Mohamed Hamrouni* écrit – Les élections de la Constituante dans la circonscription France 1: principaux résultats et propositions d’organisation.
Témoin et acteur bénévole du processus électoral dans la circonscription France 1, correspondant à la moitié nord de la France, j’ai pu en observer le déroulement et mesurer ses résultats à travers mes différentes activités. J’ai en effet participé aux activités d’inscription des électeurs et de communication. Membre de la Commission informatique de l’Irie, j’ai contribué à la consolidation des résultats du vote de la circonscription et ai présidé le bureau de vote de Paris 11e.
Dans le prolongement de cet engagement citoyen pour une véritable démocratie en Tunisie, il m’importe que soient tirées les leçons de la façon dont se sont déroulées ces premières élections libres en 2011. Voici, résumés, les résultats de la participation électorale et du vote et des propositions pour améliorer l’organisation des prochaines échéances électorales (cf. l’intégralité de l’étude). J’espère que des équipes de chercheurs indépendants rassembleront les informations sur le vote et l’étudieront de manière à nous éclairer sur ses facteurs et sur les conditions d’une ample participation citoyenne et d’une meilleure organisation du processus électoral.
Inscription des électeurs : la qualité du processus
La circonscription France 1 regroupe les Tunisiens vivant en France dans les 49 départements dépendant des consulats de Paris, Pantin et Strasbourg, des zones dont l’étendue et où la densité des Tunisiens varient de façon importante. Les données consulaires indiquent 320.000 Tunisiens y résidant. J’estime l’effectif du corps électoral à environ 225 000 Tunisiens (immigrés, binationaux, Tunisiens nés en France, sans-papiers).
En 2011, les Tunisiens se sont inscrits sur la liste électorale, ou l’ont été, selon trois procédés différents : volontairement ou de façon «automatique» ou encore sur un registre complémentaire au moment du vote. Ces trois listes ont totalisé 195.301 Tunisiens inscrits en France 1. Seul un Tunisien sur 4 (26,5%) s’est inscrit de façon volontaire, en dépit du travail remarquable des bénévoles démarré bien avant la mise en place tardive de l’Irie. Prenant appui sur une extraction du fichier Passeports (par lieu d’émission), la Commission informatique de l’Irie a pu construire le registre des inscriptions automatiques et affecter nos compatriotes à l’un des 68 bureaux de vote, au plus près de leur domicile et en les en informant via un site Web.
Si les listes complémentaires élaborées durant le vote ont pallié des carences du processus d’inscription, elles ont généré des doublons faussant le calcul de la participation. Il convient de souligner que la part significative de 14% des inscrits, qu’elles représentent, ne permet pas de négliger leur impact sur la qualité du processus électoral. Elles ont en effet aussi pu faciliter «d’anciennes pratiques» dont l’absence n’a pas été vérifiée, faute de rapprochement effectué avec les autres listes électorales.
Comme d’autres présidents de bureaux de vote ou assesseurs, j’ai été ému par la joie manifestée par nos compatriotes venus voter trois jours durant dans de longues files d’attente. Trois jours qui ont cependant aussi amené leur lot de problèmes : sécurisation des urnes… Au passage, je tiens à témoigner de l’aide conséquente et solidaire apportée par les responsables et employés de collectivités locales françaises au processus électoral tunisien, qui ont prêté des salles de réunion ou mis à disposition des salles de mairies et matériels de vote.
Participation, vote et proclamation des résultats
Les électeurs de la circonscription avaient le choix entre 47 listes ! Soit au total 235 candidats, dont la plupart leur étaient inconnus : 133 hommes (dont 39 têtes de listes), 102 femmes (dont 8 têtes de listes).
Au final, à peine un Tunisien sur trois en âge de voter a participé au vote (31,1%). Cinq listes de candidats ont concentré les 2/3 des voix exprimées et 42 listes ont obtenu le tiers restant avec des scores inférieurs à 4% (dont 36 ont obtenu moins de 1%).
S’agissant des résultats du scrutin, il me faut évoquer la désinformation à laquelle a donné lieu leur proclamation. Dire la colère ressentie devant la publication d’un faux résultat de 45,8% de voix du parti en tête, un chiffre resté affiché sur les sites web de l’Isie et de la Tap pendant une dizaine de jours malgré nos alertes, alimentant des analyses erronées. Le vrai taux était sensiblement différent : 33,72%, soit 12 points de moins que le nombre annoncé.
Ennahdha, liste qui a eu le meilleur score, a obtenu deux élus à la Constituante, ceci avec 22.672 voix sur un total de 68 439 votants en France 1. Soit le vote d’un Tunisien sur trois ayant participé au vote et celui d’un Tunisien sur 10 en âge de voter. On remarque que ce parti a obtenu ses meilleurs résultats dans la petite couronne d’Ile de France (40,57%) alors que c’est à Paris qu’Ettakatol (15,55%) et le Pdm (15,01%) ont obtenu les leurs. Parmi ces listes qui ont aujourd’hui des élus, les résultats du Cpr sont relativement homogènes.
Propositions pour améliorer le processus électoral
Aidée par la mobilisation d’observateurs, l’Isie a pu parer aux pratiques massives de manipulation du processus électoral et de ses résultats qui avaient eu cours jusque là sous le régime déchu. L’expérience de ces premières élections «libres» conduit cependant à pointer des défaillances d’organisation. Mes suggestions concernent notamment la désignation des membres des Irie, leur formation, le mode d’inscription des électeurs, l’appui sur la société civile et les partis, sur les nouvelles technologies et sur l’organisation d’élection à l’étranger.
La désignation des membres des instances nationales et régionales se doit d’être transparente et rigoureuse, de même que la cooptation de bénévoles participant aux commissions, à l’inscription des électeurs et à la tenue des bureaux de vote (respect des critères de sélection, liste et fonctions publiées). Une formation appropriée et spécifique des présidents de bureaux de vote s’impose et suppose d’inclure les problématiques de sécurité (urnes…) et la rédaction des procès verbaux.
En 2011, le principe de mise à l’écart des «encartés» dans des partis politiques a été retenu. Je m’interroge sur l’opportunité de maintenir cette disposition. N’écarte-t-on pas ainsi des compétences qui pourraient profiter au processus électoral ? En favorisant un contrôle réciproque entres partis, n’aboutirions-nous pas à une organisation plus efficace ?
Pour toucher l’ensemble de nos compatriotes dispersés sur de grandes aires géographiques, l’Irie doit prendre appui sur les associations tunisiennes de France. Diminuer les distances à parcourir par les citoyens et favoriser leur participation passe aussi par la déconcentration des lieux d’inscription. L’utilisation des nouvelles technologies peut aussi y concourir par l’inscription et le vote à distance sécurisés.
Le fait que l’élection se déroule à l’étranger mérite d’être pris en comte dans le processus électoral et la communication avec nos concitoyens. A cet égard, il m’apparaît utile de prévoir des canaux adéquats d’information des électeurs, des règles bancaires adaptées et le recours aux deux langues, arabe et française, à même de répondre à la diversité des capacités individuelles de nos concitoyens. Un effort est nécessaire pour que le site de l’Isie mette toutes les informations à disposition en temps réel et de façon fiable pendant toute la durée du processus, ceci dans les langues arabe, française et anglaise. Ce site doit intégrer les informations spécifiques aux circonscriptions à l’étranger : périodes d’inscription, dates du vote, listes de bureaux de vote, composition des instances régionales, résultats détaillés du vote, etc.
S’agissant du mode d’inscription des électeurs, je pense que seule l’inscription volontaire est de nature à permettre d’éviter les doublons et de réduire les fraudes au maximum. Enfin, de façon générale, j’attire l’attention sur l’esprit d’anticipation que nous devons renforcer, qu’il s’agisse de fixer les règles du processus électoral (inscription sur les listes électorales…) ou par exemple de déterminer des documents communs ou la localisation des bureaux de vote. Le diable est dans les détails… Pour terminer, j’invite les acteurs qui prépareront la prochaine élection à se souvenir de cet adage.
* Président de l’association Mouvement Citoyen des Tunisiens en France (Mctf).
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