La nouvelle loi française pénalisant la contestation du génocide arménien pose de nouveau le problème des crimes commis par la France dans ses nombreuses colonies, et notamment en Algérie.

Par Ezzeddine Ben Hamida


Par les temps qui courent, même en Tunisie, la question a le mérite d’être posée. En effet, suite au vote, le jeudi 22 décembre, de l’Assemblée nationale française d’une proposition de loi Ump pénalisant la contestation du génocide arménien, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a accusé, vendredi 23 décembre, la France d’avoir perpétré un génocide en Algérie : «On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945.

 

 

Il s’agit d’un génocide», a-t-il déclaré, faisant référence aux crimes commis et à la barbarie exercée par l’armée française entre 1945 et 1962.

Erdogan répond à Sarkozy

D’ailleurs, le porte-parole du Front de libération nationale (Fln, au pouvoir) Kassa Aïssa, a estimé que M. Erdogan n’a fait qu’exprimer «une exigence historique» que la France doit à l’Algérie : «Le Fln n’a jamais cessé de réclamer la reconnaissance par la France de ses crimes commis durant la colonisation», a-t-il ajouté. Paris «a reconnu le génocide arménien, pourquoi n’en fait-[il] pas autant pour le génocide algérien ?».

Pour la rigueur de l’analyse, il convient à présent de définir le terme clé de notre réflexion à savoir «génocide». Ainsi, nous allons pouvoir limiter les contours de notre problématique et surtout apporter une réponse qui s’inscrit dans le cadre d’une démarche scientifique pour l’histoire et pour rendre justice à tout le monde.

«Génocide» est un nom accablant et pesant dont les implications politiques et historiques sont souvent dramatiques, troublantes et abasourdissantes, et par conséquent,  irrémédiablement irréversible. In le ‘‘Petit Robert’’, le mot «génocide» est défini ainsi : «Destruction méthodique d’un groupe ethnique». Pour illustrer cette définition, le dictionnaire cite l’exemple de «l’extermination des juifs par les Nazis». ‘‘Larousse encyclopédique universel’’ souligne le caractère systématique de l’extermination qui peut toucher même les groupes religieux : «Extermination systématique d’un groupe humain, national, ethnique ou religieux».


Massacre d'Algériens par des soldats français

Dès lors la question se pose: La France a-t-elle cherché méthodiquement et systématiquement à exterminer les musulmans (Arabes et Berbères) de l’Algérie ?

Les colons coupeurs de têtes

A en croire Nicolas Sarkozy : «La France n'a pas à rougir de son histoire, la France n’a jamais commis de génocide, la France a inventé les droits de l’homme (…) la France est le pays du monde qui s’est le plus battu dans l’univers au service de la liberté des autres».

Et pourtant, d’après l’article de Mohamed El-Korso, historien et ancien président de l’association du 8 Mai 1945, le mot «génocide» s’applique parfaitement aux crimes coloniaux perpétrés par la France en Algérie. En réagissant à la polémique qui fait rage entre Paris et Ankara, il abonde dans le sens du Premier ministre Turc : «Quand vous avez un colonel de la colonisation qui dit : ‘‘Je coupe les têtes’’, il ne parle pas de couper les têtes des artichauts, mais celles des Algériens.

L’intention de liquider par le sabre et le fusil est réelle et non fictive. Les ‘‘enfumades’’ et les ‘‘emmurements’’ qui ont décimé des tribus entières, comment qualifier cela ?», martèle-t-il, avant de lancer : «Le colonel Montagnac disait : ‘‘Tuez tous les hommes à partir de l'âge de 15 ans.’’ Est-ce que ça ce n'est pas un génocide ? Les Cavaignac, Bugeaud, Pélissier ne sont pas venus en villégiature. Ils sont venus liquider tout un peuple et ils ne pouvaient prendre la place de ce qu’ils appelaient les ‘‘autochtones’’ sans commettre de génocide.» (in le quotidien algérien ‘‘El-Watan’’ du lundi 26 décembre, article de Mustapha Benfodil).

Mohamed El-Korso fournit quelques faits édifiants à ce propos : «L’armée coloniale expérimenta l'extermination par le gaz un bon siècle avant l’Allemagne nazie. Les enfumades et emmurements dans le Dahra – dans la région de Mostaganem – des (tribus) Sbehas en juin 1844 par le colonel Cavaignac et des Ouled Riah le 19 juin 1854 par le colonel Pélissier ; les fours à chaux de Guelma (mai 1945) ; les cuves à vin (1957) des colons de Tlemcen, Sidi Bel-Abbès ou Zéralda ; le gazage des habitants du Dahra qui s'étaient réfugiés dans Ghar Layachine (1959) – pour ne citer que ces quelques exemples – ne sont nullement une vue de l’esprit.»

L’attitude «schizophrénique» de la France

Concernant la crise franco-turque, Mohamed El-Korso considère que l’attitude française dans cette affaire est «schizophrénique» : «La France se permet de donner des leçons aux autres, alors qu’elle ferait mieux de donner des leçons à elle-même. C’est une attitude schizophrénique. On reconnaît les crimes des autres, mais pas ses propres crimes.» «Sarkozy invite chaque pays à regarder son passé et à en tirer les conclusions qui s’imposent. Est-ce que la France a le courage de regarder le sien ? Au lieu de cela, ils ont institué une Fondation pour l’écriture de l’histoire afin de blanchir les crimes de la colonisation.»

Le professeur El-Korso, dont la rigueur de l’analyse est connue de tous, note que «c’est le Parlement français qui est en train d’écrire l’Histoire». Il rappelle en l’occurrence l’épisode de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance du «rôle positif» de la colonisation ainsi que le vote d’une loi sur les harkis.

Mohamed El-Korso salue la position du Premier ministre turc. «L’attitude d’Erdogan est digne. C’est une véritable secousse», se réjouit-il. «L’attitude française vis-à-vis de la Turquie n’est pas culturaliste, mais éminemment politique.

C’est une provocation. Et la réaction d’Erdogan est à la mesure de cette provocation.» Plus loin le professeur El-Korso ajoute avec beaucoup de conviction : «Sarkozy ressort ces questions à la veille de chaque élection présidentielle, comme ce fut le cas en 2005. Sarkozy avait terminé sa campagne présidentielle dans le sud de la France, à Montpellier, Toulon et Perpignan, où vivent beaucoup de pieds-noirs et d’anciens membres de l’Organisation de l’armée secrète (Oas). La France n’a jamais connu un président aussi provocateur».

A quand une loi criminalisant la colonisation française ?

Mohamed El-Korso regrette le peu d’enthousiasme que suscitent les questions liées à l’Histoire de la part de la classe politique algérienne : «Il est navrant de constater le silence de la classe politique en Algérie. Nous n’avons noté aucune réaction de sa part. Elle a visiblement d’autres chats à fouetter.» Il déplore qu’au niveau officiel il n’y ait pas de loi claire qui réponde à l’acte législatif français : «Ils [les Français] veulent solder le passé avec notre bénédiction et notre silence.

On a eu une bonne opportunité pour réagir, mais on a jeté dans la poubelle de l’Histoire la proposition de loi sur la criminalisation du fait colonial, quand bien même elle était imparfaite.» «Il y a de bonnes choses qui se font sur plan de l’écrit, mais la meilleure réponse à la France doit être politique. Il faut un travail sérieux avec l’apport de spécialistes pour aboutir à une loi criminalisant la colonisation», souligne-t-il.

Pourrait-on finir cet article sans se poser la question sur l’ampleur des crimes  commis par la France en Tunisie, une colonisation criminelle qui a duré près de 75 ans ? Un prochain article pourrait avoir pour objet l’examen de ce volet funeste de notre histoire.

* Professeur de sciences économiques et sociales.