Tarek Amri* écrit – Qu’importe le capitaine du navire. Le plus important c’est de pouvoir amener le navire à bon port, car simplement on y est tous. Si par malheur, il rate la manœuvre, nous y passerons tous aussi.


Dans le malheur, il y a toujours quelque chose de positif. Il suffit juste d’y réfléchir et d’avoir la volonté d’aller chercher ce fil positif que nous tend l’actualité, et le destin derrière.

Voilà bien que les Tunisiens de tous bords et de toutes tendances réunies se réveillent et parlent de nouveau d’une même voix unie et ferme pour condamner la bassesse. C’est cette même voix de sagesse, de force et d’union qui nous a portés tous un certain 14 janvier.

C’est cette voix qui a brisé une dictature qu’on croyait à jamais inamovible. C’est cette voix qui a tracé un certain 14 janvier notre nouvelle voie.

Faire face aux vrais dangers

Saisissons ce moment (celui concernant la vidéo de M. Larayedh), à priori anodin, que l’histoire, le destin et certainement cette bénédiction qui couve notre chère patrie pour faire triompher de nouveau notre union face aux multiples et vrais dangers qui nous guettent et dont malheureusement peu de sages parlent.

Exigeons de TOUS nos politiciens de s’asseoir ensemble durant cette phase ô combien délicate de notre histoire autour d’une même table pour discuter des maux qui rongent notre société et contribuer ensemble à apporter les remèdes qu’il faut.

L’échec d’Ennahdha, de la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir) serait un échec de nous TOUS. La mise à l’écart du Parti démocratique progressiste (Pdp), Ettajdid, le Parti ouvrier communiste tunisien (Poct), le Pôle démocratique moderniste (Pdm) et tout autre parti est aussi une mise à l’écart de nous TOUS. Les défis multiples auxquels fait face la Tunisie requièrent de nous TOUS une solidarité sans faille.

A mon humble avis, les enjeux dépassent le stade de satisfaction des revendications socio-économiques, qui doivent être modérées et raisonnables, sachant l’acuité de la crise mondiale et qui de toutes les manières exigent que des spécialistes en ces questions s’y penchent afin d’apporter à moyen terme les solutions adéquates dans un climat de paix sociale et loin de toute surenchère.

L’enjeu majeur pour la Tunisie est beaucoup plus grand. Il s’agit d’ancrer un nouveau modèle de société dans un environnement national et régional qui n’est pas encore prêt pour un tel modèle qui de toute évidence va déranger beaucoup, si ce n’est déjà fait.

L’enjeu n’est pas dans un débat qui tend à devenir de plus en plus stérile et qui veut trouver illico presto des solutions à des vicissitudes héritées d’un système, plusieurs fois décennal, et qui n’avait finalement pour seul objectif que de créer un désert partout, autour de tout et pourquoi pas abrutir tout un peuple.

Heureusement que cette quête s’est arrêtée avant d’achever la «splendeur» de sa tâche. Néanmoins, elle a laissé ses traces. C’est une évidence. Pour preuve : un débat animé sur des questions somme toutes futiles, du moins en terme de timing, et par rapport aux vrais enjeux et aux dangers qui nous guettent.

Réconcilier la société tunisienne avec elle-même

C’est pour cette raison que le rôle de la classe politique, toutes composantes confondues, devient durant cette période essentiel pour :

- élever le niveau des débats et parler au peuple des vrais défis politiques et diplomatiques, économiques et sécuritaires. Expliquer encore et toujours. C’est essentiel, car c’est là aussi l’un des piliers de la démocratie ;

- proposer des alternatives fiables à tous les problèmes que traverse notre société et éviter de battre en brèche tout ce que fait le gouvernement actuel ;

- ce dernier se doit d’être aussi à l’écoute, d’avoir cette capacité d’anticipation dans le diagnostic des maux et dans la prise de décision.

Avoir en somme l’aptitude de faire à temps une bonne lecture de la situation et d’apporter les remèdes qu’il faut.
Aussi bien pouvoir qu’opposition doivent faire beaucoup plus d’effort pour communiquer entre eux et surtout avec le peuple, qui, faute d’information, se rabat sur la rumeur et sur les réseaux sociaux.

Certes, l’absence chez l’ensemble de la classe politique actuelle d’une expérience de gouvernement ne doit nullement la pousser à tirer le débat vers le bas et vers le populisme. Elle doit au contraire élever le niveau et montrer la voie du salut.

La gestion d’un pays n’est nullement une mince affaire et ne doit pas être appréhendée sous un angle partisan et réducteur. Regardons l’histoire et apprenons tous des échecs des uns et des réussites des autres. La société tunisienne est une société blessée. Donnons-lui le temps et les moyens pour guérir ses blessures et se réconcilier avec elle-même.

Cette entreprise ne peut être convenablement et efficacement conduite si, pour une quelconque raison, un pan des forces vives du pays en est exclu.

Qu’importe le capitaine du navire. L’important, l’urgent, le vital est de pouvoir amener le navire à bon port, car simplement on y est tous. Si par malheur, il rate la manœuvre, nous y passerons tous aussi.

* Diplomate tunisien.