ministre palestinien à la Tunisie sur invitation du gouvernement de Hamadi Jebali et l’accueil grandiose qui lui a été réservé en l’absence des représentants de l’ambassade de la Palestine à Tunis ;

- les sit-in des journalistes suite aux déclarations de dénigrement par des responsables du gouvernement et aux nominations non concertées à la tête de la télévision tunisienne et des organes de presse.

Cette liste de faits est loin d’être exhaustive mais les informations qui nous ont présentées sont à même de nous mettre au courant des développements de plusieurs affaires depuis les élections du 23 octobre.

Les médias ne doivent pas servir la soupe aux politiques

Les mass-médias sont un moyen pour contrôler les activités du gouvernement et de l’assemblée. Il est primordial de nous permettre de suivre le processus démocratique en Tunisie et la réalisation des objectifs de la révolution. Il nous est important d’apprécier et de juger le degré de représentativité des personnes que nous avons élues à l’Anc. Tiendront-ils leurs promesses ? Dévieront-ils de leurs principes et idéologies ? Sauront-ils élaborer une constitution moderne qui tiendra compte du respect de la liberté et de la démocratie ?

Eu égard à ce qui précède, il est fortement recommandé aux politiques d’aider les journalistes à accéder à l’information, d’accepter les critiques et les commentaires, bien que ceux-ci soient parfois infondés, douloureux ou diffamatoires. Ils auront toujours la possibilité de recourir à la justice.

Les journalistes doivent être protégés des violences lors de leurs reportages, soutenus dans leurs efforts de mise à niveau, associés dans les nominations des responsables de l’information et il faut comprendre que leur rôle n’est pas de refléter une bonne image des politiciens et du gouvernement mais d’éclairer l’opinion publique.

Bien que le secteur de l’information joue le rôle de quatrième pouvoir il peut aider les politiciens dans la mesure où il leur pointe leurs fautes, dérapages, bavures, etc. Il est constructif et non destructif comme l’a qualifié Rached Ghannouchi dans son speech du 25 décembre. Il doit être apprécié à sa juste valeur puisque la démocratie à laquelle nous aspirons ne peut s’établir durablement qu’avec la liberté d’expression. «Il vaut mieux avoir une liberté d’expression chaotique que rien du tout», a précisé Beji Caïd Essebsi lors de son dernier entretien à Nessma TV. Il incombe donc à tous de veiller à préserver la liberté d’expression, unique droit acquis depuis la révolution jusqu’à présent, et d’œuvrer pour la consolider.

* Citoyen.