En cet anniversaire de la révolution tunisienne, à beaucoup de points de vue exemplaire, je veux lancer un appel aux partis de progrès qui sont en train de se réunir et qui vont, ainsi, donner un espoir à beaucoup de Tunisiens.
Par Rachid Barnat
Que notre peuple soit musulman, dans sa très grande majorité, c’est une évidence que personne ne peut nier. Les Tunisiens sont musulmans depuis longtemps et ils ont toujours pratiqué un islam selon l’obédience malékite, c’est-à-dire un islam éclairé, ouvert et respectueux des autres. Ce qui a conféré aux Tunisiens leur particularisme faisant d’eux un peuple pacifiste et tolérant. Je ne crois pas qu’ils veuillent aujourd’hui remettre en cause l’obédience de leur parents parce qu’ils auraient découvert brutalement qu’ils étaient de mauvais musulmans.
Non à l’islam des Salafistes et des Wahhabites
Or depuis peu de temps est apparu en Tunisie, venant des pays du Golfe et de la péninsule arabique, un islam politique, revendicatif, quelques fois violent et qui, comme s’il doutait de lui-même, ne se présente que par opposition à l’Occident qui serait, selon lui, peuplé de mécréants.
Cette dérive, en réalité venue et soutenue par l’Arabie et le Qatar disposant d’argent et de médias pour nous exporter leur modèle de société, disons-le clairement et avec force, ne correspond pas au génie du peuple tunisien et ne peut qu’entraîner une division profonde et dommageable entre les Tunisiens !
Si cette dérive n’est pas arrêtée, elle entrainera de toute évidence une grave régression du pays.
Ce n’est faire injure à personne que de rappeler que les Tunisiens n’ont jamais au long de leur histoire étaient Salafistes et encore moins Wahhabites.
Il faudrait donc que les partis responsables, désireux de faire progresser la Tunisie, se prononcent clairement, sans langue de bois, sur cette question majeure et qu’ils disent qu’ils sont parfaitement conscients que le pays est en sa grande majorité musulman et que sa foi doit être protégée, mais qu’ils récusent – et il faut appeler les choses par leur nom – le Salafisme et le Wahhabisme, toute forme d’islam correspondant à d’autres traditions mais absolument pas à celles du peuple tunisien.
Eviter l’ambiguïté et le double langage
Ne vous comportez surtout pas comme vos adversaires, qui manient de manière honteuse le double langage, ce dont les Tunisiens ne sont pas dupes et qu’ils leurs reprocheront un jour ou l’autre.
Il faut donc qu’ils s’engagent à combattre ces formes d’islam lorsqu’elles voudront, quelquefois par l’intimidation et la violence, envahir l’espace public et imposer aux Tunisiens des manières d’être et de se comporter venues d’ailleurs. Voilà ce que devrait être le point de ralliement de ces partis.
Ils gagneraient à être clairs et déterminés là-dessus. On ne gagne jamais à demeurer dans l’ambigüité. Lorsque l’on veut ménager les susceptibilités des uns et des autres, on est dans le double langage ; on trouble alors le message et son action.
Ces partis devraient aussi dire clairement que les appels rituels et incantatoires à un monde «arabo-musulman» (‘‘Les Tunisiens, leur identité plurielle et leur nouvelle constitution’’) sont absolument vides de sens, et qu’en vérité, il n’y a pas grand-chose de commun entre des peuples comme les Tunisiens, les Egyptiens, les Arabes du Golfe … ou du Soudan ou du Pakistan….
Quel véritable monde est-ce là ?
Il ne faut donc pas se payer de mots, en répétant sans cesse des slogans et des expressions vides de sens.
Cela n’empêchera pas, évidemment, d’avoir avec ces pays des relations internationales apaisées, dans la mesure où eux-mêmes n’auront aucune volonté hégémonique et de domination à l’égard de la Tunisie.
Cesser de diaboliser l’Occident
Ces partis doivent également dire fermement que cela n’empêchera pas le pays de s’ouvrir, comme il l’a toujours fait, à l’Occident qu’il faut cesser de diaboliser là encore par des formules incantatoires pour des raisons de basse politique et de populisme, alors que souvent ceux qui se livrent à ses attaques n’ont de cesse de se réfugier dans ces pays, souvent d’y faire étudier leurs enfants et d’y investir leurs économies !
Les pays occidentaux ne sont pas parfaits, loin de là, mais c’est tout de même, qu’on le veuille ou non, dans ces pays qu’est le progrès. Il faut dépasser les complexes que certains ont pu avoir vis-à-vis de l’Occident, pour s’ouvrir à lui et prendre le savoir là où il est… comme le fit en son temps l’Occident qui puisait au savoir de l’Orient, quand celui-ci en produisait.
Il n’y a pas de honte à ça : c’est comme ça qu’a progressé l’humanité depuis la nuit des temps.
Ces partis pourront donc dire et redire que l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie et que les droits de l’homme ne sont pas «occidentaux» mais universels ! Et qu’ils défendront donc fermement les libertés essentielles sans lesquelles il n y a pas de démocratie quel que soit le discours que l’on tient : liberté d’association, liberté syndicale, liberté de la presse et liberté de la justice.
Enfin, pourraient faire partie de cette plateforme commune, quelques principes de politique générale : liberté de l’économie, intervention de l’Etat pour assurer la loyauté des règles et inscrire des limites, lutte déterminée contre la corruption à tous les niveaux, politique fiscale de l’Etat destinée à assurer une plus grande justice sociale et une redistribution des richesses entre les individus et les régions, politique destinée à développer l’emploi.
J’ai la conviction qu’une telle plateforme pourrait unir une grande majorité de Tunisiens soucieux de l’avenir du pays et si tout n’est évidemment pas réglé par un tel appel, il aura du moins l’utilité d’unir, de rassembler largement et de permettre une alternative et la fin des dérives auxquelles on assiste ; et cela quoiqu’en disent les autorités actuelles provisoires, minimisant dans leurs discours la portée des comportements qui ont lieu ici et là et qui sont inacceptables et décourageants pour beaucoup.