Kilani Bennasr* écrit – «Il faut, au lieu de force, user de finesse et de patience, attaquer l’erreur indirectement et sans paraître y penser» (Lettre au roi prusse, 30 avril 1770).
La fermeté en elle-même n’est pas la bonne solution et à plus forte raison dans un pays comme le nôtre où les outils du pouvoir se sont éparpillés et désorganisés. Leur utilité est devenue relative voire dangereuse si on compte s’en servir à outrance, à court terme. L’armée nationale serait toujours prête à agir, pour le bien du pays, mais n'est-il pas temps qu’elle retourne à la caserne et se consacre à sa mission principale ?
Les causes de l’insécurité relative
Arrêtons de crier au feu, la situation en Tunisie ne souffre d’aucun débordement inquiétant, tout est actuellement sous contrôle, à distance, et le sera.
Le gouvernement provisoire est le premier responsable de la situation dans le pays ; il est en droit de chercher en permanence des solutions adéquates pour pallier aux dysfonctionnements éventuels, tels que l’insécurité ; quant aux moyens à mettre œuvre, ils existent théoriquement et sont disponibles mais leur emploi dans l’état actuel des choses n’est pas conseillé ; quoique dans un cas de force majeure le pays saura se défendre avec sa réserve intarissable, le duo peuple-armée.
Les facteurs, qui sont à l’origine de l’insécurité relative dans le pays sont le manque de maturité de certains nouveaux moyens d’information et partis politiques, ensuite le manque de présence efficace du gouvernement et de la société civile à l’intérieur du pays, ce qui a laissé le champ libre aux malfaiteurs et aux mécontents ; et enfin l’inexpérience du gouvernement provisoire.
Les médias, en compétition entre professionnels et débutants, depuis des semaines n’arrêtent pas de faire circuler anarchiquement l’information et si le citoyen souffre de cette intox, ils en sont responsables.
Mais encore faudrait-il en vouloir à ces «innocents» moyens d’informations en Tunisie ? Ne lésinons surtout pas à le faire pour contenir ces débordements, les moyens d’informations étrangers sont de loin moins virulents avec leurs gouvernements que les nôtres…
Aujourd’hui les moyens d’information nationaux dans le monde sont des moyens permanents de construction et de défense de leur pays en temps de paix et en temps de guerre, voyons voir où en sommes-nous par rapport à ceux-là ?
Le Gouvernement doit parler moins et travailler plus
Dans la réalité, plusieurs failles sautent aux yeux concernant le comportement du gouvernement et des médias en Tunisie, les images télévisées sur leurs activités à Tunis donneraient l’impression que la capitale se trouve en Europe et que le peuple est laissé pour compte, ce qui représente une erreur grave de médiatisation des activités du gouvernement. Ce dernier est en train de ternir son image et de perdre la confiance des Tunisiens, avec ses apparitions et interventions très fréquentes sur les médias, au détriment du travail. Certains nouveaux ministres préfèreraient faire des déclarations que s’occuper des affaires de leur ministère. Les chefs de l’Etat, du Gouvernement et de la Constituante sont priés de lancer un appel solennel pour qu’on parle moins et qu’on travaille plus, dans ce pays.
Afin de mettre un peu d’ordre dans le milieu politique en général et médiatique en particulier, un effort serait nécessaire pour tenter de calmer certains partis de l’opposition et les nouveaux propriétaires des moyens d’informations, écrites, radiodiffusées et télévisées, dont l’objectif ne pourrait être que lucratif. Il faudrait les inciter à faire preuve de retenu et de professionnalisme et leur expliquer que continuer ces querelles n’est bénéfique ni pour le pays ni pour leurs entreprises et qu’au lieu de concentrer leur travail sur Tunis et banlieue qu’ils aillent à l’intérieur du pays et au sud et diversifient leur activités.
Aujourd’hui, tous les Tunisiens montrent du doigt les grands instigateurs de la violence et les responsables des troubles représentés par des jeunes chômeurs et adultes «casseurs», manipulés par des politiciens, cadres de l’ancien régime et autres vivant le corps en Tunisie et la tête à l’étranger.
S’adressant à cette opposition «furieuse», il faudrait bien signaler qu’elle est triplement victime, d’abord victime de Ben Ali qui a réussi à la désorienter, harceler et la manipuler ; ensuite c’est le tour des médias étrangers, en l’occurrence européens qui, convaincus de leur rôle défenseur des intérêts de leurs pays, ont tissé des amitiés personnelles avec des chefs de partis et autres, exemple les «embourgeoisés tunisois anciens amis de la France»… enfin l’opposition est aussi victime de sa méconnaissance du pays et du manque de réalisme en croyant que la Tunisie a atteint le niveau européen.
Le langage de la loi est le seul convaincant
Le gouvernement ne peut que brandir des avertissements basés sur la loi en vigueur, car seul ce langage peut contraindre ces politiciens, cadres mécontents et moyens d’informations à mesurer leurs comportements.
En réponse aux revendications sociales, la Tunisie ou plus exactement le gouvernement de M. Jebali, n’a pas les moyens matériels de satisfaire les nécessiteux qui, par leurs attitudes agressives gratuites, ne font qu’aggraver leur situation et compliquer celle du gouvernement. Le pays n’est pas non plus en état de guerre civile et réagir en ce moment contre des «délinquants» avec les «gros» moyens mettra tout le monde sur une fausse piste.
Cependant, par leur agitation, les jeunes «casseurs» reflètent indirectement le laisser-aller des fonctionnaires actuels de l’Etat et expriment leur manque de considérations aux agents de l’ordre qui ont perdu la face en raison de leurs attitudes de corruption avant et après la révolution. Elles sont impressionnantes ces équipes de barbus, imbibées et convaincues de valeurs. Elles se sont montrées capables d’éradiquer la délinquance dans plusieurs villages. A nous de choisir !
Sinon comment expliquer que seuls les déplacements des véhicules de l’Etat sont interdits par les sit-in ? Soyons sûrs que si tout le monde suit l’exemple des commerçants privés, qui se déplacent tôt le matin, prennent le risque et font tout pour bien finir leur journée, on ne serait pas dans cette situation. Le comble c’est que cette mentalité de ne pas vouloir prendre le risque, de la part des fonctionnaires de l’Etat, durerait infiniment…
Malgré l’affolement social du aux interventions anarchiques des médias et à la campagne anti-gouvernementale, le peuple tunisien continue à vivre presque normalement, plus de 70% des entreprises privées fonctionnent normalement, il ne faut pas se fier à l’acharnement des médias et du réseau social, trois millions de Tunisiens au moins iraient au lit avant 22H00 parce qu’ils se réveillent avant 6h00 du matin pour aller au boulot. Ces personnes diffèrent des «intellectuels», des désœuvrés et politiciens ; ils n’accordent qu’un petit moment aux informations, heureusement pour eux et pour le pays…
A cet effet, même si le gouvernement prône la fermeté, et il en a les moyens, il n’aurait pas l’intention de passer à l’action. La précipitation n’est pas une bonne conseillère «Il faut, au lieu de force, user de finesse et de patience, attaquer l’erreur indirectement et sans paraître y penser» (Lettre au roi prusse, 30 avril 1770)» ; il n’y a pas de doute, le gouvernement provisoire est en train de prendre tout son temps, il s’y met, fonce délicatement et se soustrait quand il le faut.
Toutefois, si le courage, la qualité incontestable du chef, aurait caractérisé le gouvernement M. Caïd Essebsi, elle n’a pas été encore remarquée chez le gouvernement provisoire, qui en est à ses débuts «A chose faite, il faut bien qu’il y ait un commencement» (Nicolas Machiavel, ‘‘Histoire de Florence: 1521-1525’’).
Un gouvernement mieux représenté sur le terrain
Ce gouvernement, malgré sa bonne volonté, aurait du mal à affronter les difficultés et certains de ses nouveaux responsables craindraient la foule, manqueraient d’initiative et sont réticents, «entravés», pour se déplacer à l’intérieur du pays. Ce qui porte à croire qu’ils seraient doublés par d’autres acteurs derrière la scène !
Il n’est pas demandé au gouvernement de prendre des risques, mais d’être rayonnant et représenté sur tout le territoire. Le peuple voudrait, par le biais des revendications et des sit-in, exprimer plutôt un besoin d’assurance, d’optimisme et de courage. «L’optimisme est une forme de courage qui donne confiance aux autres et mène au succès» (Robert-Powell, ‘‘La route du succès’’).
Le peuple tunisien dont la majorité est soucieuse de la dégradation de la sécurité est loin de la panique ; pour remédier à la situation, il suffit d’un savoir-faire de la part du gouvernement provisoire. On peut lui reprocher d’être prudemment retiré ; concentré sur le Grand Tunis et le littoral nord, alors que les mécontents et certains opposants profitent de la situation pour enrôler les jeunes sur place, au sein de leur patelin.
Une touche d’optimisme est nécessaire pour mettre le peuple et le gouvernement en symbiose, dans une relation de confiance afin de dissiper les suspicions créées par l’opposition et les ennemis de la révolution.
Il est incontestable que le peuple tunisien a bel et bien fait son choix stratégique en déclassant l’ancien régime et en inaugurant une ère nouvelle de liberté et sans le peuple et l’armée, le gouvernement provisoire ne pouvait s’imaginer un jour investi à la magistrature suprême en Tunisie.
Ce qu’a réalisé le gouvernement provisoire depuis son investiture démocratique est, relativement, modeste par rapport aux attentes du peuple, mais grandiose si on analyse les obstacles causés par l’effondrement du régime de Ben Ali. Un nouveau système fraichement mis en place ne peut en un si peu de temps donner satisfaction quand il remplace, un autre, malveillant qui a saccagé durant des décennies la fortune d’un pays et le moral d’un peuple.
De leur côté, la Présidence et l’Assemblée constituante marquent un incontestable succès au chapitre de la gestion des questions épineuses en Tunisie ; l’opposition à la troïka démontre, quant à elle, qu’elle acquiert une maturité accrue dans la discussion et l’orientation des décisions au sein de l’assemblée.
Il serait aussi trompeur et irresponsable de rejeter Ennahdha, au nom du paradis perdu pour certains qui menaient un mode de vie meilleur avant la révolution, ou encore faire monter les enchères pour semer les difficultés à ce mouvement politique qui a su gagner une partie…
En conclusion, le gouvernement provisoire, même en prônant la fermeté, n’a pas tort, bien au contraire, et c’est le peuple qui la revendique. Néanmoins, pour plusieurs raison, dont son manque d’expérience, la montée des revendications politiques et sociales et la faiblesse caractérisée de l’Etat ; la lutte contre l’insécurité ne devrait être menée que partiellement par la force.
Un travail préparatoire de réimplantation, restructuration et formation tunisifiée des services de maintien de l’ordre est nécessaire, ce qui ne veut pas dire augmenter d’effectif. Il faudrait aussi que les Tunisiens, société civile comprise, contribuent avec l’aide du gouvernement à contenir ce fléau.
De surcroît, il n’y a pas de doute que si les partis politiques de la troïka actuelle et leurs confrères, se mettent au travail pour éradiquer pacifiquement les sit-in comme ils l’avaient fait lors de la campagne électorale, avec la même implication et détermination, on tournera la page dans un court délai.
* Colonel à la retraite.