Moncef Dlimi* écrit - Caïd Essebsi s’est employé à conserver à la Tunisie sa vocation de pays tolérant et tourné vers la modernité. C’est au nouveau gouvernement de ramener la sécurité et de reconstruire l’économie.
J’ai été surpris et étonné de lire votre article sur votre blog, intitulé «Langage et contre-révolution». S’agissant d’un militant des droits de l’homme, de gauche et qui a payé un lourd tribut de sang, en étant resté longtemps dans les geôles tunisiennes, vous mettez dans le même sac, les militants destouriens, les fascistes et les ennemis de la liberté.
Venant de vous, c’est surprenant, quand on connait l’œuvre de Bourguiba et du Néo Destour. Je suis au regret de vous dire que vous tenez le langage d’un communisme rejeté dans la poubelle de l’histoire, pâle reflet d’une période de stalinisme, marquée par des millions de morts et qui a dégoûté les Russes et les pays que les Soviets ont dominés depuis la révolution d’octobre de 1917 ; révolution à laquelle vous êtes amarré.
Le langage de l’exclusion
M. Naccache, vous n’êtes pas habilité à donner des leçons, parce que votre jugement est vicié au départ, totalitaire et exclusionniste.
Pour votre propre information, la révolution tunisienne n’exclut aucun courant politique et cela est l’essence même de la démocratie que nous essayons de bâtir.
Ne vous en déplaise, communiste nostalgique, les destouriens sont les artisans de l’indépendance de la Tunisie. Cependant, comme toute œuvre humaine, il y a eu des erreurs et des imperfections. Mais ne trouvez-vous pas bien moins de fautes que celles commises par les communistes qui ont votre credo et qui sont antidémocratiques ?
L’histoire les a définitivement condamnés. Dans votre diatribe, vous semblez dire aux Tunisiens que les patriotes dévoués à leur pays et qui n’ont jamais trahi l’idéal de la nation, n’ont pas de place chez eux. Le langage de l’exclusion est celui des antidémocrates, qu’ils soient de gauche ou de droite.
La Tunisie mérite mieux que ce langage que vous véhiculez et dont l’odeur de règlement de comptes se sent à mille lieues à la ronde. Savez-vous que le président Bourguiba, quand il est mort, ne possédait pratiquement rien, à part une grande place dans l’histoire ?
Cet homme restera à jamais le libérateur de la Tunisie et de la femme, malgré quelques excès de son entourage, ambitieux à souhait.
Le fondateur de la Tunisie moderne, a formé des militants comme Béji Caïd Essebsi, qui a eu l’immense responsabilité de conduire le pays vers plus de sécurité et de cohésion. Mais sa tâche n’a pas été facile. Il a remis le pouvoir d’une manière démocratique aux partis vainqueurs, dont Ennahdha. Il a permis le déroulement démocratique d’élections libres.
A ceux qui ont pris la relève maintenant de nous démontrer par des actes concrets leur compétence et leur efficacité.
Vous semblez nous dire que nous agitons l’épouvantail islamiste, à l’instar de Ben Ali et ses acolytes. Malheureusement, ce danger existe, car Ennahdha utilise un double discours obscurantiste et rétrograde qui menace les acquis républicains et qui aliène donc l’avenir des générations futures.
Pourquoi, n’a-t-il pas condamné les salafistes, ces illuminés, qui violentent les femmes, qui occupent les universités et qui se réclament d’un califat obsolète ? L’islam n’est pas violence. La religion ne doit pas être un paravent à l’ombre duquel se cachent de sombres desseins, soit pour confisquer le pouvoir, soit pour le garder à vie. A travers l’histoire des dynasties et des conquêtes arabes, rares étaient ceux qui se pliaient aux exigences de la religion en termes de probité, de justice et de droiture.
L’envergure d’un homme d’Etat
Bourguiba avait, du fait de sa double culture, analysé les faiblesses du monde arabe et démonté les ressorts qui actionnaient les dictatures.
Dans la même lignée, Béji Caïd Essebsi, malgré le laps de temps qui lui a été consacré, s’est employé à consolider les relations de la Tunisie avec les alliés traditionnels. Il s’est tenu à l’objectif de relancer l’économie et de conserver à la Tunisie sa vocation de pays tolérant et tourné vers la modernité. Et c’est sur ces principes que l’on mesure les traits et l’envergure d’un homme d’Etat.
Il appartient maintenant aux nouveaux locataires de la Kasbah, du Palais de Carthage et du Bardo de s’atteler à cette tâche gigantesque, de ramener la sécurité et de reconstruire l’économie.
En conclusion, M. Naccache, tout en comprenant réellement votre aigreur vis-à-vis de ceux qui vous ont emprisonné, je vous demande de vous joindre à ceux qui veulent édifier la Tunisie nouvelle en adoptant la devise «sincérité dans la parole et loyauté dans l’action». Il y a eu des militants prestigieux de tous bords ; nous n’oublions pas Georges et son fils Serge Adda.
* Journaliste.