Il faut se libérer de cet esprit de passivité et de cette idée absurde d’argent facile : le peuple attend l’aide du gouvernement et notre gouvernement attend l’aide financière étrangère.

Par Dr. Jamel Tazarki*


 

J’ai un grand respect pour Rached Ghanouchi en tant que théologien ou en tant que citoyen tunisien. Mais s’il veut faire de la politique, il doit accepter les critiques qui ne touchent pas à sa vie privée et à sa famille.

J’ai peur que Rached Ghanouchi conduise la Tunisie vers un collapse socio-économique par ignorance. Il est sans doute un grand patriote et ne désire que le bien pour tous les Tunisiens et la Tunisie. Mais malheureusement un homme honnête peut provoquer aussi des dégâts bien plus graves qu’un malhonnête.

Tout tourne autour de l’argent facile

Normalement tout devrait aller mieux en Tunisie étant donné que nous avons un gouvernement de techniciens d’une très grande intelligence. Quoi d’apparemment plus logique que de confier le ministère de la Santé à un médecin, celui de la Défense à un militaire, celui de l’Education à un enseignant, celui des Travaux publics à un ingénieur, celui des Finances à un économiste, etc. En Belgique et en Italie, les gouvernements de techniciens réalisent des miracles.

Par contre, en Tunisie, les membres de notre gouvernement de techniciens ne voient pas clair parce qu’ils se laissent guider par une majorité parlementaire en grande partie nulle (ce sont les chefs des partis politiques qui ont défini la liste des candidats parlementaires et ils n’ont pas fait les meilleures sélections…). Est-il possible que notre ministre des Finances n’était pas à Davos ? Pourquoi engager des techniciens si le chef du Gouvernement Hamadi Jebali ne les laisse pas agir !


Ben Jaafar, Marzouki, Ghannouchi et Jebali

Tout tourne autour de l’argent facile dans la tête de certains de nos politiciens : on rêve de milliards de dollars gratuits de la Libye pour financer l’industrie et absorber le chômage tunisiens. D’autres rêvent d’un flux sans limites d’entrepreneurs étrangers ! Et il y a même ceux qui attendent un cadeau de quelques dizaines de milliards de dollars de l’Iran pour une petite influence dans le procès de Nessma TV accusée d’«atteinte au culte religieux».

Il faut se libérer de cette idée absurde d’un flux monétaire gratuit de l’étranger. Nous pouvons réaliser des miracles par nos propres moyens. Il suffit de penser d’une façon formelle afin de garantir le bien être à notre peuple. Notre problème principal est la faible productivité de tout ce que nous faisons. Il n’est pas normal, par exemple, que les Pays-Bas produisent 460 tonnes de tomates par hectare alors que la Tunisie ne dépasse pas les 20 tonnes par hectare en moyenne. Il y a normalement même un manque de main d’œuvre en Tunisie. 400.000 personnes travaillent dans la production agricole de masse aux Pays-Bas dans une petite région qui dépasse de très peu le Cap-Bon tunisien. Il n’y a pas de secret afin de produire autant que les Hollandais, tout est sur internet. Il faut optimiser d’abord les projets déjà existants avant de se casser la tête afin d'en créer d’autres…

Un «chef d’orchestre» pour motiver le peuple

Ce qui manque à la tête du gouvernement tunisien est une personnalité capable d’établir un lien pertinent entre des idées, des questions ou des problèmes qui concernent des domaines différents de la Tunisie. Notre gouvernement a besoin d’un «chef d’orchestre» capable de motiver tout un peuple.

Il faut faire participer tout le peuple à l’amélioration de sa propre situation sociale et économique. Je propose les petits projets suivants qui ne coûtent presque rien du tout et que chaque Tunisien peut réaliser afin de satisfaire ses besoins de tous les jours :
- encourager le compostage qui rend très utile les déchets ménagers comme fertilisant ou fourrage pour nos animaux ;
- populariser l’agriculture urbaine afin de combattre la malnutrition ;
- populariser la production du poisson industriel et la rendre accessible à la masse ;
- populariser l’hydro-culture ;
- populariser la production de biogaz obtenu à partir d’excréments d’animaux ou de déchets.

Il est temps de sensibiliser le Tunisien par des émissions de télévision afin de lui montrer comment ça fonctionne : l’hydro-culture, la production intensive du poisson industriel, le compostage, l’agriculture urbaine et le biogaz. Tout est sur Internet, il suffit de savoir lire, il n’y a pas de secret. Il faut se libérer de cet esprit de passivité et de cette idée absurde d’argent facile : le peuple attend l’aide du gouvernement et notre gouvernement attend l’aide financière étrangère, quelle belle mentalité !

Lorsque les millions de prolétaires arriérés et les masses paysannes auront perdu toutes leurs illusions relativement aux promesses d’Ennahdha, ce jour-là, les Tunisiens ne feront plus aux élections législatives un choix de cœur mais plutôt un choix de raison. Ils auront compris alors qu’un homme honnête peut provoquer des dégâts bien plus graves par ignorance qu’un malhonnête.

Rached Ghanouchi n’a pas compris le message de la masse pauvre qui l’a élu et que Sadok Chourou, parlementaire d’Ennahdha, veut crucifier, tuer ou amputer de leurs bras et jambes. Ils s’attaquent en fin de compte à ceux qui leur ont accordé leur confiance.

Rached Ghanouchi se trompe lorsqu’il pense que son influence sur la masse pauvre grandit de jour en jour ! Ce ne sont pas les partis politiques ou les syndicats qui dirigent les mouvements de la masse pauvre en Tunisie. Cela veut dire que les mouvements démocratiques en Tunisie ont tendance à se développer en dehors du contrôle de tous les organes dirigeants du pays. Et ça, c’est une très bonne chose !

Blog de l’auteur.

* Dr. Jamel Tazarki est mathématicien. Il a enseigné les statistiques et la logique à l'université de Munich, en Allemagne. Actuellement, il est dans le domaine des statistiques, pronostics et logistique. Parallèlement, il fait de l’hydro-culture sur sa terrasse et il s’intéresse aussi aux «avions» ultra léger motorisés.