Maher Haffani écrit – Les révolutions arabes déboucheront-elles sur l’établissement de régimes libéraux, démocratiques et respectueux des droits humains ?


D’un certain point de vue, les révolutions du «printemps arabe» ont au moins donné un coup d’arrêt au terrorisme islamiste. Il ne fait aucun doute que la démocratie et la liberté sont les meilleurs remparts contre la violence politique, en particulier islamiste. Pourtant, si ces révoltes traduisent toutes les aspirations des peuples à la liberté, peu d’entre elles déboucheront à court terme sur l’établissement de régimes libéraux, démocratiques et respectueux des droits des autres.

Profil bas et langage adouci

D’un autre côté, les islamistes savent bien qu’ils ont tout intérêt à faire profil bas en ce moment, pour ne pas justifier que l’opposition érige ces remparts contre eux. Ainsi, la stratégie des islamistes radicaux viserait à isoler le monde musulman pour s’y emparer de tous les pouvoirs, sans que le reste du monde puisse intervenir. A ce stade, ils se retrouvent servis au-delà de leurs espérances. Le monde occidental n’intervient pas contre eux, mais il sanctionne leurs adversaires «modernistes-démocrates-modérés». Ce n’est pas en ce moment, alors que les Occidentaux sont en train de «dévisser» leurs pires adversaires que sont les dictateurs, que les islamistes ont intérêt à se montrer ambitieux ou voraces. Ils ne sont pas pressés et savent user d’un langage adouci pour les circonstances. Ils auraient tant aimé ne pas avoir à gérer eux-mêmes cette situation ingouvernable aux plans social et économique. Ils auraient souhaité laisser les démocrates se casser les dents sur ce genre de conjoncture.

Les wahhabites, qui ne veulent surtout pas entendre parler de démocratie en islam, se seraient fait un plaisir de savonner les planches sous les pieds des démocrates à coups de dollars bien distribués aux islamistes tout en les regardant glisser et se tordre l’échine. Ils auraient alors acquis leur légitimité sans peine et par les urnes, et seraient sortis du bois et auraient réclamé le pouvoir.

Qu’auraient pu leur opposer comme argumentation les férus de démocratie ?

Certes, le scénario n’a pas été conforme aux prévisions et les islamistes ont maintenant à assumer le fardeau d’un plébiscite électoral annoncé. Mais ils se sont arrangés (naïveté ou opportunisme politique aidant de certains partis «démocrates»), pour répartir quasi équitablement les retombées de l’échec tant redouté et bien se placer afin d’infiltrer autant que faire se peut les rouages de l’Etat en prévision des années à venir. Le moment venu, il sera toujours temps de lancer le fameux «dégage» du gouvernement aux représentants de ces partis, une fois accomplie leur mission d’embellissement et de légitimation de l’action gouvernementale.

Les deux faces de Janus

Est-ce sans espoir ?

Pas du tout, mais pour résoudre les problèmes, il faudra les prendre par le bon bout. Il est impératif de remédier aux causes plutôt qu’aux conséquences. Les causes du problème se trouvent tapies dans la richissime théocratie conservatrice wahhabite. Elle inspire la violence ; elle entretient les réseaux financiers et politiques salafistes et fait barrage du mieux qu’elle peut aux forces démocratiques ; elle décrète l’anathème à l’encontre de quiconque lui faisant de l’ombre en terre d’islam. Elle fait tout cela et compte continuer à le faire, tant que le mariage, contre nature, entre la première démocratie du monde et la monarchie la plus réactionnaire du monde durera. C’est-à-dire au moins pour cinquante ans, jusqu’à ce que les ressources pétrolières commencent à tarir ou que le progrès scientifique leur trouve un substitut.

Le plus alarmant est la démarche naïve de nos élites intellectuelles qui croient que la violence djihadiste salafiste peut se dissoudre dans l’islam politique modéré, prêché par les Frères musulmans et autres formations politiques s’y référant, alors que ce sont là les deux faces d’un même Janus qui joue la même partition dévastatrice. Tant que l’on n’a pas résolu ces contradictions, le printemps des peuples musulmans restera un mirage d’oasis.

En fin de compte, si on résume bien la situation, nous voilà dans des pays arabes avec des partis démocrates, sociaux et libéraux ainsi que des organisations politiques opprimées des décennies durant, d’un côté. De l’autre, on se retrouve dans la situation où pince-mi et pince-moi se rejoignent dans un même bateau. Pince-mi, ce sont les dictateurs, pince-moi, ce sont les islamistes avec toutes leurs organisations, conservatrices et réactionnaires. Pince-mi a coulé et reste pince-moi.

L’espoir qui persiste réside dans le niveau culturel et de conscience politique, joint à une relative prospérité économique autorisant des solidarités et des transferts sociaux, permettant de concevoir un glissement vers des formes politiques plus évoluées.

Reste à savoir avec quels politiques ? Dans ce domaine la mécanique grince et les cadres politiques se font rares. Un espoir reste dans le cadre syndical dont le mouvement est puissant, très politisé et a survécu à toutes les persécutions. La partie n’est toujours pas pour autant gagnée !