Rafik Souidi écrit – Il conviendrait de former des ulémas patentés, de leur confier la gestion des mosquées en commun avec les futures municipalités élues. Cette séparation de l’Etat de la religion serait salutaire.


En préambule, il convient de définir les notions de sécularité et de laïcité.

La sécularité c’est la séparation de la religion et de l’Etat.

La laïcité c’est l’exclusion de la religion du champ politique. C’est en fait une sécularité radicalisée, une surenchère.

Le référentiel religieux dans la place publique

Historiquement, en Occident, le concept de sécularité a signifié la séparation de l’Etat et de l’Eglise, c’est-à-dire du clergé, avec à sa tête le pape, dans le cas des catholiques.

Les guerres de religion, dont la France a particulièrement souffert avec l’émergence du protestantisme et les massacres qui s’en sont suivis, ont marqué au fer rouge le pays et devaient le diviser durablement en profondeur.

C’est ce contexte historique qui peut expliquer le radicalisme séculier de la France qu’on appelle laïcité. Il s’agit alors d’évacuer le référentiel religieux de la place publique, de l’Agora, afin d’éviter tout risque de confrontation.

C’est ce concept de laïcité à la française qu’Atatürk, au sortir de la guerre civile, avait imposé en Turquie et qui l’avait incité à lutter contre toute manifestation du sacré dans la Cité et à éliminer tout ce qui avait une connotation islamique ou oriental hormis les mosquées : l’alphabet arabe, les écoles religieuses, la musique orientale, le calendrier hégirien, etc.

Au nom de cette laïcité importée, fortement imprégnée d’occidentalisation et poussée à son paroxysme, il en était arrivé à pendre ses compatriotes qui refusaient de ne plus porter le tarbouche ou fez !

En Tunisie, Bourguiba avait, à son tour, recyclé les idées d’Atatürk en fermant la prestigieuse université de la Zitouna, en étatisant les «habous» (biens de mainmorte), en interdisant le référentiel religieux du discours politique et en y allant de son lot d’exclusions vestimentaires. Pourtant c’était en portant haut le fez sur son cheval blanc qu’il avait fait un retour triomphal au pays...

Entachée d’un tel passif rédhibitoire, du fait de ses dérives liberticides et de son mimétisme occidental, la laïcité est une idée compromise en Tunisie, en démocratie, dans un pays à plus de 99% musulman. En revanche, une sécularité tunisienne devrait s’y imposer.

En effet, la Tunisie est un pays sunnite et il n’y a donc pas de clergé. Paradoxalement, avec l’extinction programmée des ulémas, l’Etat pseudo-moderne s’est trouvé de-facto en charge de la religion ce qui ne devrait pas être sa mission, ni sa vocation.

Renouer avec l’approche réformatrice pragmatique

Il conviendrait donc de faire renaitre de leurs cendres l’université de la Zitouna et celle de Kairouan en formant des ulémas patentés afin de revitaliser la connaissance et la pensée islamiques dans notre pays et leur transmettre la responsabilité des mosquées en commun avec les futures municipalités élues. Ce désengagement de l’Etat serait salutaire.

Par ailleurs, le référentiel islamique ne devrait plus être dissuadé, pas plus que le marxiste, le libéral, l’écologiste, le nationaliste ou le social-démocrate dans la mesure où il pourrait proposer des solutions à des problèmes publics. Pourquoi se priver d’un éclairage qui puiserait dans notre héritage culturel ?

En effet, le besoin légitime de moralisation des pratiques publiques et la quête des valeurs authentiques est aussi intense que ceux de justice sociale ou d'efficacité économique, de transparence ou de liberté. A chaque parti politique alors de jouer sa partition et de répondre aux attentes des électeurs.

Ainsi, en sortant des clichés, des fantasmes, des non-dits, de la stigmatisation et des dogmatismes, il serait alors possible de consacrer dans les faits une séparation harmonieuse et rationnelle de l’Etat et de la Religion en Tunisie et d’actualiser notre propre modèle politique, pas celui des autres. Nous pourrions alors renouer avec l’esprit de synthèse qui avait présidé l’élaboration du Code du statut personnel tunisien, cette approche réformatrice pragmatique et enracinée dans nos valeurs que nous avons perdue en cours de route.