Ezzeddine Ben Hamida* écrit – Ces mots en «-isme» ou en «-iste» ont de quoi déranger ! Surtout les mots «islamisme» et «islamiste», qui ne conviennent pas pour Ennahdha, un parti plutôt «libéral musulman».


Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours été très circonspect, voire réticent face au nom «islamisme» pour désigner les mouvements politiques et l’adjectif «islamiste» pour désigner les personnes qui en sont partisanes. Pourtant, je ne suis pas spécialement pratiquant et pour ainsi dire je suis profondément laïc et fervent défenseur de l’émancipation des femmes. Je ne dirai pas, comme certains slogans de mouvements féministes, que «la femme est l’avenir de l’homme» ; je dirai mieux encore : au même titre que l’homme, elle est l’essence même de l’humanité.

Conservateurs et traditionnalistes

L’émancipation de la femme est un acquis qu’il faut défendre d’une manière absolue. De plus, j’éprouve beaucoup d’agacement, voire même parfois de l’aversion, à l’égard des explications des faits et des actes sociaux par des tentatives d’interprétations religieuses qui n’ont pour objectif que de déresponsabiliser et déculpabiliser leurs auteurs. Je me suis toujours forcé à expliquer le social par le social, c’est-à-dire que je refuse d’expliquer les phénomènes sociaux à l’aide d’une cause extérieure à la société.

Et pourtant, pour désigner les mouvements politiques dans le monde arabe et musulman à inspiration religieuse, j’ai toujours évité de coller à «l’islam» les suffixes «isme» et «iste». J’ai toujours opté pour les termes : conservateurs et traditionnalistes. Pour les plus radicaux d’entre eux, en l’occurrence, chez nous, les Salafistes, les qualificatifs fondamentalistes et intégristes ou encore rétrogrades, me semblent-ils, particulièrement bien appropriés.

Les adeptes de l’islam sont les musulmans, ceux du judaïsme sont les juifs, et ceux du christianisme sont les chrétiens. Pour les partis politiques de ces derniers, qui sont très nombreux en Europe, on parle des «socio-démocrates chrétiens» ou «des libéraux chrétiens» et non pas des «chrétienistes» – peut-être me direz-vous que ça sonne mal, que ce n’est pas joli ni poétique ? –. Pour les Hébreux on peut dénombrer plusieurs partis religieux, à titre d’exemple : Parti national juif ou encore Union nationale d’Israël sans oublier évidemment le parti le plus extrémiste des extrémistes, «Israël notre maison». Et pourtant, on ne les appelle pas les «juifiste», on les appelle les sionistes. Certes, ce mouvement est formé à l’origine par des laïcs nationalistes mais aujourd’hui il est fortement dominé par des religieux orthodoxes, fanatiques et extrémistes. Pourquoi donc pour les partis politiques à orientation religieuse, dans le monde musulman, on leur colle, en plus immédiatement, avec leurs militants, les suffixes «isme» et «iste» ? Je ne suis pas linguiste ni professeur de littérature, mais ces suffixes m’ont toujours dérangé.

D’après le Petit Robert, le nom «islamisme» date de 1765. Sa traduction en arabe «Islamÿnes» est très récente, elle remonte seulement à la fin du siècle précédent. Le plus cocasse : j’ai vu à la télévision, et j’ai même lu dans la presse arabophone, des jeunes et des essayistes du mouvement Ennahdha qui s’identifient comme étant des «islamÿnes». Ces initiés au militantisme politique ignorent sans doute la lourdeur de la signification d’un tel nom, du moins en Occident !

Pourquoi ne désigne-t-on pas Ennahdha comme étant le parti des libéraux musulmans ? En science politique, l’idéologie libérale s’articule autour de trois fondamentaux : tolérance et respect des consciences individuelles, libre choix des gouvernants, liberté économique. C’est aux intellectuels tunisiens et aux forces vives de la nation (la société civile) d’être soucieux, attentifs et vigilants sur le respect des consciences individuelles.

La nécessaire réconciliation avec l’Occident

La marche vers la modernité entamée par la Tunisie depuis plus de 60 ans est un processus irréversible.

Les responsables politiques d’Ennahdha en ont pris récemment conscience. Mieux encore, ils ont intégré, habilement me semble-t-il, la dimension internationale dans leur conception globale de la gouvernance. Ils ont compris, contrairement aux Iraniens en 1979, tout l’intérêt à s’ouvrir sur l’Occident et à avoir des solides partenariats économiques avec nos voisins du nord. Les récents propos du Premier ministre Hamadi Jebali sont, d’ailleurs, l’illustration parfaite de cette ouverture et modération.

Les idéologues d’Ennahdha ont ressenti également la fragilité de ce processus révolutionnaire – ce cheminement vers la démocratie – ainsi que l’hostilité de certains voisins des deux rives de la Méditerranée. Il serait souhaitable de les désigner désormais comme étant les «libéraux musulmans».

Pour finir, il convient donc, à mon sens, d’être vigilant sur la banalisation de l’utilisation non innocente de ces mots : «islamisme» et «islamiste». Le dénigrement de l’islam par certains hommes politiques et beaucoup de journalistes occidentaux, parfois avec des diatribes hallucinantes, en utilisant hypocritement, pour rester dans le politiquement correct, les qualificatifs «islamisme» et «islamiste» et critiquer, ainsi, la fraction radicale des «musulmans» montre la schizophrénie d’une frange de la classe politique occidentale en quête de voix : le discours de Marine Le Pen, le dimanche 15 janvier, en est l’illustration parfaite ; les mots «islamisme» et «islamiste» ont été utilisés pas moins de 20 fois en une heure trente de discours.

D’ailleurs, le directeur de l’Iris, Pascal Boniface a montré dans son dernier ouvrage ‘‘Les intellectuels faussaires’’ comment les «super stars médiatiques» (des sionistes notoires) de la politique internationale française profèrent, délibérément, jour après jour, des mensonges avérés et répétés contre l’Islam – un livre, tenez-vous bien, dont quatorze maisons d’édition ont refusé la publication ! Il a fallu le courage de Jean-Claude Gawsewitch qui l’a sorti dans sa collection «Coup de gueule» –. L’islam étant le mal, le nouveau «galeux d’où viendrait tout le mal» du monde moderne.

* Professeur de sciences économiques et sociales.